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Cambodge : Pillay dénonce l'utilisation de la justice à des fins politiques

Cambodge : Pillay dénonce l'utilisation de la justice à des fins politiques

Navi Pillay.
La Haute commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme, Navi Pillay, a dénoncé mardi l'instrumentalisation de la justice par le gouvernement cambodgien, après la condamnation d'une opposante pour diffamation à l'encontre du Premier ministre.

Le 23 avril 2009, la députée de l'opposition et ancienne ministre des affaires féminines, Mu Sochua, avait annoncé qu'elle portait plainte pour diffamation contre le Premier ministre, après des remarques à son encontre contenant des références à son genre. Peu après avoir déposé sa plainte, elle était à son tour poursuivie en diffamation par le Premier ministre, pour avoir rendu publique son intention de le poursuivre.

En août 2009, la justice cambodgienne a rejeté la plainte de Mu Sochua, mais l'a condamnée pour diffamation à l'encontre du Premier ministre à une amende de plus de 4.000 dollars. La décision a été confirmée en appel en novembre 2009, puis par la Cour suprême cambodgienne en juin dernier, qui lui a donné jusqu'au 16 juillet pour payer son amende, sous peine d'être emprisonnée.

Pour Navi Pillay, ce « cas hautement politisé démontre une érosion alarmante, à la fois de la liberté d'expression et de l'indépendance de la justice au Cambodge ». « Les lois sont toujours utilisées pour restreindre la liberté d'expression dans de nombreux pays, cela semble être le cas pour Mu Sochua au Cambodge », a indiqué mardi son porte parole, Rupert Colville, lors d'une conférence de presse à Genève, en Suisse.

Le Haut commissariat aux droits de l'homme rappelle « qu'aucune preuve d'atteintes à la réputation du Premier ministre ou d'intention malicieuse de diffamation n'a été apportée lors du procès de Mu Sochua ». L'agence onusienne regrette en revanche que les juges se soient appuyés sur des correspondances privées que la députée entretenait avec l'Union interparlementaire du Cambodge, le Fonds mondial des femmes ou le Haut commissariat aux droits de l'homme de l'ONU.

Pour Navi Pillay, il est « totalement inacceptable, quelles que soient les circonstances, que les échanges entre la députée et des organisations intergouvernementales ou internationales, soient considérés comme des actes répréhensibles et utilisés à charge dans un procès ». « Communiquer avec des organisations internationales, dont le bureau des droits de l'homme de l'ONU au Cambodge, fait partie du droit fondamental à la liberté d'expression », a-t-elle ajouté, selon Rupert Colville.

Mu Sochua, qui refuse jusqu'à présent de payer l'amende, « est sur le point d'être emprisonnée pour avoir usé de son droit d'exprimer son opinion, selon laquelle elle avait été diffamée par le Premier ministre et avait l'intention de le poursuivre », a insisté Rupert Colville. « Le système judiciaire est le fondement de la protection des droits de l'homme mais dans ce cas là, il est devenu un instrument de la restriction de la liberté d'expression. Le Haut commissariat aux droits de l'homme estime que l'usage d'un langage offensant à l'encontre des femmes par le Premier ministre cambodgien justifiait une réponse de la justice cambodgienne », a-t-il encore souligné, rappelant que l'emprisonnement possible de Mu Sochua, à partir du 16 juillet, l'empêcherait d'être candidate aux prochaines élections parlementaires cambodgiennes.

En juin déjà, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Cambodge, Surya Prasad Subedi, avait appelé les autorités cambodgiennes à renforcer le système judiciaire trop faible à l'heure actuelle pour protéger les droits de l'homme. Il avait notamment demandé au gouvernement cambodgien « de prendre les mesures appropriées pour renforcer l'indépendance et les capacités de la justice, afin d'en faire une institution capable de rendre la justice pour tous les Cambodgiens ».

Parmi les problèmes qu'il avait soulevés figuraient déjà la question de l'indépendance de la justice, de la défense de la liberté d'expression et de l'absence de véritable espace de débat politique en raison « de l'usage disproportionné de la notion de diffamation, de la désinformation et des incitations à poursuivre les journalistes, les défenseurs des droits de l'homme et les opposants politiques ».