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A New York, une expo photos raconte la « vie d’après » de survivants de crimes de guerre en RDC

Atteinte par une balle tirée par des membres d'une milice en RDC, Virgine a reçu en 2016 une prothèse de jambe, grâce au projet d'assistance du Fonds au profit des victimes de la CPI
© Finbarr O'Reilly pour la Fondation Carmignac / CPI
Atteinte par une balle tirée par des membres d'une milice en RDC, Virgine a reçu en 2016 une prothèse de jambe, grâce au projet d'assistance du Fonds au profit des victimes de la CPI

A New York, une expo photos raconte la « vie d’après » de survivants de crimes de guerre en RDC

Droit et prévention du crime

Une exposition photos intitulée « La vie après un conflit », présentée au siège de l'ONU à New York en partenariat avec la Cour pénale internationale (CPI), illustre notamment le quotidien de survivants de violences dans l’est de la République démocratique du Congo ayant bénéficié de réparations initiées par la Cour pour rebâtir leur vie.  

Exposée au siège des Nations Unies jusqu’à la fin du mois de juillet, l'exposition présente, sous forme de portraits, les premiers témoignages publics de Congolais bénéficiaires de décisions de la justice de la CPI, dont on célèbre cette année les vingt ans d’existence. 

Tour à tour pudique et percutant, le photographe canadien Finbarr O’Reilly a documenté comment des survivants de conflits gèrent les conséquences et les réparations des crimes de guerre. Il donne un aperçu incisif de la vie quotidienne d’individus surpassant leur traumatisme. 

Dans un salon de coiffure dans la ville de Bunia, le 16 mai 2021, mise en état de siège ce mois-ci par le gouvernement de la RDC à la suite de violences.
@Finbarr O'Reilly pour la Fondation Carmignac
Dans un salon de coiffure dans la ville de Bunia, le 16 mai 2021, mise en état de siège ce mois-ci par le gouvernement de la RDC à la suite de violences.

Présente en République démocratique du Congo (RDC) depuis 2004, la Cour y a traité trois affaires soldées par des condamnations et des processus de réparations. Les juges peuvent en effet condamner le ou les coupables à dédommager leurs victimes, et les photographies de M. O'Reilly, lauréat d'un prix de la Fondation Carmignac ayant permis de financer le reportage, retracent le parcours d’une poignée d’entre elles - Dorika, Maria, Baudouin, Virginie... - en montrant comment elles tentent de reconstruire leur vie.

Individuelles ou collectives, les réparations en RDC consistent en compensations financières, en restitutions de biens, en réhabilitations ou en mesures symboliques, telles que des excuses publiques ou des monuments commémoratifs.

« Le cas échéant, la Cour peut ordonner que la réparation soit versée par l’entremise du Fonds au profit des victimes », met en contexte le juge Antoine Kesia-Mbe Mindua, Second Vice-président de la Cour pénale internationale, dans une postface de l’ouvrage photographique signé de M. O’Reilly, « Congo, une lutte sublime », rassemblant ses reportages réalisés l'an dernier dans les provinces d‘lturi et du Nord-Kivu.

Le cycle complet de la justice

« Si la personne condamnée est indigente, le Fonds aux profits des victimes a pour mission de prendre le relais afin que les victimes reçoivent toujours l’intégralité de leurs réparations. Et s’il n’y a pas condamnation, celles-ci peuvent quand même bénéficier d’un programme d’assistance. Le cycle complet de la justice va donc de l’ouverture d’une instruction par le bureau du procureur à la mise en oeuvre des réparations dans les communautés de victimes "si la ou les personnes sont jugées coupables au-delà d’un doute raisonnable." Cette voie judiciaire originale, qui mène des procès à l’apaisement et à la réconciliation, est celle d’une paix durable pour tous », souligne le magistrat de la CPI.

Survivante d'un viol en temps de conflit, Dorika, aujourd'hui âgée de 18 ans, fabrique et vend des vêtements pour gagner sa vie dans le Nord-Kivu en RDC. Elle prévoit d'économiser suffisamment d'argent pour acheter son propre lopin et construire une maiso
© Finbarr O'Reilly pour la Fondation Carmignac / CPI
Survivante d'un viol en temps de conflit, Dorika, aujourd'hui âgée de 18 ans, fabrique et vend des vêtements pour gagner sa vie dans le Nord-Kivu en RDC. Elle prévoit d'économiser suffisamment d'argent pour acheter son propre lopin et construire une maison pour elle et sa fille.

Depuis vingt ans, la CPI se consacre à rencontrer les survivants des conflits, leurs familles et les membres de leurs communautés également touchés, par le biais de programmes de sensibilisation. Elle s'efforce de promouvoir un monde plus pacifique et plus juste en favorisant l’accès à la justice, en demandant des comptes et en contribuant à dissuader les crimes. 

L'extraction de minerais, un thème central

Dans ses reportages, M. O’Reilly s’attaque aux thèmes centraux de la sécurité et des droits humains dans l’est de la RDC, en explorant leurs liens avec les bouleversements environnementaux et climatiques, l’histoire coloniale du pays et l’impact de l’exploitation permanente des industries extractives sur la vie des Congolais. 

M. O’Reilly raconte lors d'une rencontre avec ONU Info avoir documenté l’état sécuritaire encore très fragile de la région malgré des décennies de conflits, sur fond d’enjeux de pouvoir autour de l’exploitation du sous-sol (avec un reportage sur les conditions d’extractions indignes autour de la ville d’Iga Barrière) ; des stigmates de la colonisation  (avec une série d’installations minières coloniales fantômes dans la région aurifère de Kilo-Moto) ; de luttes interethniques et de tensions régionales.

La RDC reste l’un des pays les plus pauvres au monde, après des siècles d’exploitation et de dépossession. 

Traumatisme colonial

Le reportage sur les mines d’or d’Iga Barrière pointe « le lien direct entre la lutte quotidienne pour la survie, la précarité de l’existence dans les communautés environnantes et l’incidence durable du traumatisme colonial et de la dégradation environnementale. Cette dégradation, combinée à l’instabilité civile et aux déplacements de populations, affecte directement les moyens d’existence, la sécurité alimentaire, la santé et l’éducation des enfants, souvent employés dans les mines dans des conditions déplorables », explique Finbarr O’Reilly.

Une série visuellement des plus impressionnantes est consacrée à l’éruption en mai 2021 dans l’est de la RDC du Mont Nyiragongo, qui a déplacé jusqu'à 650.000 personnes en une semaine, provoquant des pénuries d'eau, et d'électricité, ainsi que la destruction de maisons et de moyens d’existence à Goma, l’une des plus grandes villes du pays. 

Fumée dans le cratère du Mont Nyamulagira, dans l'est de la République démocratique du Congo, dimanche 30 mai, huit jours après l'éruption du Mont Nyiragongo, qui a forcé l'évacuation d'une grande partie de la ville voisine de Goma, faisant 32 morts et 20
Finbarr O'Reilly pour la Fondation Carmignac / CPI
Fumée dans le cratère du Mont Nyamulagira, dans l'est de la République démocratique du Congo, dimanche 30 mai, huit jours après l'éruption du Mont Nyiragongo, qui a forcé l'évacuation d'une grande partie de la ville voisine de Goma, faisant 32 morts et 20 000 sans-abri.

« Une telle dévastation aurait pu être anticipée et gérée, mais des défaillances dans le système d’alerte rapide, l’impréparation générale, la pauvreté, la corruption et la pression des conflits prolongés et des épidémies ont laissé la ville à nu », explique Finbarr O’Reilly.

« Cette éruption a montré, une fois de plus, que les événements catastrophiques agissent comme des verres grossissants, révélant ici les inégalités et les vulnérabilités créées par des conflits de longue date et des faiblesses structurelles », ajoute le photographe.