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 Destruction d'un immeuble résidentiel dans le quartier d'Al-Shaboura dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza.

L'ONU espère pouvoir « inonder Gaza de nourriture » malgré la crainte d'une invasion imminente de Rafah

ONU Info/Ziad Taleb
Destruction d'un immeuble résidentiel dans le quartier d'Al-Shaboura dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza.

L'ONU espère pouvoir « inonder Gaza de nourriture » malgré la crainte d'une invasion imminente de Rafah

Paix et sécurité

La mission primordiale de l'ONU à Gaza, qui consiste à « inonder » l'enclave de nourriture et à éviter une famine, a progressé grâce à l'engagement public d'Israël d'augmenter le flux d'aide, malgré les signes d’une invasion imminente et redoutée de Rafah par l'armée israélienne.

C'est ce qu'a déclaré Jamie McGoldrick, le Coordinateur humanitaire pour le territoire palestinien occupé, lors d'un entretien avec ONU Info, six mois après l'attaque sanglante perpétrée par le Hamas, suivie par les représailles militaires israéliennes. Il a souligné que l'ensemble de l'effort d'aide des Nations Unies visait à sauver des vies « et rien d'autre ».

Le haut responsable humanitaire s'exprimait alors que l'armée israélienne a annoncé dimanche qu'elle avait retiré une division de Gaza pour se préparer à de « futures opérations », à la fin d'une semaine au cours de laquelle les dirigeants israéliens se sont également engagés à augmenter le volume et le flux de l'aide - sous la pression de Washington - bien que l'on ne sache pas exactement quand ces changements de politique se matérialiseront.

M. McGoldrick a déclaré que la combinaison de la pression politique et de la condamnation internationale croissante à la suite de l'assassinat de sept travailleurs humanitaires de l'ONG World Central Kitchen, ainsi que des mois de plaidoyer de l'ONU, devrait se traduire par une augmentation de l'aide pour les habitants désespérés de la bande de Gaza.

« Lentement mais sûrement, les Israéliens prennent conscience de l'ampleur de la crise humanitaire, en particulier dans le nord de la bande de Gaza. Nous espérons qu'avec l'ouverture de tous ces passages, nous pourrons commencer à inonder l'endroit avec de la nourriture et d'autres produits, afin de nous préparer à la suite », a-t-il dit.

L'entretien a été édité pour des raisons de longueur et de clarté.

Jamie McGoldrick, Coordinateur humanitaire par intérim dans le territoire palestinien occupé, rencontrant des représentants du Croissant-Rouge palestinien à Rafah, dans le sud de Gaza
OHCA/oPt
Jamie McGoldrick, Coordinateur humanitaire par intérim dans le territoire palestinien occupé, rencontrant des représentants du Croissant-Rouge palestinien à Rafah, dans le sud de Gaza
ONU Info : S'agissant des informations concernant un retrait des troupes israéliennes du sud de la bande de Gaza, quel est votre commentaire à ce sujet ?

Jamie McGoldrick : Je pense que cette phase de l'opération militaire a dû se terminer à Khan Younis. Je pense que c'est là qu'ils retirent les brigades. Cela signifie qu'avec un peu de chance, ces zones seront beaucoup plus sûres et que les gens pourront peut-être commencer à retourner d'où ils viennent. Mais c'est aussi une question inquiétante dans le sens où ils vont peut-être se regrouper et se préparer à l'incursion envisagée contre Rafah.

ONU Info : Vous avez mentionné qu'Israël s'est engagé à plusieurs reprises à augmenter l'aide à Gaza en réponse aux demandes répétées de l'ONU. Vous avez mentionné sept engagements. Pouvez-vous nous expliquer le plus important d'entre eux ?

Jamie McGoldrick : Eh bien, je pense que le plus crucial d'entre eux est d'obtenir plus d'accès et un flux d’aide plus important vers Gaza. Pour l'instant, nous sommes très limités dans ce que nous pouvons faire entrer.

Nous n'avons qu'un seul point de passage important, celui de Kerem Shalom, à Rafah, qui nous permet d'acheminer 250 camions par jour. Nous devons passer à plus de 500 camions par jour. Et pour ce faire, nous demandons depuis le premier jour qu'il y ait plus de passages terrestres notamment en provenance de la Jordanie. Actuellement, nous n'avons que 100 camions par semaine.

Des enfants remplissent des récipients d'eau potable dans le quartier d'Al-Shaboura à Rafah, au sud de Gaza.
ONU Info/Ziad Taleb
Des enfants remplissent des récipients d'eau potable dans le quartier d'Al-Shaboura à Rafah, au sud de Gaza.

Nous devrions recevoir 30 à 50 camions par jour. Et puis au nord, Ashdod est un port moderne qui fonctionne très bien et nous demandons à ce qu'il soit rouvert. Cela pourrait nous apporter 100 camions supplémentaires par jour.

Ainsi, avec Kerem Shalom, nous aurions près de 500 camions par jour, ce qui répondrait aux besoins sur le terrain. Et surtout, dans le nord, où la famine est imminente.

ONU Info : D'après vos contacts avec la partie israélienne, quand ces engagements seront-ils mis en œuvre et quand pensez-vous que les habitants de Gaza commenceront à en ressentir l'impact ?

Jamie McGoldrick : Nous espérons que ce sera rapide. On nous a dit, lors de nos rencontres vendredi, que ces choses étaient en cours et que des préparatifs avaient lieu. Et nous savons qu'une réunion a eu lieu hier (samedi) en Jordanie avec toutes les parties, les Etats-Unis, l'ONU et les forces armées jordaniennes, afin de trouver un moyen de résoudre le problème du flux d’aide limité dont nous disposons actuellement.

De même, nous faisons pression sur les Israéliens pour savoir quand nous pourrons ouvrir le port d'Ashdod afin d'augmenter les approvisionnements et de les acheminer directement à Erez, ou à l'un des autres points de passage du nord, sans avoir à passer par le sud.

Je pense que cela nous permettrait d'augmenter très rapidement la quantité de nourriture acheminée. Pour l'instant, nous ne recevons que 10 à 20 camions par jour dans le nord, et nous avons besoin de 30 camions tous les jours sans exception, afin que nous puissions faire face à la grave insécurité alimentaire et surtout à la famine imminente parmi les groupes les plus vulnérables de la région.

ONU Info : Les engagements vont de la planification à l'intention, en passant par les assurances. Sont-ils suffisants pour mettre en œuvre le bond en avant que l'ONU a demandé pour l'acheminement de l'aide et pour éviter la famine imminente à Gaza ?

Jamie McGoldrick : Non, je pense que ce que nous avons sur la table, ce sont les développements qui nous ont été promis. Et comme vous vous en souvenez, ils sont le fruit d'une longue campagne de plaidoyer menée par nous-mêmes et par l'équipe de pays pour obtenir cet accès, pour obtenir une meilleure déconfliction et une meilleure interface avec l'armée israélienne.

Et, tragiquement, cela n'a été possible qu'à la suite de l'incident très grave qui s'est produit l'autre jour, au cours duquel sept personnes de World Central Kitchen ont été tuées, et aussi à la suite d'une pression politique exercée par le Président américain Biden et d'appels téléphoniques au Premier ministre Netanyahou.

Je pense que tous ces éléments se sont combinés à peu près en même temps au cours de cette semaine, ce qui nous a permis de commencer à obtenir certaines des concessions que nous demandions depuis un certain temps.

Je pense que nous ne devrions pas nous attendre à ce qu'elles soient toutes mises en œuvre immédiatement, mais que nous pouvons commencer à y travailler.

En ce moment, nous avons des délégations de haut niveau dans la région et à Tel-Aviv, qui se mobilisent sur un certain nombre de questions, y compris toutes ces nouvelles promesses ou concessions qui nous ont été accordées.

ONU Info : Vous avez mentionné qu'Israël a reconnu ces derniers jours l'immense ampleur des souffrances à Gaza et sa propre capacité à faciliter l'augmentation de l'aide. Est-ce une façon de dire que les Nations Unies étaient prêtes à faire tout ce qu'elles pouvaient mais qu'il y avait tellement de contraintes ? D'après vous, les autorités israéliennes n'étaient-elles pas au courant de l'immensité des souffrances et de leur capacité à faciliter l'aide ?

Jamie McGoldrick : Je pense qu'il faut reconnaître qu'il n'y a pas qu'un seul Israël. Je veux dire qu'il ne s'agit pas d'un corps homogène. Il y a le côté politique, qui penche beaucoup vers la droite aujourd'hui.

Vous avez également un cabinet de guerre composé de personnes qui ont des objectifs de guerre très sérieux après les événements tragiques du 7 octobre. Enfin, la société civile fait pression pour que les otages soient libérés.

Il s'agit de la combinaison de la société civile israélienne et des responsables politiques. Et puis il y a l'armée, l'armée elle-même, Tsahal, l'administration de liaison et de coordination, et le COGAT, qui est l'organe avec lequel nous traitons régulièrement. Il y a donc de nombreuses parties fragmentées.

Nous devons donc trouver un moyen de les convaincre ou de leur faire comprendre. C'est ce qui s'est produit, lentement mais sûrement. Et je pense que c'est le résultat direct des preuves que nous avons apportées, à savoir que plus d'enfants qu'il n'aurait dû y en avoir sont morts de malnutrition et d'émaciation dans le nord.

Ils devraient comprendre pourquoi nous sommes là et ce que nous essayons de faire, et ce n'est que pour sauver des vies et rien d'autre.

J'ai moi-même vu à l'hôpital de Kamal Adwan, il y a deux semaines, la profondeur et la gravité de la souffrance des gens dans le service pédiatrique, une chose qui ne devrait pas se produire à notre époque.

Je pense que cette situation, combinée à la politique, à la pression et au plaidoyer au plus haut niveau, de personnes comme le Président Biden et toute l'équipe qui s'est rendue dans la région à cette fin, a permis d'aboutir à une reconnaissance générale du fait que des progrès n'ont pas été accomplis et que nous dénonçons ce problème depuis longtemps.

Et que c'est maintenant que nous commençons à voir cette réalisation dans les différents secteurs d'Israël, comprenant qu'ils doivent faire plus avec nous et nous permettre de faire plus pour la population de Gaza, et qu'ils ne devraient pas être méfiants.

Ils doivent comprendre pourquoi nous sommes là et ce que nous essayons de faire, c'est-à-dire sauver des vies et rien d'autre.

 Une tente construite avec des boîtes de conserve au milieu d'un abri de fortune à Deir Al-Balah, Gaza.
ONU Info/Ziad Taleb
Une tente construite avec des boîtes de conserve au milieu d'un abri de fortune à Deir Al-Balah, Gaza.
ONU Info : Et si ces engagements sont tous mis en œuvre, quels seront les autres défis que vous redoutez pour la fourniture de l'aide ?

Jamie McGoldrick : Je pense que nous sommes actuellement confrontés à une situation très instable et à une activité militaire très hostile. Des millions de personnes souffrentTout le monde dans la bande de Gaza a besoin de notre soutien.

La question du maintien de l'ordre y est certainement pertinente, car les gens sont désespérés. C'est pourquoi, lorsqu'ils voient des camions, ils viennent les attaquer, les piller et les saccager.

Cela signifie qu'une partie de la nourriture ne parvient pas à toutes les personnes qui devraient en bénéficier. Il est donc important pour nous de stabiliser la situation. Et la façon de stabiliser les choses est de submerger l'enclave, de l'inonder de nourriture partout.

Nous devons la démonétiser, enlever sa valeur. Ainsi, la stabilité que cela entrainerait nous permettrait de fournir l'aide plus facilement.

Nous devons donc changer cela - l'instabilité, l'anarchie, le vide sécuritaire - et disposer d'une quantité massive de nourriture, car nous savons que l'incursion de Rafah est imminente et que nous devons être en mesure de prépositionner des stocks. Et pour l'instant, nous ne pouvons pas le faire.

ONU Info : Quand vous dites que nous savons que l'incursion de Rafah est imminente, vous n'avez aucun espoir que cela puisse être évité ?

Jamie McGoldrick : Je pense qu'ils sont à l'écoute. Mais je pense qu'ils ont aussi des objectifs de guerre, qui l'emportent sur les objectifs humanitaires.

Je pense que [les Israeliens] ont aussi des objectifs de guerre, qui l'emportent sur les objectifs humanitaires

Et je pense que nous devons être en mesure de reconnaître que pour eux, la guerre n'est pas terminée. Et je pense que le retrait de Khan Younis a pour but de les préparer à la suite.

En ce qui nous concerne, nous ne jouons aucun rôle dans les mouvements de population. Mais nous devons nous préparer à l'éventualité que des personnes quittent Rafah, parce qu'il y a très peu d'endroits où elles peuvent aller. 

Nous avons vraiment du mal à prépositionner suffisamment de matériel, d'articles non alimentaires, d'abris, et d'eau, en particulier à cette époque de l'année où il fait si chaud, ainsi que la possibilité d'avoir un soutien et une protection sanitaires mobiles.

Tous ces éléments constituent donc de véritables enjeux pour nous, et nous ne disposons pas des capacités, des ressources et de l'expertise nécessaires à l'heure actuelle. Et nous avons vraiment du mal à nous préparer.

Espérons qu'avec l'ouverture de tous ces passages dans le nord, nous pourrons commencer à inonder la région avec de la nourriture et d'autres produits, afin de nous préparer à tout ce qui se passera ensuite.

ONU Info : En gros, vous êtes dans une course contre la montre ?

Jamie McGoldrick : C'est vrai, pour l'instant, nous vivons au jour le jour. 

Nous arrivons à peine à faire face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Et bien sûr, cela n'inclut pas le nord, dont les besoins humanitaires sont encore plus alarmants. Tant que nous n'aurons pas réglé ce problème, nous ne serons pas en mesure de dire que nous pouvons constituer des stocks, comme c'est le cas dans d'autres situations d'urgence, d'autres catastrophes.

Et pourtant, la planification d'une incursion à Rafah, qui pourrait déplacer jusqu'à 800.000 personnes, est en cours.