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Aide au développement : colère et espoir de l'Envoyé de l'ONU pour le sida en Afrique

Aide au développement : colère et espoir de l'Envoyé de l'ONU pour le sida en Afrique

Stephen Lewis
C'est un mélange de colère et d'espoir qu'a laissé transparaître Stephen Lewis, Envoyé de l'ONU pour le SIDA en Afrique, lors du lancement de la campagne « Faire de la pauvreté un élément du passé » : colère après le récent échec des pays du G7 à trouver un accord sur l'annulation de la dette en Afrique et espoir de voir un réel engagement des pays riches au prochain Sommet du G8, pour que 2005 soit un « tournant » dans l'histoire de la lutte contre la pauvreté.

« Pour faire de la pauvreté un élément du passé, il faut faire passer le sida aux oubliettes de l'histoire » et « pour réaliser les deux, il faut que le monde occidental, et le G7 en particulier, applique la série d'engagements qu'il a pris », a déclaré aujourd'hui Stephen Lewis, Envoyé spécial de l'ONU pour le SIDA en Afrique, dans un discours prononcé à Ottawa, à l'occasion du lancement au Canada de la campagne « Faire de la pauvreté un élément du passé ».

Cette campagne, menée par une coalition d'organisations caritatives basée au Royaume-Uni, a pour objectif de faire de 2005 l'année de l'aide pour le continent africain, une année qui, selon Stephen Lewis, pourrait constituer un « tournant » dans l'histoire de la lutte contre la pauvreté dans le monde.

« Depuis plusieurs années maintenant, depuis qu'il est devenu évident que l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne pourrait pas faire l'affaire, les pays du G7 discutent de solutions alternatives pour réduire de manière significative ou éliminer la dette en Afrique », a rappelé l'Envoyé spécial de l'ONU.

L'initiative en faveur des PPTE est un dispositif global de réduction de la dette des pays pauvres très endettés qui appliquent des programmes d'ajustement et de réforme appuyés par le FMI et la Banque mondiale. À ce jour, des allégements de dette ont été approuvés en faveur de 27 pays, dont 23 en Afrique, pour un montant total de 32 milliards de dollars.

Certes tous les pays du G7 ont réduit de manière bilatérale la dette, mais selon Stephen Lewis, « ils restent inflexibles sur les dettes contractées au sein des institutions financières internationales », c'est-à-dire la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque de développement africaine.

« Entre 1970 et 2002, les pays africains les plus pauvres ont reçu 294 milliards de dollars sous forme de prêts, ont remboursé avec les intérêts la somme de 298 milliards de dollars et ils doivent encore 200 milliards », a rappelé Stephen Lewis à propos de ces « calculs à la Docteur Folamour ».

« Les ministres des Finances des pays du G7, qui se sont rencontrés à Londres le week-end dernier, ont échoué, une fois de plus, à trouver un accord sur l'annulation de la dette en Afrique », a regretté Stephen Lewis.

« Un nouveau coupé porté au continent africain », s'est-il exclamé. Une « déception » qui est d'autant plus « amère » que « les gouvernements et les commentateurs avaient essayé de faire bonne figure, mais la vérité c'est que les pays du G7, apparemment sur la voie de l'élimination de la dette et de l'augmentation de l'aide, ont lamentablement échoué dans les deux domaines », a-t-il ajouté.

Estimant que « cela devait être irritant pour les gouvernement africains », Stephen Lewis a souligné qu'apparemment, « le G7 n'éprouve aucun problème à annuler une grande partie de la dette irakienne ».

« Il semble que proposer un moratoire de la dette des pays dévastés par le Tsunami puisse devenir à la mode instantanément. Mais quand il s'agit de l'Afrique, tout prend une éternité », s'est-il insurgé.

« Si le fardeau de la dette en Afrique disparaissait, les pays africains auraient une augmentation suffisante de leurs ressources pour lutter contre la pauvreté, envoyer les enfants à l'école, acheter des insecticides pour les moustiquaires qui permettraient de lutter contre le paludisme, et lutter contre l'épidémie du sida », a-t-il expliqué.

« Depuis 20 ans maintenant, depuis la Session extraordinaire qui s'est tenue aux Nations Unies en 1986, les pays du G7 ont échoué à tenir leurs engagements en faveur de l'Afrique », a déploré Stephen Lewis.

« Le prochain sommet du G8 qui aura lieu à Gleneagles en Ecosse au mois de juillet prochain représentera le moment de la rédemption », a-t-il espéré, expliquant que d'une certaine manière, tout reposait sur les épaules du Royaume-Uni qui tient cette année la présidence du G8 et celle de l'Union européenne et qui publiera au mois de mars prochain le rapport de la Commission pour l'Afrique.

Créée en février 2004 par le Premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, la Commission internationale pour l'Afrique est chargée de proposer de nouvelles pistes pour aider le continent africain, avant la tenue du prochain sommet du G8.

« Tout cela est de bonne augure parce que l'on ne peut pas nier l'extraordinaire engagement de Tony Blair et de Gordon Brown pour l'Afrique », a remarqué Stephen Lewis.

Le ministre des Finances britannique Gordon Brown a lancé récemment l'idée d'un « Plan Marshall pour l'Afrique », en référence au plan Marshall qui a permis de reconstruire l'Europe en 1945, dans lequel il propose notamment d'annuler la dette des pays pauvres, à hauteur de 80 milliards de dollars, et de doubler le montant de l'aide publique au développement, jusqu'à 100 milliards de dollars par an.

Stephen Lewis a regretté cependant l'éternel fossé qui existe entre la « parole » et la « réalité ».

« Les Etats-Unis parlent d'annulation de la dette, mais avec un grand nombre de conditions– qui sont par conséquent inacceptables. Le Royaume-Uni promeut le 'Financement du développement par l'emprunt', une idée soutenue par la France, l'Allemagne et l'Italie, mais désapprouvée par les Etats-Unis, le Japon et le Canada.

Certains pays du G7 avancent l'idée de la vente de l'or du FMI pour couvrir les coûts de l'annulation de la dette, mais d'autres, notamment le Canada, y résistent. Les Français et les Japonais proposent une taxe sur les transactions financières internationales mais la réception de cette idée reste très froide ».

Dans un discours de référence prononcé hier à Londres, le Secrétaire général avait salué l'engagement pris le Royaume-Uni d'augmenter à 0,7¨% du PIB l'aide publique au développement mais rappelé que si l'on voulait atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement d'ici à 2015, il fallait augmenter l'aide dès maintenant.

« C'est pourquoi des idées comme le 'Financement du développement par l'emprunt' sont si importantes », avait-il ajouté.

Le 'Financement du développement par l'emprunt' (ou International Financial Facility) est une idée, lancée en 2003 par Gordon Brown, qui propose aux pays pauvres d'emprunter sur les marchés financiers au moyen d'obligations garanties à long terme par les États riches.

La directrice de l'agence de l'ONU pour les établissement humains (ONU-Habitat), avait appuyé hier, lors d'une conférence de presse au Siège de l'ONU à NewYork, l'idée britannique d'un « plan Marshall pour l'Afrique » et souhaité également que Tony Blair profite, comme il l'avait promis, de la présidence du G8 et de celle de l'Union européenne pour faire avancer l'engagement de la communauté internationale en Afrique (voir notre dépêche du 10 février).