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Des preuves de massacres à grande échelle au Darfour, affirme le procureur de la CPI

Des preuves de massacres à grande échelle au Darfour, affirme le procureur de la CPI

Luis Moreno-Ocampo
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a présenté aujourd'hui au Conseil de sécurité son 3e rapport sur les crimes commis au Darfour dans lequel il affirme avoir rassemblé des preuves « de milliers d'assassinats présumés de civils » qui incluent des « massacres à grande échelle ».

« Le Bureau du procureur a rassemblé les preuves (venant de sources publiques et non-publiques) de milliers de meurtres présumés de civils perpétrés par les parties au conflit » du Darfour, indique le dernier rapport du procureur de la CPI, chargé d'enquêter sur les crimes commis au Darfour depuis le 1er février 2002, suite à l'adoption de la résolution 1593 du Conseil de sécurité.

« Les informations disponibles montrent que ces assassinats incluent des massacres à grande échelle, avec dans chaque cas des centaines de victimes », affirme le rapport présenté aujourd'hui au Conseil de sécurité par le procureur de la CPI.

« Une majorité de victimes et de témoins, interviewés par le Bureau du procureur, ont rapporté que les hommes venant des ethnies four, massalit et zaghawa étaient délibérément la cible des attaques », souligne le document.

« Dans la plupart des cas [?], les assaillants ont tenu des propos renforçant la nature ciblée des attaques comme 'nous tuerons tous les Noirs' ou 'nous vous chasserons de ces terres' », dit encore le procureur.

« Aux massacres délibérés, il faut ajouter [?] la mort de milliers de civils depuis 2003 à cause des conditions de vie nées du conflit et des déplacements consécutifs », ajoute le rapport. « Ces 'morts lentes' ont touché plus particulièrement les groupes vulnérables tels que les enfants, les vieillards et les malades », précise-t-il.

Le Bureau du procureur a aussi enregistré « des centaines de cas de viols présumés », « une pratique endémique au sein de certains des groupes qui ont pris part au conflit ».

Le procureur estime à 2 millions le nombre de personnes déplacées et réfugiés. Il note une augmentation du nombre de personnes déplacées entre le milieu de l'année 2003 et le milieu de l'année 2005. Il confirme une nouvelle augmentation au cours des trois premiers mois de 2006 dans certaines zones : Sheiria, Gereida, Haskanita et Jebel Marra.

« Le Darfour-Ouest est de loin la zone où il y a eu la plus grande concentration des déplacements », fait-il observer. C'est aussi l'endroit où il y a « la plus grande concentration de massacres ».

« La destruction des biens et les pillages est un trait récurrent des crimes commis au Darfour, avec des informations faisant état de destructions et de pillages de plus de 2 000 villages à travers les trois provinces du Darfour. L'ampleur des destructions est prouvée aussi bien par les nombreuses déclarations de témoins que par l'abondance d'images satellites », affirme encore le document.

Les enquêteurs ont aussi relevé la destruction des biens religieux et des symboles, notamment la destruction de mosquées - environ 65 au Darfour-Ouest - et d'autres lieux de cultes.

Le procureur évoque également les attaques contre les travailleurs humanitaires et les soldats de la Mission de l'Union africaine au Soudan (MUAS). Ces attaques sont « des exemples potentiels de crimes de guerre », estime-t-il. Elles ont aussi un impact sur l'assistance humanitaire.

Malgré des progrès dans l'enquête, « l'insécurité au Darfour entrave l'efficacité des enquêtes au Darfour, surtout en l'absence d'un système de protection des victimes et des témoins qui soit fonctionnel et durable », a fait remarquer le procureur.

Depuis le dernier rapport de la CPI, le Bureau a conduit 40 missions dans plus de 13 pays, collectant des déclarations de témoins. Le Bureau a aussi établit une présence temporaire au Tchad pour avoir accès aux réfugiés du Darfour actuellement dans des camps à l'Est du pays.

Le Bureau a rassemblé des preuves de crimes présumés commis par toutes les parties au conflit.

« Les progrès dans l'enquête et dans les mises en accusations reposent sur la coopération du gouvernement du Soudan et de l'Union africaine », a aussi rappelé le procureur.

Dans son exposé au Conseil de sécurité, il a souligné des améliorations dans la coopération de l'Union africaine et du gouvernement du Soudan, détaillant notamment les réunions tenues avec de nombreux officiels du secteur judiciaire, policier et politique soudanais lors d'une visite dans le pays au mois de février 2006.

Après une mission effectuée au Darfour, Louise Arbour, Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, avait appelé la CPI à exercer son mandat de manière « plus musclée et plus visible » face aux crimes contre l'humanité commis dans la région depuis le 1er juillet 2002.

« La communauté internationale a fait un grand pas en avant sur le dossier du Darfour l'année dernière lorsque le Conseil de sécurité a décidé de référer la situation à la CPI. Il est important que la CPI puisse exercer son mandat au Darfour de manière visible, avec la coopération du gouvernement soudanais et le soutien de la communauté internationale », avait déclaré Louise Arbour (dépêche du 11.05.06).

Dans sa résolution 1593 adoptée en mars 2005, le Conseil de sécurité avait déféré la situation au Darfour au procureur de la CPI, permettant ainsi de traduire devant la Cour les auteurs des exactions commises depuis le 1er juillet 2002.

Le rapport de la Commission d'enquête sur les violations des droits de l'homme perpétrées au Soudan avait confirmé, en février 2005, que le gouvernement soudanais et les milices janjawid avaient commis des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre (dépêche du 01.02.05).