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Libye : le procès des dignitaires du régime Qadhafi n'a pas respecté les normes internationales, selon l'ONU

La capitale libyenne Tripoli. (archives) Photo MANUL/Abbas Toumi
La capitale libyenne Tripoli. (archives) Photo MANUL/Abbas Toumi

Libye : le procès des dignitaires du régime Qadhafi n'a pas respecté les normes internationales, selon l'ONU

Le procès de Saïf al-Islam Qadhafi et de 36 autres dignitaires du régime du Colonel Mouammar Kadhafi n'a pas respecté les normes internationales en matière de procès équitable, selon un rapport de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH).

Ce procès en Libye représentait pourtant un important effort de la part du système judiciaire libyen en vue d'amener les accusés à répondre des crimes commis durant le soulèvement de 2011.

Officiellement connu sous le nom d'Affaire 630/2012, le procès a été suivi de près par la MANUL et le HCDH depuis la phase préliminaire et tout au long de la procédure judiciaire, qui a débuté en mars 2014, jusqu'au verdict rendu en juillet 2015. Neuf des accusés ont été condamnés à mort, y compris Saïf al-Islam Qadhafi, jugé par contumace, l'ancien chef des services de renseignement Abdullah al-Senussi et l'ancien Premier Ministre libyen Al-Baghdadi al Mahmudi.

Le rapport conjoint analyse les principaux aspects du procès à la lumière des normes internationales et du droit libyen et formule une série de recommandations visant à remédier aux défaillances de la justice pénale libyenne mises en évidence dans le cadre du procès.

Des efforts du système judiciaire libyen dans un contexte difficile

Le rapport reconnaît la difficulté de traduire en justice d'anciens membres du régime, en particulier dans un contexte de conflit armé et de polarisation politique. Toutefois, il rappelle que l'organisation de ce procès soulève de nombreuses préoccupations dont les autorités libyennes doivent tenir compte.

Le personnel du HCDH et de la MANUL ne s'est pas contenté de suivre la procédure, directement au tribunal ou à travers les retransmissions en direct des audiences, il a également interrogé de nombreux accusés ainsi que leurs proches et avocats, procédé à un examen du dossier et du jugement et s'est entretenu longuement avec des responsables libyens de même qu'avec des experts nationaux et internationaux. Le bureau du procureur a notamment fourni de la documentation et était ouvert à toute discussion relative au procès, tout au long de la procédure.

Le rapport note que l'Affaire 630/2012 constitue un effort particulièrement important de la part du système judiciaire libyen afin d'amener des hauts-fonctionnaires de l'ancien régime à répondre des crimes commis durant le soulèvement de 2011 et tout au long du conflit armé. Il salue également la diffusion en direct des audiences du tribunal.

AUDIO: Claudio Cordone, Représentant du Haut-Commissariat aux droits de l'homme en Libye Credit: CPI

Défaillances de la justice pénale libyenne

Cependant, le rapport identifie de graves violations des garanties d'une procédure régulière, y compris de longues périodes de détention au secret pour les défendeurs, sans parler des allégations de torture qui n'ont fait l'objet d'aucune enquête appropriée.

À plusieurs reprises, des avocats se sont plaints de difficultés à rencontrer leurs clients en privé et à accéder à la documentation. Le droit à la défense a également été compromis par le fait qu'aucun témoin de l'accusation n'a été appelé à témoigner devant la cour – la présentation des moyens à charge a eu lieu brièvement au cours des audiences de la cour – et le tribunal a limité à deux le nombre de témoins que chaque accusé pouvait appeler. En outre, le système judiciaire libyen ne prévoit pas un mécanisme de recours complet mais uniquement le pourvoi en cassation – dont le rôle se limite à l'examen des seules questions de droit.

« Il est absolument crucial que les auteurs de ces violations rendent compte de leurs actes mais le processus doit répondre à des garanties de procès équitable et de procédure régulière. La justice et le peuple libyen ont ainsi laissé passer une importante occasion de se confronter aux accusés et d'engager une réflexion sur les actes de l'ancien régime », a expliqué le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad al Hussein.

Le rapport souligne qu'un dossier d'instruction complet, incluant la présentation au tribunal de toutes les preuves de l'accusation, aurait grandement contribué à faire la lumière sur le contexte du soulèvement de 2011 et aurait constitué un document d'importance pour les générations futures.

Assurer la pleine conformité des procédures judiciaires libyennes avec les normes internationales

La MANUL et le HCDH exhortent la cour de cassation à prendre pleinement en compte les violations de procédure régulière identifiées dans le rapport et à prévoir des recours efficaces, dans l'attente de l'adoption des réformes nécessaires en vue d'assurer la pleine conformité des procédures judiciaires libyennes avec les normes internationales.

Parmi les autres recommandations formulées, le rapport appelle à une révision du Code pénal et du Code de procédure pénale afin de garantir une définition claire de tous les crimes, à assurer l'accès à un avocat pendant l'interrogatoire et à renforcer les autres garanties de procès équitable. Les accusés devraient être détenus dans des lieux sous le contrôle effectif de l'État et les allégations de torture doivent faire l'objet d'une enquête approfondie immédiate. Le rapport exige en outre l'adoption d'un moratoire sur la peine capitale.

Les autorités libyennes devraient également veiller à remettre Seïf al-Islam à la Cour pénale internationale, dans le respect des obligations internationales de la Libye.