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Des experts de l'ONU exhortent le Cambodge à revoir ses mesures contre la Covid-19 portant atteinte aux droits de l’homme

Le quartier pauvre de Stung Meachey, au sud de Phnom Penh, la capitale du Cambodge.
UNICEF/Cristofolett
Le quartier pauvre de Stung Meachey, au sud de Phnom Penh, la capitale du Cambodge.

Des experts de l'ONU exhortent le Cambodge à revoir ses mesures contre la Covid-19 portant atteinte aux droits de l’homme

Droits de l'homme

Quatre experts des droits de l'homme indépendants de l'ONU ont exprimé, lundi, leur grave préoccupation face aux mesures adoptés au Cambodge pour lutter contre la Covid-19 et qui sont contraires aux droits de l’homme. 

Le gouvernement cambodgien a adopté une série de nouvelles mesures juridiques et administratives en réponse à la pandémie de Covid-19. Des mesures sévères qui portent atteinte aux droits de l'homme fondamentaux, y compris la liberté de mouvement, les réunions pacifiques et le droit au travail, ont déclaré les experts dans un communiqué commun.

La loi sur les mesures préventives contre la propagation de la Covid-19 et d'autres maladies contagieuses graves et dangereuses, qui a été promulguée le 11 mars au Cambodge, autorise des peines de prison de 20 ans et des amendes allant jusqu'à 20 millions de riels (5.000 dollars) pour les personnes reconnues coupables de violations. La loi accorde au gouvernement le pouvoir d'interdire ou de restreindre tout rassemblement ou manifestation. Au moins quatre personnes auraient été arrêtées depuis l'entrée en vigueur de la loi et plusieurs autres auraient été mises en quarantaine.

« Les restrictions aux libertés et droits fondamentaux pour des raisons de santé publique ne doivent pas enfreindre les droits et libertés garantis par le droit international relatif aux droits de l’homme et elles doivent être proportionnées, non discriminatoires, limitées dans le temps et limitées dans le but », ont déclaré Rhona Smith, Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l'homme au Cambodge ; Clément Nyaletsossi Voule, Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association ; Joseph Cannataci, Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée et Tlaleng Mofokeng, Rapporteur spécial sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible.

« Nous sommes préoccupés par le fait que les mesures administratives et pénales, y compris les peines de prison et les amendes excessives prévues par la loi, semblent disproportionnées et injustifiées », ont souligné les experts. Ces derniers considèrent que toutes les mesures prises pour lutter contre la pandémie, y compris les sanctions éventuelles, devraient être nécessaires et proportionnées et ne pas être utilisées de manière excessive ».

Divulgation publique de données personnelles : une violation déplorable du droit à la vie privée

Tout en notant les efforts du gouvernement cambodgien pour contenir le virus et limiter les transmissions communautaires, les experts ont également exprimé leur consternation face à la récente divulgation d'informations personnelles d'individus testés positifs à la Covid-19.

Depuis le 3 avril, l'administration de la ville de Phnom Penh a publié les détails privés d'au moins 976 personnes testées positives pour le virus, y compris leur nom, sexe, âge, profession, lieu de travail et adresse. Les autorités locales d'autres provinces publient également actuellement ces informations personnelles. En décembre 2020, les autorités avaient annulé la décision de publier ces informations personnelles après l'intervention d'experts de l'ONU.

« Ces données de santé personnelles auraient dû être soumises à des protections strictes de confidentialité contre la divulgation à toute personne non autorisée à des fins de santé publique. La divulgation publique de données personnelles, y compris les noms de ceux qui ont contracté le virus, est une violation déplorable du droit à la vie privée et peut conduire à la discrimination et à la stigmatisation », ont déclaré les experts.

« Ces mesures n'ont pas de lien substantiel avec les mesures de santé publique, car la recherche des contacts n'a pas besoin de révéler des informations privées et personnelles, en effet la publication de ces détails pourrait dissuader les gens de subir des tests ».

Les experts ont exhorté les autorités à veiller à ce que tous les Cambodgiens, en particulier ceux qui sont marginalisés et vulnérables aient accès aux biens, services et installations spécifiques pour se soigner ou se protéger de la Covid-19, sans discrimination ni stigmatisation.

Fournir une aide économique aux personnes touchées par la crise

Les Rapporteurs spéciaux ont également exhorté le gouvernement cambodgien à fournir une aide économique aux personnes touchées par la crise.

Le 1er avril, les autorités ont imposé un couvre-feu de deux semaines dans la capitale, Phnom Penh. Une mesure qui, selon le gouvernement, visait à suspendre les activités, rassemblements et déplacements considérés comme « inutiles ». Le gouvernement a également annoncé l'interdiction de voyager entre les provinces du pays entre le 7 et le 20 avril, une période couvrant les vacances traditionnelles du Nouvel An khmer.

« À la lumière de l'endettement croissant au Cambodge, ces mesures porteront encore plus préjudice aux personnes dans les situations les plus vulnérables, qui ont déjà souffert de graves difficultés économiques pendant la pandémie. Cela risque de les pousser dans la pauvreté », ont alerté les experts.

« Ceux qui souffriront le plus seront les personnes travaillant dans le secteur informel comme les chauffeurs de tuk-tuk et les vendeurs de rue », ont déclaré les Rapporteurs spéciaux. « Le gouvernement devrait veiller à ce que ses mesures d’aide économique ciblent ces groupes et à ce que les personnes en situation de vulnérabilité reçoivent un appui adéquat pour faire face aux mesures contre la pandémie ». 

NOTE :

Les Rapporteurs spéciaux font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand organe d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations Unies, est le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde.

Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire. Ils ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.