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Myanmar : des banques étrangères accusées par un expert de l'ONU de soutenir l’armement de la junte militaire

Un campement dans la province de Rakhine, dans le nord du Myanmar. (photo d'archive)
OCHA/Pierre Peron
Un campement dans la province de Rakhine, dans le nord du Myanmar. (photo d'archive)

Myanmar : des banques étrangères accusées par un expert de l'ONU de soutenir l’armement de la junte militaire

Droits de l'homme

Des banques étrangères facilitent l’accès de la junte militaire du Myanmar aux armes et au matériel connexe qui permettent ainsi au pouvoir militaire de poursuivre sa campagne de violence et de brutalité à l’encontre de la population, a fustigé mercredi un expert indépendant des Nations Unies.

Le nouveau rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a identifié 16 banques dans sept pays qui ont traité des transactions liées aux achats militaires de la junte au cours des deux dernières années. Vingt-cinq autres institutions financières ont également fourni des services de correspondance bancaire aux banques d’État du Myanmar qui sont contrôlées par la junte.

« En s’appuyant sur des institutions financières qui acceptent de traiter avec les banques d’État du Myanmar qu’elle contrôle, la junte a facilement accès aux services financiers dont elle a besoin pour commettre des violations systématiques des droits de l’homme, notamment des attaques aériennes contre des civils », a déclaré Tom Andrews.

16 banques impliquées

Selon l’expert, les banques internationales qui facilitent les transactions incluant les banques d’État du Myanmar risquent fort de faciliter les attaques militaires contre les civils du Myanmar. Il leur demande instamment de cesser de le faire. « Les banques ont l’obligation fondamentale de ne pas faciliter les crimes, y compris les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité », a averti M. Andrews.

Tom Andrews, Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar
UN News/Vibhu Mishra
Tom Andrews, Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar

Plus de 5.000 civils ont été tués par la junte depuis le coup d’État, au moins 3 millions de personnes sont déplacées et plus de 20.000 prisonniers politiques sont toujours derrière les barreaux au Myanmar.

Au cours des six derniers mois, les frappes aériennes militaires contre des cibles civiles ont été multipliées par cinq, tandis que la junte continue de perdre des avant-postes militaires, des territoires et des troupes au profit des forces de résistance.

« La bonne nouvelle est que la junte est de plus en plus isolée. Les achats annuels d’armes et de fournitures militaires effectués par l’armée du Myanmar par l’intermédiaire du système bancaire officiel ont diminué d’un tiers entre l’année se terminant en mars 2023 et l’année suivante, passant de 377 millions de dollars à 253 millions de dollars ».

Une junte de plus en plus isolée

Mais la « mauvaise nouvelle » est que la junte contourne les sanctions et autres mesures en exploitant les lacunes des régimes de sanctions, en déplaçant les institutions financières et en profitant de l’incapacité des États membres à coordonner et à appliquer pleinement les actions.

A ce sujet, le document examine l’évolution spectaculaire du rôle de deux pays de l'Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) en tant que sources d’armes et de fournitures militaires pour la junte.

Après qu’un rapport publié l’année dernière par le Rapporteur spécial a identifié Singapour comme la troisième source d’armes de Naypyidaw, le gouvernement de Singapour a lancé une enquête sur les entités basées à Singapour impliquées dans ce commerce. Au cours de l’année qui s’est achevée en mars 2024, le flux de matériel d’armement à destination du Myanmar provenant de sociétés enregistrées à Singapour a ainsi chuté de près de 90% par rapport à l’année précédente.

Selon M. Andrews, les achats militaires effectués par l’intermédiaire de la Thaïlande ont évolué dans la direction opposée. Au cours de l’année qui s’est achevée en mars 2024, la junte a importé pour près de 130 millions de dollars d’armes et de fournitures militaires auprès de fournisseurs enregistrés en Thaïlande, soit plus du double du total de l’année précédente.

Cibler la banque de référence de la junte

Les banques thaïlandaises ont joué un rôle crucial dans cette évolution. La Siam Commercial Bank, par exemple, a facilité un peu plus de 5 millions de dollars de transactions liées à l’armée du Myanmar au cours de l’année qui s’est achevée en mars 2023, mais ce chiffre est monté en flèche pour atteindre plus de 100 millions de dollars l’année suivante.

« La Thaïlande a la possibilité de suivre l’exemple de Singapour en prenant des mesures qui porteront un coup sévère à la capacité de la junte à poursuivre ses attaques croissantes contre des cibles civiles. Je l’invite à le faire », a fait valoir l’expert.

Plus largement, il juge essentiel que les États intensifient leurs efforts en coordonnant pleinement leurs actions, notamment en comblant les lacunes des régimes de sanctions.

« Les gouvernements qui imposent des sanctions devraient cibler les réseaux qui fournissent du kérosène à la junte. Il est également essentiel qu’ils ciblent la Banque économique du Myanmar, qui n’est pas soumise aux sanctions internationales et qui est devenue la banque de référence de la junte », a-t-il conclu.

NOTE :

Les Rapporteurs spéciaux, les experts indépendants et les groupes de travail font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, le plus grand groupe d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations unies, est le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les parties du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.