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Gaza : le chef des droits de l’homme de l’ONU s’inquiète d’un risque d’embrasement « beaucoup plus large »

Un homme tenant un bébé marche au milieu des décombres de son quartier détruit à Gaza.
© UNRWA/Ashraf Amra
Un homme tenant un bébé marche au milieu des décombres de son quartier détruit à Gaza.

Gaza : le chef des droits de l’homme de l’ONU s’inquiète d’un risque d’embrasement « beaucoup plus large »

Droits de l'homme

Le chef des droits de l’homme de l’ONU a dit, lundi, sa crainte que la guerre à Gaza ne conduise « à une conflagration beaucoup plus large ». 

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Devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a dit redouter que le conflit puisse avoir « des implications au Moyen-Orient ».

« La guerre à Gaza a déjà provoqué de dangereuses retombées dans les pays voisins et je crains fort que, dans cette poudrière, la moindre étincelle pourrait conduire à une conflagration beaucoup plus large », a dit M. Türk, relevant que le conflit dans l’enclave palestinienne a un « impact explosif » sur l’ensemble de la région. « Cela aurait des conséquences pour tous les pays du Moyen-Orient, et pour bien d’autres au-delà ».

Lors des travaux de cette 55ème session de l’organe des droits de l’homme, M. Turk a qualifié d’« extrêmement préoccupante » l’escalade militaire au sud du Liban entre Israël, le Hezbollah et d’autres groupes armés. « Il est impératif de faire tout ce qui est possible pour éviter une conflagration plus importante », a-t-il affirmé.

Crimes de guerre

La semaine dernière, M. Turk avait déclaré que des crimes de guerre avaient été commis par toutes les parties au conflit entre Israël et le Hamas. Ces graves abus doivent faire l’objet d’une enquête et les responsables doivent rendre des comptes.

Cette nouvelle mise en garde du chef des droits de l’homme de l’ONU intervient alors qu’une « vague de conflits » bouleverse la vie des gens, détruit les économies, porte profondément atteinte aux droits de l’homme, divise le monde et anéantit les espoirs de solutions multilatérales. « Partout dans le monde, 55 conflits éclatent », a-t-il fait valoir, précisant que les urgences qui se chevauchent rendent très réel le spectre d’un conflit qui se propage.

En Ukraine, deux ans après l’invasion massive russe, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU (HCDH) a vérifié la mort de plus de 10.000 civils, et les chiffres réels sont bien plus élevés. « En Russie, des sites Internet de sources ouvertes font état de 147 civils tués au cours de la même période ».

Enrôlement forcé de civils dans l’armée au Burkina Faso

S’agissant de la situation sur le continent africain, le chef des droits de l’homme s’est inquiété de l’intensification des opérations militaires au Burkina Faso. Des dizaines de milliers de supplétifs des forces de sécurité ont été déployés et l’état d’urgence a été déclaré dans 22 provinces, tandis que la sécurité et les droits de l’homme se sont détériorés.

« Les groupes armés sont responsables de la majorité des violations graves des droits de l’homme, comme cela a été signalé une fois de plus la semaine dernière », a affirmé Volker Türk, relevant avoir également constaté « une hausse des violations graves impliquant les forces de sécurité et les Volontaires pour la Défense de la Patrie ».

De plus, les disparitions forcées et les détentions arbitraires de personnes perçues comme des détracteurs des autorités de la transition semblent se multiplier. M. Türk s’est également dit préoccupé par les informations faisant état « d’enrôlement forcé » et rappelle qu’en période de transition, « l’ouverture d’un espace de débat est essentielle à la construction d’une société résiliente et inclusive ».

Des enfants transportent du bois dans une rue de Tombouctou, au nord du Mali.
UN Photo/Marco Dormino
Des enfants transportent du bois dans une rue de Tombouctou, au nord du Mali.

De graves abus commis par l’armée malienne

Au Mali voisin, la situation des droits de l’homme reste très inquiétante. Selon l’ONU, les violations et abus ayant presque doublé en 2023 par rapport à 2022. Cette augmentation a coïncidé avec la reprise des hostilités entre les forces de sécurité et les groupes armés, suite au retrait de la Mission onusienne (MINUSMA).

Deux groupes armés contrôlent un territoire important dans la zone frontalière avec le Burkina Faso et le Niger, ainsi que dans la région de Tombouctou, dont certaines parties sont assiégées depuis le mois d’août.

Si les groupes armés sont responsables de la majorité des violations graves, le HCDH a également reçu « des allégations crédibles de violations graves commises par les forces maliennes de sécurité, parfois accompagnées de personnel militaire étranger ». M. Türk demande à Bamako de veiller à ce que les responsables rendent des comptes.

Plus globalement, la peur fragmente les sociétés à travers le monde, déchaînant la fureur et la haine. Elles sont également alimentées par l’attitude du « tout au vainqueur » qui considère les élections comme le butin d’une conquête. Avec des élections dans plus de 60 pays - où vit près de la moitié de la population mondiale - 2024 pourrait être un jalon pour les principes démocratiques.

Dans le même temps, « l’autocratie et les coups d’État militaires sont la négation de la démocratie ». Chaque élection - même imparfaite - constitue un effort pour reconnaître au moins formellement l’aspiration universelle à la démocratie.

Militants de l’opposition arrêtés au Sénégal

Dans ce contexte, le chef des droits de l’homme de l’ONU est revenu sur l’élection présidentielle au Sénégal prévue initialement le 25 février 2024. Le scrutin a été brusquement annulé le mois dernier. « À la suite de la décision de la Cour constitutionnelle selon laquelle le vote doit avoir lieu [dès que possible], le Président a annoncé qu’il le ferait », a rappelé Volker Türk.

Cette interruption du processus électoral intervient dans un contexte dans lequel « l’espace civique du pays a été érodé au cours des trois dernières années ». Selon le Bureau des droits de l’homme de l’ONU, près de 1.000 membres et militants de l’opposition auraient été arrêtés depuis mars 2021.

« Nombre d’entre eux ont été libérés sous conditions, et je demande le réexamen et la libération de tous ceux qui n’ont pas été libérés, y compris d’éminentes personnalités de l’opposition », a insisté M. Türk. Il encourage le gouvernement sénégalais à veiller à ce que le dialogue national proposé comprenne « une véritable participation de toutes les opinions politiques ».

Demande d'enquête sur l’assassinat d’un opposant au Tchad

Au Tchad, M. Türk a noté avec inquiétude les récents développements, y compris l’assassinat du leader de l’opposition (Yaya Dillo). Il a demandé qu’une enquête transparente, rapide et indépendante soit menée et que la transition du Tchad avant les prochaines élections respecte pleinement le droit international en matière de droits de l’homme.

Concernant les élections présidentielles et parlementaires prévues en juillet au Rwanda, le HCDH demande que des mesures soient prises rapidement pour garantir les libertés fondamentales. En outre, l’agence onusienne estime que de véritables enquêtes doivent être menées sur « les allégations de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires, de tortures et d’intimidations, ainsi que de détentions arbitraires ». « Ces mesures sont indispensables pour créer un environnement propice à la tenue des élections », a jugé M. Türk.

Répression en Russie

Sur un autre plan, le chef des droits de l’homme de l’ONU s’est alarmé de la situation en Russie où les autorités ont encore intensifié la répression des voix dissidentes avant la présidentielle dans dix jours. Le Haut-Commissaire demande de mettre un terme à la répression contre ces personnes et les avocats. Il affirme que la situation semble «s’être encore détériorée» ces derniers mois.

Volker Türk a demandé à Moscou de revoir toutes les détentions politiques. « La mort en prison du leader de l’opposition Alexei Navalny renforce mes vives inquiétudes quant à sa persécution », a-t-il affirmé devant le Conseil des droits de l’homme. Depuis le début de la guerre, des milliers de dissidents ou d’activistes ont fait face à des poursuites administratives ou pénales pour avoir usé de leurs libertés fondamentales, a-t-il dit.

Elections aux États-Unis

Dans un contexte de polarisation politique intense aux États-Unis, M. Türk a jugé important de souligner l’égalité des droits et la valeur égale du vote de chaque citoyen. En cette année électorale, il est particulièrement important que les autorités à tous les niveaux mettent en œuvre les récentes recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies afin de garantir que le suffrage soit non discriminatoire, égal et universel, a-t-il déclaré.

« Or, selon le Brennan Center for Justice, au moins 14 États ont adopté en 2023 des lois qui ont pour effet de rendre le vote plus difficile », a dit M. Türk.

Violations des droits fondamentaux au Xinjiang et au Tibet

Sur un autre plan, le chef des droits humains de l’ONU est également revenu sur «les lois, politiques et pratiques qui violent les droits fondamentaux, notamment dans les régions du Xinjiang et du Tibet».

Volker Türk a aussi demandé à Pékin de libérer les défenseurs des droits arrêtés en vertu d’un «vague délit de +provoquer des querelles et des troubles+ dans l’article 293 du Code pénal ».

M. Türk a indiqué lundi qu’il « avait hâte d’évoquer » l’article 293 du Code pénal avec les autorités chinoises. Le dialogue avec ces autorités « se poursuit dans des domaines tels que les politiques antiterroristes, l’égalité des sexes, la protection des minorités, l’espace civique et les droits économiques, sociaux et culturels », a-t-il souligné.

Touefois, il a reconnu « les progrès de la Chine dans la réduction de la pauvreté et la promotion du développement ». « Et j’ai demandé instamment que ces progrès soient accompagnés de réformes visant à aligner les lois et politiques pertinentes sur les normes internationales des droits de l’homme», a-t-il ajouté.

Théories du « grand remplacement »

Par ailleurs, dans de nombreuses régions du monde, de nombreux responsables politiques attisent délibérément les antagonismes et la xénophobie pour s’attirer des soutiens, en particulier en période électorale. Dans cette fuite en avant qui consiste à abandonner le bien commun au profit d’un bénéfice personnel à court terme, ils déchirent les principes fondamentaux des droits de l’homme qui peuvent nous unir tous, a estimé M. Türk.

A cet égard, il s’est dit profondément préoccupé par la perspective de campagnes de désinformation intenses dans le contexte des élections, alimentées par l’intelligence artificielle générative. « Il est absolument nécessaire de mettre en place des cadres réglementaires solides pour garantir une utilisation responsable de l’intelligence artificielle générative, et mon Bureau fait tout ce qui est en son pouvoir pour les faire progresser », a-t-il déclaré.      

Il s’est aussi dit inquiet de l’influence apparemment croissante des théories du complot dites du « grand remplacement » dans de nombreux pays, y compris en Europe et en Amérique du Nord. Selon l’ONU, ces théories sont fondées sur « l’idée fausse que les juifs, les musulmans, les personnes non blanches et les migrants cherchent à [remplacer] ou à supprimer les cultures et les peuples des pays ».

« Ces idées délirantes et profondément racistes ont directement influencé de nombreux auteurs d’actes de violence », a fait remarquer le chef des droits de l’homme de l’ONU.