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La justice est « considérablement affaiblie » au Venezuela, selon la cheffe des droits de l’homme de l’ONU

Gabriela a quitté le Venezuela pour trouver de meilleures opportunités de travail. Au cours de son voyage, elle a souvent été agressée et insultée.
Photo : OIM/Muse Mohammed
Gabriela a quitté le Venezuela pour trouver de meilleures opportunités de travail. Au cours de son voyage, elle a souvent été agressée et insultée.

La justice est « considérablement affaiblie » au Venezuela, selon la cheffe des droits de l’homme de l’ONU

Droits de l'homme

L’indépendance du système judiciaire au Venezuela est « considérablement affaiblie », a affirmé mercredi le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).

Dans un rapport présenté devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les services de la Haut-Commissaire Michelle Bachelet ont ainsi identifié plusieurs facteurs qui affaiblissent considérablement l’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment l’insécurité du mandat des juges ou l’absence d’un processus transparent pour leur désignation. Le document évoque aussi les conditions de travail précaires et les restrictions à la liberté d’association.

De façon générale, le HCDH reste préoccupé par le manque d’indépendance du système judiciaire au Venezuela. Le HCDH relève en particulier la « pression politique » exercée sur les juges, sous forme notamment de « menace de licenciement ».

Les victimes et leurs familles ont le droit de connaître la vérité et d’obtenir justice - Michelle Bachelet, Haut-Commissaire aux droits de l'homme

Cette situation qui contribue à l’impunité et à la persistance des violations de ces droits, empêche aussi le pouvoir judiciaire d’agir de manière indépendante pour protéger les droits de l’homme, souligne le Haut-Commissariat.

D’autant que sur le terrain, malgré les récents efforts déployés par le Bureau du procureur général pour enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité, l’absence de reddition des comptes est particulièrement importante pour « les meurtres commis dans le cadre des manifestations, d’opérations de sécurité », et pour les « allégations de torture et de mauvais traitements ».

Le rapport indique également que les victimes de violations de droits humains continuent de se heurter à des obstacles juridiques, politiques et socio-économiques persistants dans l’accès à la justice.

Mme Bachelet demande également « l’arrêt immédiat de tous les actes d’intimidation, de menaces et de représailles des membres des forces de sécurité à l’encontre des proches des victimes de violations des droits humains qui demandent justice ».

« Les victimes et leurs familles ont le droit de connaître la vérité et d’obtenir justice, et de ne pas être harcelées et revictimisées par ceux dont le travail devrait être de les protéger », a-t-elle regretté.

Pendant la pandémie de Covid-19, des aliments sont livrés aux communautés prioritaires du Venezuela.
© UNICEF/Alajandra Pocaterra
Pendant la pandémie de Covid-19, des aliments sont livrés aux communautés prioritaires du Venezuela.

L’ONU exhorte Caracas à démanteler les gangs criminels qui exploitent les mines

Dans ses recommandations, le Haut-Commissariat appelle donc Caracas à mener à bien les réformes du système judiciaire annoncées en janvier dernier afin de garantir notamment « son indépendance, son impartialité et sa transparence ».

« J’appelle le gouvernement vénézuélien à entreprendre et à achever les réformes annoncées du système judiciaire pour garantir son indépendance et son impartialité, à mettre fin à l’utilisation de la justice militaire pour juger des civils, et à s’acquitter de son obligation d’enquêter sur toute allégation de torture et de mauvais traitements », a déclaré Mme Bachelet, dans un communiqué.

Par ailleurs, le rapport de l’ONU s’est également penché sur le contrôle pénal des zones minières. Certaines mines d’or, de diamant et de bauxite sont largement contrôlées par des gangs criminels qui exploitent, battent et même tuent les travailleurs, souligne le document qui montre comment ces groupes criminels - connus localement sous le nom de « sindicatos » - exercent un contrôle sur un grand nombre d’opérations minières dans l’Arc minier de l’Orénoque («Arco Minero del Orinoco »), connu sous l'acronyme d'AMO.

J’appelle le gouvernement vénézuélien à entreprendre et à achever les réformes annoncées du système judiciaire pour garantir son indépendance et son impartialité - Michelle Bachelet

« Ils déterminent qui entre et sort de la zone, imposent des règles, infligent des punitions sévères à ceux qui les enfreignent et tirent un bénéfice économique de toute activité dans la zone minière, y compris par l’extorsion en échange d’une protection », indique le rapport.

Le document détaille comment les groupes maintiennent leur présence et leurs activités illégales dans les mines par un système de corruption et de pots-de-vin qui inclut le paiement de commandants militaires.

Les forces militaires et de sécurité vénézuéliennes ne parviennent pas à prévenir les crimes et ont participé à certaines violences contre les mineurs.

« Malgré la présence considérable des forces de sécurité et des forces militaires dans la région, et les efforts entrepris pour lutter contre les activités criminelles, les autorités n’ont pas réussi à enquêter et à poursuivre les violations des droits de l’homme, ainsi que les abus et les crimes liés à l’exploitation minière », a déclaré Michelle Bachelet.

Dioximar Guevara vit avec ses cinq enfants à San Felix, un bidonville de Puerto Ordaz, la principale ville de Bolívar, au Venezuela, où la pauvreté est profonde.
Photo OCHA/Gemma Cortes
Dioximar Guevara vit avec ses cinq enfants à San Felix, un bidonville de Puerto Ordaz, la principale ville de Bolívar, au Venezuela, où la pauvreté est profonde.

Près de 150 décès dans ou autour des mines entre mars 2016 et 2020

Selon les services de Mme Bachelet, une grande partie de l’activité minière au sein et au-delà de l’AMO est contrôlée par des groupes criminels organisés ou des éléments armés.

Près de 150 hommes et femmes seraient morts dans ou autour des mines entre mars 2016 et 2020, les forces de sécurité étant impliquées dans certains de ces incidents. Selon les témoignages reçus, les corps des mineurs sont souvent jetés dans de vieilles fosses minières utilisées comme tombes clandestines. 

Les autorités devraient prendre des mesures immédiates pour mettre fin à l’exploitation du travail et à l’exploitation sexuelle - Michelle Bachelet

Les personnes interrogées ont indiqué que des peines sévères sont infligées à ceux qui ne respectent pas les règles imposées par les groupes criminels. En plus des coups sévères, ces peines comprennent le fait de se faire tirer dans les mains ou de se faire couper une main, ainsi que les meurtres

Sur un autre plan, les mineurs, qui comprennent de jeunes enfants même de neuf ans, n’ont pas de contrat de travail et sont exposés à la contamination au mercure et à la malaria, selon le rapport.

Les mineurs travaillent par roulement de 12 heures, descendant dans des puits profonds sans aucune protection. Ils sont tenus de verser environ 10 à 20% de leur salaire aux groupes criminels qui contrôlent les mines, et 15 à 30% supplémentaires au propriétaire de l’usine où les roches sont broyées pour extraire l’or et d’autres minéraux. 

Les femmes exercent également des activités minières et d’autres emplois connexes. Depuis 2016, il y a eu une forte augmentation de la prostitution, de l’exploitation sexuelle et de la traite dans les zones minières, y compris des adolescentes.

« Les autorités devraient prendre des mesures immédiates pour mettre fin à l’exploitation du travail et à l’exploitation sexuelle, au travail des enfants et à la traite des êtres humains, et devraient démanteler les groupes criminels qui contrôlent les activités minières », a plaidé Mme Bachelet.

Caracas rejette le rapport de l’ONU

S'exprimant au titre de pays concerné, le Représentant permanent du Venezuela auprès de l’ONU à Genève,  a réitéré son rejet de résolution « de points spécifiques sur les États souverains, car cette pratique attaque les principes du multilatéralisme sur lesquels se fondent les travaux du Conseil et de l'ensemble des Nations Unies ». 

« Les principes d'universalité, d'objectivité et de non-sélectivité doivent être appliqués, afin d'éviter la manipulation et la pratique de deux poids deux mesures qui ont été à l'origine de cette résolution », a déclaré l’Ambassadeur Jorge Valero, dans un message vidéo. 

À aucun moment le pays n’a consenti à participer à son élaboration - Jorge Valero, Représentant permanent du Venezuela

« À aucun moment le pays n’a consenti à participer à son élaboration », a-t-il ajouté, rejetant ainsi « toutes les recommandations dudit rapport ».

« Le Venezuela est un pays souverain qui doit faire face à de nombreux défis en raison des mesures coercitives unilatérales mises en place par les États-Unis d'Amérique », a insisté le Représentant permanent. 

En conclusion, Caracas réitère son désir de continuer à coopérer avec le Haut-Commissariat et le Conseil des droits de l'homme de l’ONU.