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Les enquêteurs de l’ONU sur la Syrie redoutent une réplication de la terreur syrienne en Ukraine

Une jeune fille et une femme passent devant des bâtiments détruits dans la ville de Maarat al-Numaan à Idlib, en Syrie.
UNICEF/Giovanni Diffidenti
Une jeune fille et une femme passent devant des bâtiments détruits dans la ville de Maarat al-Numaan à Idlib, en Syrie.

Les enquêteurs de l’ONU sur la Syrie redoutent une réplication de la terreur syrienne en Ukraine

Droits de l'homme

Les enquêteurs de l’ONU sur la Syrie craignent un air de déjà-vu et une réplication de la terreur syrienne en Ukraine et demandent aux dirigeants mondiaux de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que l’Ukraine ne connaisse un sort similaire à la Syrie.

« Certains d’entre vous se demandent peut-être quelles leçons peuvent être tirées de la crise syrienne - en particulier le rôle de la Russie - lorsque nous examinons ce qui se passe en Ukraine aujourd’hui », s’est interrogé le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU, Paulo Sergio Pinheiro.

« Nous voyons des pratiques similaires dans le conflit que nous voyons actuellement dans un autre pays » que la Syrie, a affirmé à la presse l’enquêteur onusien, tout en relevant que la Russie ne fait qu’assister les autorités en Syrie, contrairement à son offensive en Ukraine.

Selon la Commission d’enquête, le non-respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire en Syrie a érodé le respect des normes fondamentales. Cela a permis de mettre en évidence « le cynisme mortel des acteurs armés, où la force fait le droit et où le déni et l’obscurcissement sont utilisés pour détourner le blâme ou la critique et saper la reddition des comptes ».

Commentant l’actualité sous l’angle syrien, M. Pinheiro a rappelé les tentatives des parties belligérantes de résoudre militairement le conflit syrien au cours de la dernière décennie. Une donne qui a permis « la violation de presque tous les droits humains fondamentaux, la commission de presque tous les crimes contre l’humanité énumérés dans le statut de Rome et de presque tous les crimes de guerre».

Il faut de la « compassion pour tous les Syriens »

« Nous ne pouvons qu’espérer que les dirigeants mondiaux font tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que l’Ukraine ne connaisse un sort similaire », a dit le juriste brésilien. « Nous n’avons pas vu de changement dans la présence russe » en Syrie pour le moment, a affirmé pour sa part un autre membre de la Commission, Hanny Megally. Ce dernier se dit « très inquiet » de retrouver en Ukraine les mêmes violations observées en Syrie.

En attendant, la guerre en Ukraine ne doit pas faire oublier le quotidien des civils syriens, avec un conflit ayant tué des « centaines de milliers de personnes ». Pour les enquêteurs onusiens, dix années de conflit « dévastateur » se sont aussi traduites par le déplacement de la moitié de la population d’avant-guerre. Plus de 100.000 personnes sont également portées disparues.

Plus largement, la « détresse du peuple syrien » n’est pas seulement un avertissement pour d’autres conflits, comme cela est souvent présenté dans les médias. « Mais c’est une situation qui exige toujours une attention diplomatique concertée, une action humanitaire et de la compassion pour tous les Syriens, qu’ils soient en Syrie, réfugiés ou demandeurs d’asile à l’étranger », a insisté Paulo Sergio Pinheiro.

Un homme marche devant des bâtiments détruits à Harasta, en Syrie.
© UNICEF/Amer Almohibany
Un homme marche devant des bâtiments détruits à Harasta, en Syrie.

Poursuite des violences même si certaines parties sont épargnées par des combats actifs

De plus, si certaines parties de la Syrie ne font plus l’objet de combats actifs, la violence contre les civils se poursuit dans tout le pays. Il s’agit notamment « des bombardements dans le nord-ouest, le nord et le nord-est, des assassinats ciblés, des détentions illégales et de la torture », a précisé le président de la Commission.

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Sur le terrain, la période considérée (1er juillet-31 décembre 2021) a été surtout marquée par une intensification des bombardements dans le nord-ouest du pays et par des escarmouches entre l’Armée nationale syrienne (ANS) soutenue par la Turquie et les Forces démocratiques syriennes dans le nord-est.

La Commission a documenté de graves violations des droits de l’homme fondamentaux et du droit international humanitaire par les parties au conflit, notamment des crimes de guerre et des schémas continus de crimes contre l’humanité.

À Idlib et dans l’ouest d’Alep, dans le nord-ouest, les zones résidentielles ont été bombardées sans discernement depuis le sol par les forces pro-gouvernementales. « Parmi les nombreux incidents sur lesquels nous avons enquêté, une mariée a été tuée lors de son mariage avec quatre jeunes sœurs et des enfants ont été bombardés sur le chemin de l’école », a affirmé Hanny Megally.

Les enquêteurs de l’ONU appellent à un réexamen des sanctions internationales

D’une manière générale, les civils sont attaqués au moyen de systèmes d’armes sophistiqués, d’une grande précision et de frappes aériennes - y compris lors de frappes où des avions russes ont été identifiés en train de survoler les zones ciblées.

Plus globalement, face à une « crise humanitaire dévastatrice », et une économie de guerre en chute libre aggravée par la pandémie de Covid-19, les enquêteurs de l’ONU ont demandé un réexamen des sanctions internationales qui touchent parmi les plus vulnérables d’une population civile syrienne ayant enduré plus de dix ans de conflit.

Compte tenu de la détérioration des conditions de vie, la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie a demandé un « réexamen de la mise en œuvre et des effets des sanctions actuellement imposées à la Syrie ». Malgré les exemptions humanitaires, les enquêteurs onusiens estiment qu’il faut « faire davantage pour atténuer les conséquences involontaires » sur la vie quotidienne de la population civile qu’entraîne le « respect excessif des sanctions ». 

« Lorsque les sanctions ne sont pas revues de manière adéquate, elles peuvent entraîner de nouvelles pénuries et entraver l’aide humanitaire, pour les populations les plus vulnérables, avec un impact dévastateur sur tout le monde, à l’exception de l’élite politique et économique », a averti le président de la Commission d'enquête, Paulo Pinheiro.

Entre inflation et craintes sur les « conséquences négatives » de la crise ukrainienne

Avec plus de la moitié de la population d’avant-guerre déplacée et plus de 90% de la population vivant dans la pauvreté, les Syriens sont face à un nouvel abîme, alors que la violence s’intensifie, tant au niveau des escarmouches militaires et des bombardements que des enlèvements et des meurtres en dehors des zones de conflit. Au-delà des lignes de front actives, la vie quotidienne des femmes, des hommes et des enfants syriens est de plus en plus difficile et dangereuse.

Douze millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, et un nombre sans précédent de 14,6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire. De plus, la Syrie est aujourd’hui confrontée à la pire sécheresse qu’elle ait connue depuis des décennies.

De plus, la Commission d’enquête s’est inquiétée des « conséquences négatives » de la crise ukrainienne, qui ne ferait que contribuer à une plus grande pression sur les prix des denrées alimentaires comme le blé. L’inflation monte déjà en flèche et déjà proche de 140% au début de l’année.

Dans ces conditions, le gouvernement syrien a commencé à rationner les produits de première nécessité, notamment le carburant. 

« Les prix des importations ont grimpé en flèche et nous devons nous rappeler que la plupart des importations de blé de la Syrie proviennent d’Ukraine ou de Russie », a fait valoir M. Pinheiro, relevant que cela risque de pousser toujours plus de Syriens dans la pauvreté. « Tels sont les abîmes auxquels est confronté le peuple syrien, pris entre les parties belligérantes et partout réprimé et exploité par les acteurs armés ».