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Des familles déplacées dans un centre d'accueil près de Afrin en Syrie

Séismes : « Donnons une lueur d’espoir aux Syriens », plaide l’ONU

© UNICEF/UNOCHA
Des familles déplacées dans un centre d'accueil près de Afrin en Syrie

Séismes : « Donnons une lueur d’espoir aux Syriens », plaide l’ONU

Paix et sécurité

Devant le Conseil de sécurité, ce mardi, Martin Griffiths, chef de l’humanitaire de l’ONU, a décrit une situation d’urgence en Syrie après les séismes et Geir O Pedersen, Envoyé spécial pour la Syrie, a appelé à profiter de la mobilisation et de la solidarité démontrées par les Syriens et les acteurs internationaux pour tenter de trouver une solution aux profonds problèmes politiques du pays.

« Les Syriens étaient déjà plongés dans l’une des plus grandes crises humanitaires de ce siècle, après 12 années impitoyables de guerre et de conflit », a rappelé Geir O Pedersen.

« Les tremblements de terre ont frappé au moment où leurs besoins étaient les plus élevés, lorsque les services étaient les plus rares, lorsque l’économie était la plus faible et lorsque leurs infrastructures étaient déjà lourdement endommagées. Ils ont frappé de nombreuses zones où vivent des réfugiés et des personnes déplacées, ainsi que dans des zones où les dégâts de guerre sont importants et où les conditions de conflit restent aiguës », a-t-il poursuivi devant les membres du Conseil.

Son constat s’accorde avec celui de Martin Griffiths, qui a estimé que quelque 15,3 millions de personnes, soit 70% de la population du pays, ont besoin d’une aide humanitaire découlant du conflit en cours. M. Griffiths a ajouté que le plan de réponse 2023 nécessitera 4,8 milliards de dollars, le plus grand appel humanitaire actuellement en cours.

Un appel éclair demande 397,6 millions de dollars pour répondre aux besoins les plus critiques au cours des trois prochains mois, avant la prochaine conférence des donateurs à Bruxelles qu’il a décrit comme  un « moment charnière pour notre réponse » en Syrie et en Türkiye.

Des secours acheminés vers la Syrie via Gaziantep en Turkiye
© IOM/Enver Mohammed
Des secours acheminés vers la Syrie via Gaziantep en Turkiye

Un même message de l’ONU à toutes les parties concernées

A l’appui de l’impératif humanitaire urgent, Geir O Pedersen a, lui, exhorté toutes les parties à « dépolitiser la réponse humanitaire, d’abord du point de vue de l’accès : « Ce n’est pas le moment de faire de la politique avec des passages transfrontaliers ou des lignes de front ». Et aussi des ressources : c’est le moment pour tout le monde de donner rapidement et généreusement à la Syrie et d’éliminer tous les obstacles à l’acheminement des secours aux Syriens dans toutes les zones touchées, a-t-il plaidé, avant de requérir aussi le calme : « L’heure n’est pas à une action militaire ou la violence », a répété l’envoyé de l’ONU.

M. Pedersen a décrit ses efforts pour transmettre ce message, aux donateurs réunis à Beyrouth à la demande de l’Union européenne, à Damas, Amman, Istanbul et Moscou, où il a rencontré le ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov. Il s’est aussi fait l’écho des vives frustrations des civils syriens du nord-ouest et aussi de citoyens turcs face à l’incapacité de la communauté internationale à leur fournir une aide d’urgence dans les jours qui ont suivi les tremblements de terre.

« La réalité tragique est qu’une réponse efficace a été entravée en partie par des défis directement liés aux questions non résolues au cœur du conflit », a expliqué M. Pedersen. Décrivant une « situation insoutenable en Syrie et le caractère inacceptable du statu quo », il a rappelé que le peuple syrien est extrêmement vulnérable aux questions qui ne sont pas uniquement entre ses mains. Une situation que les tremblements de terre tragiques ont clairement révélée. « Le peuple syrien, encore une fois, est celui qui paie un lourd tribut », a-t-il souligné.

Des enfants dorment dans une mosquée du quartier d'Al-Midan à Alep, en Syrie
© UNHCR/Hameed Maarouf
Des enfants dorment dans une mosquée du quartier d'Al-Midan à Alep, en Syrie

Des gestes positifs ont été possibles au milieu du désastre

A ses yeux, toutefois, les tremblements de terre ont aussi révélé « qu’il est possible de travailler pour le bien commun ». « Malgré les défis et les échecs des premiers jours, les mesures prises en réponse aux tremblements de terre ont prouvé qu’il est possible de faire des gestes positifs, et qu’il est possible de coopérer sur la Syrie ».

Premier signal positif, selon lui, la bonne volonté remarquable de la part de nombreux Syriens eux-mêmes, pour organiser et envoyer des secours à leurs concitoyens de part et d’autre des lignes de front et « mettre la politique de côté ».

M. Pedersen s’est par ailleurs félicité de l’introduction récente de dérogations liées aux tremblements de terre dans plusieurs régimes de sanctions unilatérales, notamment par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, et a constaté l’énergie diplomatique à l’égard de la Syrie, en termes de fourniture d’aide directe ou par l’intermédiaire de l’ONU et d’autres organismes de secours.

Il a aussi salué la décision du gouvernement syrien d’ouvrir les deux points de passage de Bab Al-Salam et d’Al Ra’ee entre la Türkiye et le nord-ouest de la Syrie, et l’approbation jusqu’en juillet des opérations transfrontalières dans le nord-ouest de la Syrie, comme l’assouplissement des formalités pour les acteurs humanitaires et les transactions financières. Des mesures qui, selon Martin Griffiths, ont déjà permis à l’ONU depuis l’ouverture des frontières le 9 février, d’envoyer plus de 423 camions transportant des fournitures essentielles pour plus d’un million de femmes, d’hommes et d’enfants.

Geir Pedersen, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie
UN Photo/Eskinder Debebe
Geir Pedersen, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie

Relative accalmie des violences

Autre point encourageant : la relative accalmie de la violence après les tremblements de terre, qui peut faciliter les opérations de secours et « prouve que le calme peut être atteint et maintenu avec une volonté politique ».

M. Pedersen a toutefois décrit une série d’incidents préoccupants en Syrie, allant de bombardements entre les zones contrôlées par le gouvernement, les forces démocratiques syriennes et l’opposition armée ou Hayat Tahrir alSham, à une frappe d’Israël sur Damas et aux terribles attaques de Daech. Il a appelé toutes les parties influentes à cesser toute violence dans les zones touchées par les séismes.

Aussi mitigé soit ce tableau à ses yeux, ces éléments positifs pourraient contribuer à aller au-delà de la réponse à l’urgence provoquée par les tremblements de terre pour faire face aux défis de la résolution du conflit lui-même, et à la crise profonde en Syrie.

Distribution de repas par le PAM à Aleppo
© Al-Ihsan Charity
Distribution de repas par le PAM à Aleppo

Paysage politique complexe

Ce défi d’envergure exigera, rappelle-t-il, de naviguer « dans l’un des paysages politiques les plus complexes de la planète – un territoire divisé en plusieurs zones de contrôle ; un gouvernement sous sanctions de la part des principaux donateurs ; les autorités de facto ailleurs ; des  groupes terroristes ; cinq armées étrangères ; les déplacements massifs ; les violations systémiques des droits de l’homme ; une économie effondrée et la pauvreté écrasante ». Le tout, dans un contexte où la communauté internationale est elle-même profondément divisée.

Répétant que le peuple syrien a su se rassembler pour faire face à ces récents défis, M. Pedersen a souligné que la situation actuelle est tellement inédite qu’elle exige du leadership, des idées audacieuses et un esprit de coopération pour progresser sur certaines des questions politiques non résolues du conflit, qui pourraient bloquer le relèvement indispensable après cette catastrophe.

« Cela nécessitera moins de gesticulations, moins de rhétorique et plus de pragmatisme. Cela exigera du réalisme et de la franchise de la part du gouvernement syrien et de l’opposition syrienne, ainsi que de tous les principaux acteurs extérieurs », a-t-il plaidé. « Il faudra protéger la Syrie des différends géopolitiques plus larges entre les principaux acteurs ».

« Cette situation appelle un processus coordonné, la recherche de mesures de confiance réciproques et vérifiables – ainsi qu’un dialogue qui est déjà en train de s’approfondir », a-t-il ajouté. « Nous devons cela à tous ces Syriens qui vivent un cauchemar aggravé et nous avons désespérément besoin d’une lueur d’espoir », a-t-il déclaré devant le Conseil de sécurité.