L'actualité mondiale Un regard humain

RDC : les besoins des victimes de violence sexuelle largement ignorés

RDC : les besoins des victimes de violence sexuelle largement ignorés

Des femmes marchant contre la violence sexuelle en RDC.
Les besoins des victimes de violence sexuelle en République démocratique du Congo (RDC) sont pour une grande part ignorés, en particulier dans les zones isolées, selon les conclusions préliminaires d'un panel de personnalités constitué par la Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Navi Pillay.

Le panel, qui a eu un dialogue interactif avec des survivants dans six villes de trois provinces différentes, a été chargé par la Haut commissaire d'examiner et de discuter le caractère adéquat des remèdes et des réparations à la disposition des victimes de violence sexuelle.

Présidé par Kyung-wha Kang, la Haut commissaire adjointe aux droits de l'homme, le panel inclut Elisabeth Rehn, ancienne ministre de la défense de Finlande et actuellement Présidente du Conseil d'administration du fond de réparation aux victimes à la Cour pénale internationale (CPI), et Denis Mukwege, Directeur de l'Hôpital Panzi à Bukavu (Sud Kivu). Le panel a travaillé en consultation avec le ministère congolais de la justice et des droits de l'homme, et le ministère du genre, de la famille et des enfants.

Du 30 septembre au 10 octobre, le panel s'est rendu à Bukavu, Shabunda (Sud-Kivu), Bunia, Komanda (Orientale), Mbandaka et Songo Mboyo (Equateur), rencontrant au total 61 victimes, âgées entre 3 ans et 66 ans, dont quatre hommes. A chaque endroit, le panel a rencontré des responsables gouvernementaux locaux et provinciaux, et a organisé des tables rondes avec des responsables du secteur de la justice, des membres de la société civile et des représentants de l'ONU.

Les rencontres ont été organisées avec le soutien de l'Hôpital Panzi et le Bureau conjoint des droits de l'homme/MONUSCO. A Bukavu, le panel a été rejoint par la Représentante spéciale du Secrétaire général sur les violences sexuelles dans les conflits armés, Margot Wallström, et sa Représentante spéciale adjointe en RDC, Leila Zerrougi. Le 12 octobre, le panel a partagé ses conclusions préliminaires avec des responsables du gouvernement, de la société civile et des représentants de l'ONU lors d'un forum à Kinshasa.

« Comme nous l'avons entendu de manière répétée, il y a un profond besoin et un appel clair des victimes pour davantage d'assistance et de réparation », a dit Kyung-wha Kang. « Les vies qu'elles ont connues ont été largement détruites, et elles souffrent beaucoup, physiquement, psychologiquement et matériellement. »

La victimisation est aggravée par la stigmatisation à laquelle elles sont confrontées dans les familles et les communautés », a-t-elle dit. « Leurs maris les abandonnent, elles sont victimes d'ostracisme social et souvent ce rejet est accru pour les victimes qui souffrent de fistule, celles qui tombent enceintes et ont des enfants issus d'un viol, ou celles qui contractent des maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH/Sida. »

Le panel a noté que la reconnaissance publique du mal qui a été fait et le soutien public aux victimes, en particulier aux plus hauts niveaux du gouvernement, aideraient à changer la culture qui actuellement fait porter le poids de la honte aux victimes plutôt qu'aux coupables de violences sexuelles.

En dépit de l'existence de quelques programmes de soutien direct aux victimes pris en compte par le panel, Mme Kang a estimé que « les besoins des victimes sont en grande partie non satisfaits, en particulier dans les zones reculées ». Les soins de santé et d'éducation des enfants des victimes, et des victimes elles-mêmes, sont parmi les plus hautes priorités exprimées lors des auditions devant le panel. Dans les Kivus, où les conflits armés se poursuivent, la première des priorités exprimée par les victimes fut un cri unanime pour la paix et la sécurité. « Les femmes nous ont clairement dit que les destructions doivent cesser avant de procéder à toute reconstruction, et le panel joint sa voix et son soutien à cet appel désespéré pour la paix et la sécurité. »

La lutte contre l'impunité et l'accès à la justice figurent également parmi les préoccupations soulevées par les victimes et d'autres acteurs concernés. La plupart des victimes ne sont pas en situation de recourir à la justice car elles n'ont pas pu identifier ou localiser leurs agresseurs. Le panel a pris note de l'appel des victimes et d'autres, et ce dans tout le pays, à la mise en place d'un nouveau mécanisme qui donnerait aux victimes accès à des réparations. Il pourrait y avoir plusieurs sortes de réparations en fonction des différents besoins des victimes. Mme Kang a ainsi expliqué « que le panel avait rencontré une femme infectée du VIH/Sida suite à un viol et sans le savoir, avait infecté son mari. Quand il est mort, elle fut expulsée par la famille de sa propre maison, avec son enfant. Pour cette femme et son enfant, le besoin le plus urgent était de trouver une nouvelle maison pour vivre en paix et recommencer une nouvelle vie. »

A Songo Mboyo, les femmes ont été victimes d'un viol massif en 2003. Elles ont créé une association de survivantes. Grâce au soutien du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), le panel a pu contribuer à l'achat d'un bateau pour assister l'association dans le transport de leurs biens pour commercer au marché local accessible par le fleuve.

Pour les victimes qui ont pu identifier leurs agresseurs et qui ont eu le courage de porter plainte pour obtenir une condamnation et des dommages et intérêts, le succès a été éphémère dans la mesure où les coupables se sont enfuis de la prison et les victimes n'ont reçu aucun paiement des dommages et intérêts pourtant accordés par la justice. « Le panel a estimé que le non paiement de ces dommages et intérêts pourrait porter atteinte à la crédibilité du système judiciaire et à entamer la confiance des victimes dans les capacités de l'Etat à rendre la justice » a souligné Mme Kang.

Le panel a également rencontré des hommes victimes de violences sexuelles, qui ont souffert d'autres effets de la stigmatisation du fait qu'ils sont des hommes. Le panel a aussi auditionné des victimes violées par des civils et a constaté l'accroissement du nombre de viols depuis la guerre, contribuant à la création d'un environnement « où le viol est devenu une pratique commise en toute impunité ».

Le panel préparera un rapport avec des recommandations au Haut Commissaire aux droits de l'homme qui sera présenté au gouvernement de la RDC et autres partenaires. Ces recommandations ont pour objectif de compléter les efforts entrepris dans la promotion de la justice en apportant assistance et soutien aux victimes, et pour aider les programmes liés à la mise en place de la Stratégie nationale sur la violence sexuelle concernant les réparations.