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Un agriculteur ukrainien, Volodymyr Vasyliovych (photo d'archives).

En Ukraine, la FAO aide les agriculteurs vulnérables à redevenir autonomes

© OCHA/Matteo Minasi
Un agriculteur ukrainien, Volodymyr Vasyliovych (photo d'archives).

En Ukraine, la FAO aide les agriculteurs vulnérables à redevenir autonomes

Aide humanitaire

Après l’invasion de grande envergure de l’Ukraine par la Russie il y a un an, la FAO a adapté et renforcé son assistance aux agriculteurs ukrainiens pour répondre notamment aux besoins des petits exploitants agricoles.

Pierre Vauthier est chef du bureau pays pour l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en Ukraine. Il est arrivé dans le pays début avril 2022.

Depuis Kyïv, il a expliqué à ONU Info comment en février 2022 et à cause de l’intensification de la guerre, le personnel de la FAO a été relocalisé. Actuellement, l’équipe de la FAO, d’environ 100 personnes, est répartie dans tout le pays et comprend principalement des Ukrainiens spécialisés dans l'agriculture, l'élevage et d'autres secteurs. Elle opère dans des zones où il est possible de travailler en toute sécurité, malgré les alertes quotidiennes et la pénurie d'électricité.

Pierre Vauthier, Chef du Bureau pays de la FAO en Ukraine, avec les autorités locales et les médias lors de la distribution de manchons de céréales dans l'oblast de Lvivska, novembre 2022.
FAO/Ruslan Humeniuk
Pierre Vauthier, Chef du Bureau pays de la FAO en Ukraine, avec les autorités locales et les médias lors de la distribution de manchons de céréales dans l'oblast de Lvivska, novembre 2022.

Aide aux agriculteurs vulnérables

« La FAO avait des programmes de développement avant février 2022, qui visait en particulier à renforcer les filières agricoles en Ukraine et aussi mener des activités en appui aux populations autour de la zone de Marioupol et de Kramatorsk », a-t-il expliqué.

La FAO, dès avril, a commencé à distribuer des semences, notamment aux populations déplacées internes qui s'étaient réfugiées pour une grande majorité dans des villages, « là où les gens se sentaient plus en sécurité ». C'était là aussi où les gens avaient plus de facilité de trouver un logement.

Mais il fallait non seulement réorganiser les programmes mais aussi le personnel de la FAO. « Le problème, c'est que les collègues ont été tous déplacés internes ».

Malgré ces difficultés, la FAO a réussi à répondre rapidement aux besoins des populations touchées par la guerre.

« Les gens qui étaient sur la zone de front et dans les zones occupées ont extrêmement souffert. Les entreprises agricoles et de tous les niveaux ont également été sérieusement affectées », a souligné Pierre Vauthier. Mais après, ce qui a joué, c'est la capacité de pouvoir se retourner, les grandes entreprises ayant les capacités de se réorganiser, a-t-il ajouté.

En revanche, les petits agriculteurs, les petits entrepreneurs et les familles rurales ont été particulièrement vulnérables. « On pensait qu’ils auraient été plus ou moins protégés puisqu'ils avaient des activités agricoles et qu’ils étaient assez autonomes », a-t-il dit. 

Mais n’ayant pas de réserve de trésorerie, ces petits agriculteurs ont perdu leur emploi et leurs économies. « Ces agriculteurs qui produisent de la nourriture pour la consommation nationale, doivent maintenant bénéficier d'une aide humanitaire alors qu'ils devraient être les plus résilients », s’est-il désolé.  

En 2022, environ 30.000 ménages en Ukraine ont reçu des semences et des transferts monétaires ainsi que des aliments pour le bétail et des moyens pour l’isolation des étables et des foyers. Cette aide est fournie par des entreprises ukrainiennes, renforçant ainsi l'économie locale.

L'objectif de la FAO est de sortir un demi-million de ménages, soit un million de personnes en zone rurale, de l'aide humanitaire d'ici fin 2023 pour leur permettre de retrouver leur autonomie et relancer l'économie en milieu rural.

Le M/V Razoni quitte le port d'Odessa après l'autorisation du Centre commun de coordination (CCC), établi dans le cadre de l'Initiative céréalière de la mer Noire.
OCHA/Saviano Abreu
Le M/V Razoni quitte le port d'Odessa après l'autorisation du Centre commun de coordination (CCC), établi dans le cadre de l'Initiative céréalière de la mer Noire.

Eviter l’effondrement de la production agricole

En 2022, les ports qui exportaient plus de 80 à 90% des céréales en Ukraine vers des pays en Afrique et en Asie, ont été bloqués. Pour éviter l'effondrement total de la production agricole, la FAO, en coordination avec le gouvernement, et grâce aux financements du Canada, du Japon et d’une organisation caritative australienne, a pu acheter et fournir près de 6 millions de tonnes de capacité de stockage de grains dans des manchons sur les champs afin que les agriculteurs puissent stocker leur production et éviter les pertes.

« La situation était dramatique : les pays au niveau mondial ne pouvaient plus recevoir leurs achats mais aussi au niveau du pays, puisque ces gens-là avaient des quantités de blé, de maïs qu’ils ne pouvaient plus exporter. De plus les capacités de stockage de grain avaient été détruites, dues aux opérations militaires », a-t-il indiqué.

Cette opération massive, 30.000 manchons au total, a contribué à sauver la saison agricole de 2022 et à stabiliser la situation au niveau mondial.

Distribution de manchons avec la participation de Denise Brown, coordinatrice résidente des Nations Unies pour l'Ukraine, Pierre Vauthier, chef du bureau de la FAO en Ukraine, Serhii Kurdytskyi, représentant de l'ambassade du Canada, et Denys Bashlyk, vi…
FAO/Vitaliy Salo
Distribution de manchons avec la participation de Denise Brown, coordinatrice résidente des Nations Unies pour l'Ukraine, Pierre Vauthier, chef du bureau de la FAO en Ukraine, Serhii Kurdytskyi, représentant de l'ambassade du Canada, et Denys Bashlyk, vice-ministre de la politique agraire et de l'alimentation de l'Ukraine. Kyivska oblast, novembre 2022

Trois programmes d’action pour 2023

La baisse de la production agricole en Ukraine en raison de la guerre aura un impact important sur l'économie nationale et sur la sécurité alimentaire. « On parle probablement d'une baisse de production entre 30% et 40% », a indiqué Pierre Vauthier.

La FAO a mis en place un programme spécial pour aider les agriculteurs dans les zones de front à maintenir leur production. Tout d’abord, en fournissant des semences pour la saison à venir. « Ces agriculteurs manquent de main d'œuvre, manquent de ressources pour acheter les semences, pour acheter les engrais, pour acheter des pesticides », a-t-il expliqué. « Cette aide est essentielle pour maintenir l'économie et la sécurité alimentaire de l'Ukraine ».

La deuxième réponse de la FAO à la crise en Ukraine concerne l'énergie. Elle a ainsi distribué des équipements énergétiques, comme des générateurs, aux agriculteurs qui en ont besoin pour maintenir leur production. Avec l'appui de l'Allemagne, elle a pu distribuer des générateurs de haute capacité. « On a donné des générateurs à des manufactures de pain à Kyïv, à Kherson ».

La FAO travaille également sur la réduction de la consommation d'énergie fossile dans le secteur agricole et explore des options telles que l'énergie solaire et la production de carburants de manière agricole.

Le troisième élément concerne le déminage des terres agricoles. « Il y aurait environ 1 million d'hectares de terres affectées par les mines et les engins non explosifs restés sur le terrain », a indiqué Pierre Vauthier. La FAO travaille avec le Programme alimentaire mondial (PAM) pour identifier et prioriser les terres nécessitant une action de déminage et réhabiliter rapidement ces terres pour garantir la sécurité des agriculteurs et permettre la production agricole d'une manière saine et efficace le plus rapidement possible.

« Les agriculteurs ont énormément de besoins, en particulier les éleveurs qui ont beaucoup de difficulté maintenant à trouver des pâturages dans certaines zones », a-t-il indiqué.

Pierre Vauthier, Chef du Bureau de pays de la FAO en Ukraine et le ministère de la Politique agraire et de l'alimentation de l'Ukraine pendant la distribution de générateurs. Kyivska oblast, janvier 2023
FAO/Vitaliy Salo
Pierre Vauthier, Chef du Bureau de pays de la FAO en Ukraine et le ministère de la Politique agraire et de l'alimentation de l'Ukraine pendant la distribution de générateurs. Kyivska oblast, janvier 2023

Solidarité des agriculteurs

Pierre Vauthier n’est pas un inconnu des situations difficiles : Mali, Ethiopie, Soudan du sud, ou encore République centrafricaine. Pour lui, partout où il est allé, malgré les différences de contexte, les agriculteurs ont les mêmes préoccupations.

« J’ai discuté avec des agriculteurs maliens, les éleveurs maliens aussi, les collègues agriculteurs au Congo, en Afrique du Sud, en Centrafrique ou au Soudan du Sud et en Ukraine, on a tous les mêmes problématiques. Qu'est-ce qu'il va se passer pour la production ? Comment on va pouvoir vendre et devoir faire avec ces grandes crises ? », a-t-il raconté.

L’inquiétude par rapport au bétail et comment maintenir leur capacité de production, l'amour de la terre et de la communauté restent les mêmes peu importe le pays d’origine de l’agriculteur. « Ils contribuent tous à la sécurité alimentaire et travaillent pour leur communauté ».

Pierre Vauthier a déploré que les agriculteurs sont souvent touchés par des situations qu'ils n'ont pas provoquées et qui nuisent à leur production et leur capacité à fournir des aliments à la communauté. Cependant, il a été impressionné par la solidarité des agriculteurs en Ukraine, qui sont motivés pour recommencer leur production et reprendre une vie normale.

Pour lui, l'objectif à long terme est de développer une agriculture plus équitable et respectueuse de l'environnement. Cependant, l'urgence est d'aider les populations rurales et les petits agriculteurs.

Les opérations humanitaires continuent malgré les défis

La guerre en cours rend difficile les opérations humanitaires en particulier dans les zones où les activités militaires sont intenses.

Malgré cela, les opérations se poursuivent là où c'est possible. « Mais évidemment on a des alertes pratiquement tous les jours. On va dans les bunkers et on continue à travailler ».

De plus, des pénuries d'électricité affectent particulièrement le personnel ukrainien qui est en périphérie des villes. « La sécurité reste une préoccupation majeure », a-t-il dit. « On est très vigilant pour éviter de nous exposer à des choses qui ne sont pas nécessaires ».