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Le traitement des femmes afghanes par les Talibans s’apparente à « un crime de persécution sexiste », selon des experts.

Témoignages de femmes afghanes vivant sous la férule des Talibans

© UNICEF/Madhok
Le traitement des femmes afghanes par les Talibans s’apparente à « un crime de persécution sexiste », selon des experts.

Témoignages de femmes afghanes vivant sous la férule des Talibans

Femmes

Alors que cela fait deux ans que les Talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, ONU Femmes a recueilli les témoignages de femmes afghanes dont la vie a été bouleversée par les mesures restrictives prises par les autorités de facto.

ONU Femmes est sur le terrain, soutenant chaque jour les femmes et les filles afghanes. Sa stratégie dans le pays est centrée sur l'investissement dans les femmes, de l'intensification du soutien aux organisations de femmes et aux travailleuses humanitaires fournissant des services vitaux, à l'investissement dans des entreprises dirigées par des femmes.

« Je descends dans la rue tous les jours pour me battre encore plus fort que la veille » - Adela*, enseignante et manifestante à Kaboul

« Avant août 2021, j'étais enseignante. Après août 2021, j'ai testé le goût amer d'être une femme dans une société patriarcale traditionnelle, et j'ai participé avec d'autres femmes à une manifestation contre le régime taliban.

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Lorsque les Talibans sont revenus au pouvoir pour la deuxième fois, j'avais peur qu'on retourne dans le passé. J'avais peur de la fermeture des écoles de filles par les Talibans, qu'ils empêchent les femmes de travailler et qu'ils lapident les femmes en public. Certaines de mes pires craintes se sont réalisées depuis.

Plusieurs semaines après la chute de Kaboul, je suis descendue dans la rue et j'ai décidé d'affronter les Talibans. Je suis descendue dans la rue pour défendre mes droits humains et les droits de ma mère, de ma sœur, de ma fille et des milliers d'étudiantes qui se tournaient vers moi pour trouver l'inspiration.

Chaque jour, je serrais mes deux enfants dans mes bras. J'avais peur que les Talibans me les prennent. Mais consciemment, de manière responsable et honnête, je suis descendue dans la rue tous les jours pour me battre encore plus fort que la veille.

Des centaines de femmes se sont jointes à nous dans les rues de Kaboul, Parwan, Kapisa, Panjshir, Takhar, Badakhshan, Helmand, Kandahar, Mazar et d'autres endroits. Des professeures, des médecins, d'anciennes employées du gouvernement, des militantes des droits humains et des dirigeantes de la société civile se sont réunies en tant que femmes blessées par le retour au pouvoir des Talibans, pour exiger nos droits humains et mettre fin aux restrictions imposées par les Talibans à notre droit au travail, à accéder à l'éducation et à exercer nos libertés individuelles de mouvement et d'expression.

Au cours de cette lutte, nous avons été menacées, harcelées, battues et même emprisonnées par les Talibans. Je n'oublierai jamais la tête coupée de Furozan, l'os brisé de la tête de Nargis, le visage brûlé de Médine, l'œil endommagé de Marjan et l'arrestation brutale de [tant de femmes]. Je n'oublierai pas les milliers de femmes dans les prisons talibanes dont l'identité est encore inconnue.

Les Talibans nous ont encerclés à plusieurs reprises et ont essayé de nous arrêter avec des décharges électriques et du gaz poivré, mais nous avons ramassé leurs fusils à mains nues et avons continué à marcher.

Une fois, lors d'une manifestation, un Talib m'a donné des coups de pied si violents que je suis tombée par terre. Ma vision est devenue noire et j'ai pensé que j'allais perdre mes forces, mais je me suis levée et j'ai crié encore plus fort : ‘Pain, travail, liberté !’

Je ne resterai jamais silencieuse face à l'oppression. C'est devenu ma responsabilité humaine et mon devoir… et j'espère que je ne me plierai jamais face à la cruauté et à la barbarie et que ma voix ne sera pas la voix de la politique mais la voix de l'humanité.

De cette captivité, j'aspire à la victoire de la liberté, et je continuerai à me battre pour un avenir meilleur pour mon pays ».

Une femme dans un village du district de Zindajan, en Afghanistan (photo d'archives).
© UNICEF/Shehzad Noorani
Une femme dans un village du district de Zindajan, en Afghanistan (photo d'archives).

« Imaginez une génération en dépression » - Hira*, ancienne fonctionnaire de Kunar

« J'ai grandi dans une famille instruite mais conservatrice. Ma famille avait un bon statut économique, donc le travail des femmes n'était pas considéré comme précieux. Selon ma famille, seules les femmes ayant un besoin économique devraient travailler.

Avant la prise du pouvoir par les Talibans, même si je n'avais pas beaucoup de liberté, les libertés civiques étaient respectées et je participais secrètement à des activités caritatives et civiques. Je voulais être une personne utile dans ma communauté, et je venais de convaincre ma famille de respecter ma liberté, alors l'atmosphère au sein de notre famille s'ouvrait.

J'ai également commencé à travailler pour le gouvernement peu de temps après avoir obtenu mon baccalauréat. … Ma sœur a également travaillé au gouvernement et m'a aidée, ainsi que de nombreuses autres femmes.

Mais lorsque les Talibans ont repris le contrôle de l'Afghanistan, tout s'est inversé. Le premier jour de la chute du gouvernement, mon mari m'a avertie que la démocratie était finie et que je ne pouvais plus être fière du ministère de la condition féminine ou de ma sœur. Il a dit : ‘Écoutez ce que je dis, ou je divorcerai’. J'ai été battue plusieurs fois devant mes deux jeunes enfants.

Il n'y a pas d'endroit où se tourner. Si je me tourne vers les autorités actuelles, non seulement je ne recevrai pas de soutien, mais je subirai davantage de violences. Ils annoncent ouvertement dans les mosquées qu'un homme a le droit de battre sa femme si elle n'accepte pas sa parole.

Chaque matin, je me réveille en espérant une bonne nouvelle, et chaque soir je m'endors déçue. Je ne peux pas croire que tous les acquis pour les droits des femmes aient été détruits et brûlés sous les yeux de la communauté internationale le 15 août [2021], en une demi-journée, et qu'aujourd'hui les femmes afghanes brûlent encore.

Le changement le plus important dans ma vie, et celle des millions de filles et de femmes de mon pays après le mois d'août, c'est que le désespoir règne désormais sur nos âmes. Avec le soutien de la communauté internationale et de la Constitution, les femmes afghanes ont pu accomplir des exploits dans tous les domaines en peu de temps. Mais aujourd'hui, l'humanité des femmes afghanes est même remise en question. J'avais des rêves, mais maintenant mes rêves et mes aspirations sont limités. Je pense que ce serait un miracle si un jour les portes des écoles et des universités s'ouvraient à nouveau aux femmes et aux filles.

Les femmes afghanes ne vivent pas en ce moment ; elles essaient juste de survivre. J'ai un fort sentiment de méfiance. Dans le passé, je partageais mes sentiments sur les réseaux sociaux avec mes amies, mais aujourd'hui, l'atmosphère de peur et de méfiance s'est tellement aggravée que je ne peux pas partager ma douleur avec mes amies. Je ne me suis jamais senti aussi seule. Plusieurs fois, j'ai décidé de mettre fin à mes jours, mais je pense au sort de mon fils.

Les privations du droit au travail et à l'éducation ont gravement affecté les problèmes mentaux et créé la dépression. Imaginez une génération en dépression. Cette génération sera les mères du futur. Les enfants de personnes désespérées et déprimées sont dangereux pour l'avenir de l'Afghanistan.

La seule chose à faire dans cette situation est de négocier avec les Talibans. Tant que le conflit interne se poursuivra, l'Afghanistan continuera sur une voie dangereuse, et les privations et la pauvreté créeront d'autres problèmes.

Ce que nous attendons de la communauté internationale, ce sont des actions concrètes. Nous devons entamer un véritable dialogue sur l'Afghanistan et sur les droits des femmes ».

Des femmes et des enfants devant une mosquée à Hérat, en Afghanistan.
UNAMA/Abdul Hamed Wahidi
Des femmes et des enfants devant une mosquée à Hérat, en Afghanistan.

« J'avais un travail avant. J'avais du pain et la paix. Je suis maintenant assignée à résidence » - Arefa*, enseignante et sage-femme à Farah

« Avant le 15 août [2021], j'ai travaillé comme enseignante et sage-femme dans divers hôpitaux publics et privés. Après la chute de Kaboul, je suis devenu chômeuse car il n'était pas possible de travailler avec les restrictions imposées par les Talibans. Mais pendant ces près de deux ans, j'ai directement et indirectement essayé de lutter pour les droits des femmes et des filles afghanes. J'ai élevé la voix contre la politique des Talibans pour sauver les femmes afghanes de cette crise.

J'ai été victime de violences physiques et de menaces à de nombreuses reprises. Je vis actuellement dans la clandestinité à cause de ces menaces, car j'ai critiqué leur politique dans les médias et les réseaux sociaux. Je n'ai pas de travail parce que je postule partout et que je suis acceptée, mais quand ils apprennent mon identité, ils me virent. Ils estiment que ma présence dans leur organisation les mettra en danger.

Le changement le plus important dans ma vie après le 15 août est que je me sens faible, à la fois mentalement et physiquement. J'ai des cauchemars. Les Talibans ont imposé tellement de restrictions aux femmes et aux filles afghanes qu'aujourd'hui j'ai même l'impression de ne plus pouvoir respirer. Le 15 août est un jour noir dans l'histoire de l'Afghanistan, lorsque nous, les femmes et les filles, avons été emprisonnées dans nos maisons.

Personne ne soutient les femmes afghanes. Je ne me suis jamais imaginé aussi seule. Je ne pense pas qu'il y ait des jours plus difficiles que ceux que nous vivons en Afghanistan.

La vie est comme ça. Que cela nous plaise ou non, nous devons continuer tant que nous sommes en vie. La vie sous le régime taliban est si difficile et insupportable qu'elle ne peut être exprimée. Nous devons brûler et construire. J'avais un travail avant. J'avais du pain et la paix. Mais les Talibans m'ont tout pris. Je suis maintenant en résidence surveillée.

Les femmes afghanes sont fortes au-delà de l'imagination du monde et continuent leur lutte. Nous luttons pour nos droits à l'éducation et au travail dans la rue depuis près de deux ans. Bien que nos luttes aient été vaines, nous avons encore de l'espoir. Si la communauté internationale et les Nations Unies nous soutiennent, nos luttes porteront leurs fruits.

Malheureusement, la communauté internationale n'a pas soutenu les femmes afghanes et ne fait que nous observer. Les Talibans peuvent être changés si la communauté internationale nous soutient. Combien de temps continueront-ils à surveiller la situation des femmes en Afghanistan ? Regarder notre destruction ?

La moitié de la population afghane est en train de mourir. Mourir signifie-t-il autre chose que cela ? Nous avons été tellement insultées et humiliées que, même si nous sommes autorisées à travailler et à étudier, il faudra des années pour revenir à une [vie] normale, mentalement et physiquement. Nous ne pouvons même pas dormir paisiblement la nuit dans nos maisons. A chaque instant j'imagine qu'ils vont venir m'arrêter. Ce que j'entends des prisons talibanes est horrible. Cette terreur a emporté ma tranquillité d'esprit.

Mon appel à la communauté internationale est de se tenir à nos côtés ».

* Les noms, les lieux et le déroulement des événements ont été modifiés dans cet article pour assurer la sécurité des femmes présentées.