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La priorité : régler la question des Interahamwe en R.D. du Congo, déclare le chef du maintien de la paix de l'ONU

La priorité : régler la question des Interahamwe en R.D. du Congo, déclare le chef du maintien de la paix de l'ONU

Jean-Marie Guéhenno
Alors que des combats font s'opposer troupes gouvernementales et éléments armés dissidents à Bukavu, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), qu'un observateur militaire de l'ONU a été tué à 50 km de là, le responsable du maintien de la paix déclare que les deux priorités du pays sont d'intégrer l'armée et de régler « une fois pour toutes » la question des groupes rwandais ayant pris part au génocide de 1994 qui se trouvent encore en RDC.

Depuis mercredi dernier, le 26 mai, la ville de Bukavu (carte) est en proie aux combats qui, dans le centre ville et différents autres quartiers de cette commune du Sud-Kivu à l'Est de la RDC, opposent les troupes régulières de la 10e région militaire de l'armée nationale congolaise aux éléments armés du colonel Jules Mutebutsi, commandant adjoint de la 10e région militaire, suspendu de ses fonctions depuis mars dernier.

Un bilan provisoire fait état d'au moins cinq morts et 19 blessés dans les rangs des Forces Armées de la République du Congo (FARDC), de deux morts dans le camp du colonel Mutebutsi, et de 7 morts ainsi que 6 blessés parmi les civils. Des pillages ont eu lieu dans les boutiques du centre-ville, dans plusieurs résidences et la ville est sans électricité, indiquait un hier un communiqué de la Mission.

La MONUC s'efforce de contribuer au retour au calme en organisant des patrouilles et en prenant position en plusieurs endroits stratégiques de la ville pour éviter que les affrontements ne gagnent d'autres secteurs.

Par ailleurs, à 50 km au Nord de Bukavu, à Kalehe, un groupe non identifié de miliciens armés a menacé et attaqué des Observateurs militaires non armés, l'un d'eux ayant trouvé la mort au cours de l'agression, indique un autre communiqué de la MONUC.

Faisant le bilan aujourd'hui, lors d'une conférence de presse à Kinshasa, de sa visite dans le pays et dans les capitales de l'Ouganda et du Rwanda voisins, le Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, Jean-Marie Guéhenno a souligné que « les événements de Bukavu montraient à quel point il était urgent d'intégrer l'armée. »

« C'est une division qui est apparue au sein de l'armée congolaise. Il est important que les institutions de la transition règlent le plus rapidement possible cette division qui met en cause l'unité de l'armée congolaise » ce qui ne devrait jamais être le cas « dès lors qu'un gouvernement d'union nationale est en place », a-t-il affirmé, ajoutant que c'était aux Congolais de régler entre eux cette affaire et qu'il trouvait encourageant d'avoir rencontré « au plus haut niveau » la volonté de s'y atteler « dans l'unité » et « dans le souci de la réconciliation nationale. »

M. Guéhenno, qui a indiqué s'être rendu à Bukavu où « la MONUC appuyait les efforts » de retour au calme, n'en a pas moins fait observer que « la solution de fond était le rétablissement de l'unité de l'armée congolaise et que cela, c'était une question congolaise » qui mettait en jeu l'avenir de la transition. Il a ajouté ne pas douter que cette question soit rapidement réglée et qu'elle devait l'être « par les différentes composantes du gouvernement d'union nationale. »

Le grand défi qu'il s'agit de régler « une fois pour toutes », a-t-il ajouté, consiste à « mettre fin aux activités des groupes armés des ex-FAR et Interahamwe qui sont une menace pour la population civile du Congo » et « qui empoisonnent les relations régionales alors que la voie est ouverte à une politique de réconciliation régionale entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo. »

« Je crois que la question du désarmement des ex-FAR et Interahamwe est effectivement une priorité. N'oublions pas que ce sont des génocidaires, a déclaré M. Guéhenno qui a précisé que ce désarmement « passait par une stratégie globale » qu'il était en train d'examiner dans ses aspects militaires et qu'il en avait « discuté avec le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l'ONU, avec le commandant des forces, le général Iliya, avec le commandant de la Brigade du Kivu, le général Isberg et nous en examinons les modalités. »

Il a ajouté que cette stratégie globale « exigeait d'abord un engagement fort de la République Démocratique du Congo, qui était en première ligne sur cette affaire » et qu'il était « clair que les Forces armées congolaises avaient un rôle déterminant et décisif à jouer. Il a également précisé « que la logique du désarmement volontaire avait « déjà beaucoup donné » et qu'il fallait « augmenter la pression. »

On a tendance à raisonner en termes de désarmement volontaire ou forcé, a fait observer M. Guéhenno. « En réalité, les choses sont plus compliquées que cela. Parce qu'il y a moyen d'augmenter la pression militaire. Je vous rappelle que la MONUC a un mandat de protection de la population civile partout où elle est déployée. Quand les Interahamwe et ex-FAR entrent dans un village et martyrisent sa population, si la MONUC a la possibilité d'être sur place, elle a toute autorité pour agir comme il convient et mettre fin à ces exactions. » Il a ajouté qu'une fois l'armée complètement intégrée, elle serait « capable d'exercer et de lancer des opérations militaires sur les ex-FAR et les Interahamwe pour procéder effectivement, dans ce cas, à des opérations de désarmement forcé si c'est nécessaire. »

Il a également fait remarquer que la MONUC avait de son côté une « capacité […] considérablement renforcée » qui « augmentait ses options et réduisait les options des FDLR. »

« Cette stratégie militaire doit être complétée par une stratégie politique, a déclaré M. Guéhenno. « J'en ai parlé aussi bien au Président Kagame [du Rwanda] qu'au Président Kabila [de la RDC]. Je crois qu'il est très important que du côté du Rwanda, un message clair soit adressé sur le fait que les combattants qui déposent les armes, seront intégrés dans le processus de démobilisation et de réintégration au Rwanda. Il est très important, du côté des autorités congolaises, qu'un message fort soit adressé aux ex-FAR et Interahamwe, pour leur dire […] que la RDC ne tolérera plus sur son territoire la présence des groupes armés qui terrorisent la population et qui cassent la dynamique régionale de coopération. »

Le chef du maintien de la paix de l'ONU a insisté sur le fait que cette stratégie politique devait être complétée par une stratégie de communication. « Il faut faire passer le message sur le terrain, a-t-il indiqué. Notre analyse des choses est que beaucoup d'ex-FAR aujourd'hui hésitent. Ils sont retenus par les leaders qui ne veulent pas désarmer. Si nous arrivons à faire relâcher l'emprise de ces leaders sur leurs troupes, nous pouvons envisager de nouveaux flux de désarmement. »

« Donc, vous voyez, la stratégie qui réussira dans les Kivu c'est une stratégie intégrée qui a un volet militaire, qui a un volet politique et qui a un volet de communication. Je pense que c'est possible. Je pense que la pression doit augmenter. […]. A Pretoria, l'an dernier, il y a eu un accord pour faire, de façon décisive, avancer les choses dans les 12 mois qui suivaient. Les 12 mois arriveront à échéance à la fin de novembre de cette année » , a poursuivi Jean-Marie Guéhenno.

« Dans les mois qui viennent, il y a une fenêtre qui est ouverte pour le désarmement des ex-FAR et des Interahamwe, a-t-il ajouté. Il faut que des combattants qui sont dans la forêt depuis des années comprennent que le moment est venu de rendre les armes et la pression qui s'exerce sur eux va s'accroître dans les mois qui viennent. »

A propos des relations de la RDC avec le Rwanda et l'Ouganda, M. Guéhenno a déclaré qu'il y avait « une confiance à rétablir », ajoutant que « le rapprochement était plus avancé aujourd'hui entre l'Ouganda et la République Démocratique du Congo qu'entre le Rwanda et la RDC » mais que « des deux côtés, il y avait la volonté d'échanger des ambassadeurs et que l'Ouganda et le Gouvernement congolais s'étaient mis d'accord pour procéder à des vérifications conjointes avec la participation de la MONUC. »

« Il y a des allégations sur des problèmes aux frontières. Je pense qu'il faudra, en ce qui concerne les relations entre le Rwanda et la RDC, mettre en place des mécanismes similaires », a indiqué le Secrétaire général de l'ONU qui a affirmé qu'il était « très important que la pleine et entière souveraineté du Congo soit, bien entendu, toujours respectée par tous, c'est fondamental mais […] important aussi que chacun fasse les gestes qui permettront établir graduellement la confiance. Elle ne va pas se construire en un jour, c'est évident, […] c'est une œuvre de longue haleine » que l'on bâtit « patiemment par des institutions, par des contacts, par des relations diplomatiques, en discutant des problèmes, des problèmes de frontières, de passages des personnes, des marchandises etc. »

De façon générale, le séjour de Jean-Marie Guéhenno n'a pas entamé l'impression qu'il avait déjà exprimée peu de temps après son arrivée dans le pays, celle de « progrès remarquables » effectués en un an. « L'avantage de venir en République Démocratique du Congo environ tous les dix mois, c'est que ça permet de mesurer la tendance et donc, de ne pas se laisser impressionner, au-delà du nécessaire, par les à-coups », a indiqué M. Guéhenno.

« Il y aura des à-coups », a-t-il déclaré, revenant aux affrontements de Bukavu pour insister à nouveau sur l'importance de créer une armée nationale congolaise.

Il a dit souhaiter rendre hommage à cet égard aux troupes de l'ONU « pour ce qu'elles ont accompli en Ituri où la transformation est visible, où la population est maintenant, partout où la MONUC est déployée, dans une situation bien meilleure que celle qu'elle connaissait, il y a une année. »

M. Guéhenno a également rendu hommage « au peuple congolais et à sa maturité politique parce que la transition, avec ses à-coups et ses difficultés, fonctionne », soulignant le fait que l'on puisse « voir aujourd'hui dans une même ville, à Kinshasa donc, trois Vice-Présidents de trois Composantes différentes, cela n'était pas possible, il y a une année. En m'entretenant tout à l'heure avec le Président de l'Assemblée Nationale et du Sénat, j'ai pu voir le sérieux du travail parlementaire qui est accompli. J'ai pu constater que ces personnalités prennent à cœur l'échéance importante, essentielle et fondamentale pour le pays que sont les élections. »

« Je suis toujours frappé, quand je viens dans ce pays, de voir l'extraordinaire richesse, à la fois en ressources naturelles mais aussi humaines du pays. Comme me le disait un de mes interlocuteurs au cours de ce voyage, ''au Congo, nous sommes tous des minorités''. Ce qui devait être un facteur de tolérance. Personne ne doit penser pouvoir opprimer l'autre, et chacun doit respecter l'autre parce que chacun fait partie d'une minorité. Mais c'est la grande richesse d'un pays, cette diversité. »

Le Secrétaire général adjoint de l'ONU a fait observer que « les élections sont un moment de rassemblement » qui, si elles ne sont pas bien gérées, peuvent à l'inverse être un moment de division. Il a insisté pour que, dans les 12 mois qui viennent, tous ceux qui le peuvent, contribuent à cette entreprise d'éducation et de discussions publiques.

« Ce que j'ai toujours noté en venant au Congo, c'est que, malgré l'immensité et la grande diversité du pays, de Bunia à Matadi, de Bukavu a Lubumbashi ou à Kinshasa, chacun se sent congolais. C'est la grande force de ce pays d'avoir dans la diversité cette force nationale. Il faut maintenant que les élections soient l'occasion de manifester cette force, d'aller au-delà d'agendas particuliers, de voir l'intérêt national du pays. Vous avez un pays magnifique, un pays avec des ressources extraordinaires [...]. Je pense que les 12 mois qui viennent sont l'occasion de répondre à la communauté internationale, par un engagement fort », a déclaré M. Guéhenno.

« Vous allez montrer que le Congo se rassemble et devient le pôle de stabilité et de prospérité en Afrique centrale. Parce qu'avec un Congo prospère, c'est une partie essentielle de l'Afrique qui abordera l'avenir dans des conditions différentes. Ca sera le bien des Congolais, ça sera aussi le bien de toute l'Afrique», a-t-il ajouté.