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La détection du virus de la polio dans les eaux usées de Gaza pourrait présager un désastre sanitaire

Les familles de Gaza n’ont qu’un accès limité aux médicaments et aux soins de santé.
© UNRWA
Les familles de Gaza n’ont qu’un accès limité aux médicaments et aux soins de santé.

La détection du virus de la polio dans les eaux usées de Gaza pourrait présager un désastre sanitaire

Aide humanitaire

La présence du virus responsable de la polio a été détectée dans plusieurs échantillons d’eaux usées de Gaza, ont indiqué vendredi des agences humanitaires de Nations Unies, redoutant que la présence du virus ne laisse « présager » d’un véritable désastre sanitaire qui pourrait exposer des milliers d’habitants de l'enclave palestinienne.

Les tests effectués sur les eaux usées révèlent que cette souche est présente dans les eaux stagnantes à Deir al-Balah. Les stations de pompage d’eaux usées ont cessé de fonctionner en raison du manque de carburant, aggravant ainsi la situation sanitaire. La stagnation des eaux usées, combinée à l’amoncellement de déchets et de décombres, crée un environnement propice à la propagation de diverses épidémies.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Réseau mondial des laboratoires de la poliomyélite (GPLN) a isolé le mardi 16 juillet 2024, le poliovirus de type 2 dérivé d’une souche vaccinale (VDPV2) dans six échantillons de surveillance environnementale prélevés le 23 juin 2024 dans les sites de surveillance environnementale de Khan Younis et de Deir al Balah.

Le virus détecté est de type 2, une souche que l'OMS avait déclarée éradiquée depuis 1999. « Il est important de noter que le virus n’a été isolé que dans l’environnement pour le moment », a précisé lors d’un point de presse à Genève, le porte-parole de l’OMS, Christian Lindmeier, ajoutant qu’« aucun cas de paralysie associé n’a été détecté ».

Aucun cas de paralysie signalé

De son côté, l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite précise que pour l’instant, aucun cas de paralysie n’a été signalé ou identifié dans l’enclave palestinienne. Jusqu’à présent, le virus n’a été isolé qu’à partir d’échantillons d’eaux usées. Le virus pourrait donc avoir été isolé du « système d’égouts ».

Mais il aurait pu provenir d’une personne infectée quelque part. « La plupart des personnes qui sont infectées par un poliovirus ne présentent aucun symptôme, elles ne savent donc pas qu’elles sont infectées, mais elles peuvent le transmettre, c’est l’un des dangers de cette maladie », a détaillé à ONU Info, Oliver Rosenbauer, porte-parole de ce programme onusien, relevant que c’est la clé pour essayer de déterminer s’il y a une circulation du virus.

D’une manière générale, chaque fois que les taux de vaccination chutent (pour quelque raison que ce soit, insécurité, conflit ou autre), les risques de réapparition de maladies telles que la polio augmentent.

L'eau et la nourriture sont rares dans la bande de Gaza.
© UNRWA
L'eau et la nourriture sont rares dans la bande de Gaza.

Des taux de couverture vaccinale optimaux avant la guerre

Mais pour limiter efficacement les risques de propagation du poliovirus à Gaza, le ministère de la Santé du territoire palestinien occupé, l’OMS, l’UNICEF et l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) demandent instamment à toutes les parties prenantes de soutenir les efforts d’éradication de la polio. Il s’agit de veiller à ce que tous les enfants soient vaccinés contre la polio à chaque fois qu’ils en ont l’occasion.

Dans le cadre des efforts de riposte, les équipes de l’ONU et leurs partenaires ont procédé à « une évaluation des risques » afin de déterminer « l’ampleur de la propagation du poliovirus » et les mesures appropriées nécessaires pour enrayer toute nouvelle propagation, y compris des campagnes de vaccination rapides.

D’après les données disponibles sur la vaccination de routine, les taux de couverture à Gaza étaient optimaux avant le début de la guerre. La couverture vaccinale contre la poliomyélite (POL3), principalement assurée par la vaccination systématique, était estimée à 89 % en 2023 selon les dernières estimations de l’ONU. Avant la guerre, en 2022, la couverture vaccinale systématique dans le territoire palestinien occupé s’élevait à 95 %.

La polio a été éliminée il y a 25 ans

Dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé, le poliovirus sauvage a été éliminé il y a plus de 25 ans. La surveillance du poliovirus s’est ainsi poursuivie sans aucun signe de poliovirus sauvage.

Maladie virale, la poliomyélite n’est plus endémique à ce jour que dans deux pays : le Pakistan et l’Afghanistan. Mais cette détection, « dans les eaux usées qui s’écoulent entre les tentes des déplacés », « laisse présager un véritable désastre sanitaire et expose des milliers d’habitants au risque de contracter » cette maladie, redoutent les humanitaires.

D’autant que cette alerte intervient dans un contexte où seuls 16 des 36 hôpitaux sont partiellement fonctionnels. Dans le même temps, 45 des 105 centres de soins de santé primaires sont opérationnels.

Après neuf mois de guerre, les stations de pompage des eaux usées à Deir al-Balah, dans le centre du territoire, ont cessé de fonctionner mardi faute de carburant, selon les rapports des médias.

Or selon l’OMS, la décimation du système de santé, le manque de sécurité, les obstacles à l’accès, les déplacements constants de population, la pénurie de fournitures médicales, la mauvaise qualité de l’eau et l’affaiblissement de l’assainissement font baisser les taux de vaccination de routine et augmentent le risque de maladies évitables par la vaccination, y compris la polio. « Cette situation représente un risque pour les enfants et crée un environnement idéal pour la propagation de maladies telles que la polio », a insisté M. Lindmeier.

Les éruptions cutanées et les maladies de la peau

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En écho à ces derniers développements, l’UNRWA évoque des conditions de vie « épouvantables », avec un accès minimal à l’eau. Les familles de Gaza restent confrontées à une situation désastreuse, dont un accès limité à l’hygiène et à l’eau potable. « Il n’y a pas d’hygiène et les maladies se propagent à un rythme alarmant, les familles ayant recours à l’eau de mer pour cuisiner et nettoyer ».

L'UNRWA signale que les éruptions cutanées et les maladies de la peau se répandent plus rapidement dans la bande de Gaza. Les équipes de l'agence onusienne fournissent des médicaments, mais l’agence prévient que sans une amélioration de la situation, le nombre des infections continuera invariablement d’augmenter.

Par ailleurs, le chef de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, a remercié le Royaume-Uni pour la reprise de son financement de l'UNRWA. « Merci au Royaume-Uni pour la confiance renouvelée en l'UNRWA », a-t-il écrit sur la plateforme X.

Le gouvernement britannique avait suspendu  ce financement après des accusations sur la possible implication d'employés de l'agence onusienne dans les attaques du 7 octobre en Israël.

Des Gazaouis se battent pour obtenir le strict minimum

Pour sa part, le Bureau des droits de l’homme de l’ONU fait état d’une situation « vraiment désespérée », avec une population qui « souffre énormément ».

Dans de nombreux abris de fortune pour les personnes déplacées, les gens se battent pour obtenir le strict minimum. Les tentes faites de feuilles de plastique restent généralement la seule protection. Des écoles informelles sous des bâches et des feuilles de plastique voient leur apparition dans une « chaleur étouffante ».

Cette détérioration de la situation humanitaire intervient alors que les habitants de Gaza ont été soumis, la semaine dernière, à une nouvelle vague de frappes aériennes israéliennes meurtrières et ont reçu l’ordre de se déplacer une fois de plus vers de prétendus « lieux sûrs qui sont tout sauf sûrs ».

Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), l’ordre d’évacuation israélien du 9 juillet – « l’un des plus importants » depuis le 7 octobre - a ainsi contraint les familles à un choix impossible : rester au milieu des hostilités actives ou risquer de fuir vers des zones toujours sujettes aux attaques et où il n’y a pratiquement pas d’espace ni de services.

« Les habitants de Gaza ne sont en sécurité nulle part : ni sur les routes, ni dans les abris, ni dans les hôpitaux, ni dans les zones unilatéralement déclarées [zones humanitaires] », a fustigé Ajith Sunghay, Chef du bureau du HCDH pour le Territoire palestinien occupé, qui est revenu hier jeudi d’une mission de deux semaines dans l’enclave.

Depuis le début de la guerre, 625.000 enfants à travers Gaza se sont vu refuser une éducation, les écoles étant contraintes de rester fermées.
© UNRWA
Depuis le début de la guerre, 625.000 enfants à travers Gaza se sont vu refuser une éducation, les écoles étant contraintes de rester fermées.

L’anarchie se répand

Les gens se déplacent du nord au sud, une fois de plus, même s’ils savent que ce voyage est plein de dangers. « L’anarchie se répand. L’environnement hostile dû à la guerre et à l’effondrement de l’ordre civil pose également d’énormes problèmes pour toute réponse humanitaire significative aux besoins considérables de la population », a ajouté M. Sunghay.

Depuis le 12 juillet, 503 Palestiniens ont été tués, principalement dans le centre de Gaza, selon le ministère de la Santé de Gaza. Les 13 et 14 juillet, trois incidents ayant fait de nombreuses victimes dans le quartier d’Al Mawasi à Khan Younis, dans le camp de réfugiés d’Ash Shati’ (plage), à l’ouest de la ville de Gaza, et dans une école de l’UNRWA à An Nuseirat ont tué plus de 124 personnes et en ont blessé des centaines d’autres.

Ces attaques ont été suivies d’autres frappes les 15 et 16 juillet, qui ont touché une école de l’UNRWA à Al Rimal, dans la ville de Gaza, une autre école de l’UNRWA dans le camp de Nuseirat, au centre de Gaza, et une rue dans le quartier d’Al Mawasi à Khan Younis, tuant 59 Palestiniens et en blessant au moins 76 autres.

Les services du Haut-Commissaire Volker Türk font état aussi de conditions ayant conduit à « l’effritement prévisible du tissu social à Gaza », en dressant les gens les uns contre les autres dans une lutte pour la survie et déchirant les communautés. « Il y a des pillages, de la justice populaire, des extorsions de fonds, des conflits familiaux, des tirs aléatoires, à des luttes pour l’espace et les ressources, et nous voyons des jeunes armés de bâtons tenir des barricades », a déploré M. Sunghay.