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A Davos, Kofi Annan dresse un bilan de ses deux mandats à la tête de l'ONU

A Davos, Kofi Annan dresse un bilan de ses deux mandats à la tête de l'ONU

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A Davos, le Secrétaire général a dressé aujourd'hui un premier bilan de ses deux mandats (1997-2006) à la tête des Nations Unies, une organisation dans laquelle il a essayé inlassablement de « changer les mentalités », un instrument devenu « de plus en plus souple » dont les États membres attendent « des prestations de plus en plus diverses ».

« Ce titre exprime quelque chose que je m'efforce de concrétiser depuis neuf ans », a déclaré aujourd'hui le Secrétaire général, dans un discours prononcé au Forum économique de Davos, réuni en séance plénière sur le thème « Une nouvelle mentalité pour l'ONU ».

« En 1999, lorsque je suis venu ici demander que soit conclu un Pacte mondial entre l'ONU et le secteur privé, nombre de mes collègues au Secrétariat – et bien des représentants d'États Membres – ont été à peine moins choqués que si j'avais proposé un pacte avec le diable », a ironisé Kofi Annan.

« C'est cette mentalité que j'ai essayé de changer pendant toute la durée de mon mandat – en luttant contre l'idée que les relations internationales ne sont rien d'autre que des relations entre États et que l'ONU n'est guère plus qu'un syndicat pour gouvernements », a-t-il expliqué.

« Quand je suis entré en fonctions, les opérations de maintien de la paix de l'ONU étaient largement considérées comme des expériences ratées en raison des événements tragiques qui s'étaient déroulés en Bosnie, en Somalie et au Rwanda », a-t-il rappelé.

« Les soldats de la paix, surtout dans les pays où les conflits font toujours rage

– où il n'y a littéralement pas de paix à maintenir – continuent de faire face à d'innombrables problèmes. Et pourtant, aujourd'hui, 85.000 personnes sont affectées à des opérations de maintien de la paix de l'ONU sur quatre continents. Dans la plupart des cas, il ne s'agit pas pour elles d'observer passivement une trêve mais de participer activement à la mise en œuvre d'accords de paix, en aidant les peuples de pays déchirés par les conflits à opérer la transition de la guerre à la paix », a-t-il souligné.

« La dernière décennie a également vu s'intensifier le recours aux sanctions économiques de l'ONU. Ces sanctions sont maintenant utilisées pour influencer ou restreindre l'activité non seulement d'États récalcitrants mais également d'acteurs non étatiques, tels des mouvements rebelles ou des groupes terroristes. Parallèlement, le Conseil de sécurité les a rendues plus subtiles et plus humaines, en visant des particuliers plutôt que des sociétés entières – par exemple, en recourant aux interdictions de voyager et au gel de comptes en banque », a affirmé le Secrétaire général.

« Le même principe, qui consiste à punir des particuliers plutôt que des collectivités, a guidé les activités des tribunaux pénaux des Nations Unies pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie – dont l'un a été le premier tribunal international à prononcer des condamnations pour génocide (y compris à l'encontre d'un ancien Premier Ministre) et pour viol en tant que crime de guerre, et l'autre à mettre en accusation et à juger un ancien chef d'État », a continué Kofi Annan.

« Cette évolution a conduit à son tour à d'autres innovations, notamment au tribunal 'mixte' en Sierra Leone et, bien sûr, à la Cour pénale internationale. Bien que celle-ci ne soit pas un organe de l'ONU, l'Organisation a convoqué la conférence qui en a adopté le statut en 1998 et en a assuré le service », a-t-il fait remarquer.

« Un autre aspect de l'évolution de l'ONU est l'importance de plus en plus grande qu'elle attache aux droits de l'homme – comme en témoigne la décision prise récemment par les États Membres de renforcer le Haut Commissariat aux droits de l'homme […]. Et j'espère que, d'ici une semaine ou deux, un accord se fera sur un changement correspondant au niveau intergouvernemental, avec la création d'un conseil des droits de l'homme jouissant d'une plus grande autorité que la Commission qu'il remplacerait, maintenant largement discréditée », a-t-il poursuivi.

« Autre exemple d'évolution : l'ONU a su faire face à la prolifération du terrorisme international. Même avant les événements du 11 septembre, le Conseil de sécurité avait imposé des sanctions à Al-Qaida et mis sur pied un comité spécial chargé de suivre ses activités. Immédiatement après l'attentat, il est allé beaucoup plus loin en adoptant l'historique résolution 1373, laquelle a imposé des obligations rigoureuses à tous les pays, dressé une liste des organisations terroristes et des individus impliqués dans l'exécution d'actes terroristes et créé le Comité contre le terrorisme pour s'assurer que les États Membres s'acquittaient de leurs obligations et les aider à améliorer leur capacité d'adopter et appliquer une législation antiterroriste », a-t-il ajouté.

« En bref, je pense que l'ONU a montré qu'elle était un instrument de plus en plus souple, dont les États membres attendent des prestations de plus en plus diverses », a résumé le Secrétaire général.

« Au cours des cinq dernières années, ils se sont ainsi tournés vers elle pour lui demander : d'aider l'Afghanistan à passer du désert anarchique des Taliban et des seigneurs de guerre à la démocratie naissante – encore balbutiante mais porteuse d'espoir – qu'il est aujourd'hui » et « de contribuer à la mise en place du gouvernement intérimaire iraquien et à l'organisation d'un référendum et d'élections en Iraq », a rappelé Kofi Annan.

Les Etats membres ont aussi demandé à l'ONU, a-t-il poursuivi, « de vérifier le retrait des troupes syriennes du Liban et de mener, pour la première fois, une enquête criminelle exhaustive sur l'assassinat d'un ancien Premier ministre », « de coordonner les opérations de secours au niveau mondial après le tsunami, et à nouveau après le tremblement de terre qui s'est produit au Cachemire », « d'orchestrer la campagne d'information et la collecte de fonds entreprises au niveau mondial pour protéger les peuples du monde contre la grippe aviaire ».

« Pour nous acquitter de toutes ces tâches, nous devons interagir non seulement avec des gouvernements mais également avec tous les acteurs nouveaux présents sur la scène internationale », a-t-il estimé.

« C'est pourquoi j'ai maintes fois demandé instamment à tous les organes de l'ONU de s'ouvrir davantage à la société civile […]. C'est pourquoi également je me suis attaché à multiplier les contacts personnels avec des chercheurs, des parlementaires […]. C'est aussi pourquoi, bien sûr, j'ai lancé le Pacte mondial », a-t-il indiqué.

« Cette nouvelle mentalité doit également s'appliquer au domaine de la paix et de la sécurité internationales – de façon que la sécurité soit conçue non seulement dans le cadre conventionnel de la prévention des conflits entre États mais aussi comme recouvrant la protection des peuples du monde contre des menaces », a précisé le Secrétaire général.

« L'une de ces menaces est celle du génocide […]. J'ai appelé l'attention de l'Assemblée générale sur la question en 1999, l'avertissant que ces atrocités à grande échelle ne peuvent jamais être considérées comme des affaires purement nationales », a affirmé Kofi Annan.

« Plus récemment, le Groupe de haut niveau que j'ai constitué en 2003 a recensé nombre de menaces diverses, parmi lesquelles : la pauvreté, les maladies infectieuses et la dégradation de l'environnement, les guerres civiles et les conflits entre États, la prolifération des armes nucléaires, radiologiques, chimiques et biologiques, le terrorisme, la criminalité transnationale organisée », a-t-il rappelé.

« Dans mon rapport 'Pour une liberté plus grande', j'ai développé cette nouvelle définition de la sécurité mondiale, en la rattachant aux recommandations détaillées du Projet du Millénaire qui visent à atteindre les Objectifs de développement pour le Millénaire d'ici à 2015 – ce qui, en soi, permettrait à des millions et des millions de personnes d'échapper aux menaces de la pauvreté et de la maladie », a-t-il poursuivi.

« Mais mon rapport, a-t-il souligné, avait également une troisième dimension : les droits de l'homme et l'état de droit. Une société qui ne respecterait pas les droits de l'homme ou l'état de droit, quelle qu'elle soit et si bien armée soit-elle, restera vulnérable, et son développement, pour dynamique qu'il soit, demeurera précaire ».

« Certains États membres ont pris mon rapport comme point de départ de la négociation du document final du sommet mondial de septembre dernier. Je ne dirais pas que ce document a comblé tous mes vœux. Mais il contient nombre de décisions importantes – de la création d'une commission de consolidation de la paix et d'un conseil des droits de l'homme à la reconnaissance par tous les États, à titre individuel et collectif, qu'ils ont la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité, en passant par les engagements qui ont été pris en vue de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement », a estimé le Secrétaire général.

« L'ONU ne peut rester figée car les menaces contre l'humanité ne sont pas figées. Chaque jour, le monde fait face à de nouveaux défis, que les fondateurs de l'Organisation ne pouvaient jamais envisager il y a 60 ans. Qu'il s'agisse d'une crise imminente au sujet de l'Iran et de son respect du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, des atrocités qui se poursuivent au Darfour ou de la menace d'une épidémie de grippe aviaire, les populations du monde entier attendent de l'ONU qu'elle joue un rôle en matière de maintien de la paix, de protection des civils, d'amélioration des conditions de vie, de promotion des droits de l'homme et d'application du droit international », a affirmé Kofi Annan.

« J'ai œuvré de longue date et sans relâche à la transformation de l'ONU afin que, lorsque nous sommes sollicités, comme c'est le cas chaque jour, nous rendions les services voulus – avec efficacité, efficience et équité. C'est le véritable objectif des changements que je me suis attaché à apporter, et c'est à cette aune que sera jugé mon succès ou mon échec », a-t-il déclaré.

« Et mon successeur – j'ai cru comprendre que nombre d'entre vous sont intéressés par mon poste – n'a aucun souci à se faire. Changer la mentalité de l'ONU, de façon qu'elle puisse à la fois refléter et influencer l'esprit de son temps, est une tâche sans fin. Il restera beaucoup à faire dans les années et les décennies à venir », a-t-il conclu.

Le deuxième mandat du Secrétaire général doit s'achever en décembre 2006. Le mandat du Secrétaire général de l'ONU a une durée de cinq ans. Kofi Annan, 7e Secrétaire général de l'ONU, a pris ses fonctions le 1er janvier 1997. Le 29 juin 2001, sur recommandation du Conseil de sécurité, l'Assemblée générale l'a réélu par acclamation pour un second mandat, commençant le 1er janvier 2002 et s'achevant au 31 décembre 2006.