L'actualité mondiale Un regard humain

Iraq : un gouvernement intérimaire en mai, une conférence nationale en juillet, propose Lakhdar Brahimi

Iraq : un gouvernement intérimaire en mai, une conférence nationale en juillet, propose Lakhdar Brahimi

Lakhdar Brahimi
C'est dans un contexte d'affrontements extrêmement violents entre forces de la Coalition et insurgés à Fallujah que le Conseiller spécial pour l'Iraq, Lakhdar Brahimi, a rendu compte cet après midi au Conseil de sécurité de sa mission dans le pays et des recommandations que lui avaient inspirées ses nombreux entretiens, posant en préalable la question de savoir si, dans un tel contexte, une solution politique était tout simplement viable et y répondant en indiquant que c'était la seule possible mais qu'il fallait faire vite.

Lakdhar Brahimi l'a indiqué d'emblée. Ce qui l'emportait sur toute autre considération en Iraq était une extrême inquiétude concernant la sécurité.

« Le 22 avril, le personnel de la Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Iraq, la MANUI, a reçu à Amman une délégation iraquienne qui lui a affirmé que plusieurs centaines d'habitants de Fallujah étaient morts et plusieurs milliers blessés, dont un grand nombre de femmes, d'enfants et de personnes âgées », a-t-il indiqué, ajoutant que l'ONU n'était pas en position de vérifier ces chiffres ni les causes des ces morts ou de ces blessures mais qu'il y avait peu de doutes quant aux pertes en vies humaines et aux souffrances des civils.

« Il en va de même pour la situation extrêmement compliquée et précaire à Najaf et à Karbala, les villes saintes et vénérées plus qu'aucune autre par les Chiites en Iraq et dans le monde », a poursuivi M. Brahimi qui a déclaré joindre sa voix à celles de nombreux leaders religieux et à d'autres en Iraq qui appellent au respect de la loi et à un règlement pacifique de la crise.

Il a expliqué que ce contexte d'insécurité générale qui prévaut dans le pays avait eu un impact sur sa visite, l'empêchant, lui et son équipe, de rencontrer un certain nombre d'importantes personnalités religieuses, politiques et tribales.

La question-clé est de se demander si un processus politique est en lui-même viable dans de telles circonstances, a déclaré le Conseiller spécial.

En fait, a poursuivi Lakhdar Brahimi, « il n'existe pas d'autre alternative que de trouver un moyen de rendre ce processus viable et crédible. »

« Entre la sécurité d'un côté et la fin de l'occupation, la restauration de la souveraineté, l'indépendance, l'avènement d'un gouvernement iraquien légitime et un régime politique de l'autre, il existe un lien dialectique évident. La sécurité est essentielle à la réalisation du processus. Un processus politique viable n'est pas une panacée mais c'est un facteur important dans la sécurité », a-t-il déclaré.

Il a indiqué que pour cette même raison, « pratiquement tous les Iraquiens que j'ai rencontrés, ont insisté sur le fait qu'il ne fallait pas différer la fin de l'occupation au-delà du 30 juin, dernier délai. »

Le Conseiller spécial a exposé les options qu'il avait déjà évoquées lors de sa conférence de presse à Bagdad, « en les clarifiant » et après « avoir obtenu l'avis et les conseils du Secrétaire général » .

Il a indiqué que la majorité des Iraquiens avec lesquels il s'était entretenu étaient en faveur d'un gouvernement d'administration provisoire. Le fait que ce Gouvernement devrait être dirigé par un Premier Ministre très qualifié fait la quasi-unanimité, a-t-il ajouté.

En ce qui concerne sa suggestion consistant à mettre en place d'un Président qui servirait en tant que Chef de l'Etat et serait assisté de deux vice-présidents, certains Iraquiens n'en voient pas bien la nécessité et certains y voient une préoccupation d'équilibrage ethnique, excessive et en réalité négative, qui les gêne, a exposé M. Brahimi.

D'autres, au contraire, sont fortement en faveur de cette proposition, y voyant l'occasion de tirer des enseignements utiles pour les phases suivantes de la transition ainsi que pour la rédaction de la Constitution par l'Assemblée nationale élue.

De façon générale, le Conseiller spécial a fait observer que de nombreuses permutations pouvaient être explorées quant à la structure du gouvernement d'administration intérimaire.

Par définition, ce gouvernement aurait une durée de vie courte et son seul propos serait de gérer les affaires courantes du pays, de façon aussi effective et efficace que possible, et seulement jusqu'à ce qu'un gouvernement démocratiquement élu prenne ses fonctions. Pendant qu'il sera au pouvoir, le gouvernement d'administration provisoire devra être attentif à ne pas user de sa position pour avantager tel ou tel parti ou groupe politique, a exposé M. Brahimi.

De façon à éviter une telle perception, le mieux serait que les membres de ce gouvernement intérimaire choisisse de ne pas se présenter aux élections, a-t-il ajouté.

Parmi les autres limites fixées au gouvernement d'administration intérimaire, le Conseiller spécial a indiqué qu'il lui faudrait éviter de prendre des engagements à long terme. En cas de doutes, il devait pouvoir demander leur avis à des représentants issus de tous les bords de la société iraquienne, a-t-il précisé, ajoutant qu'« à cette fin nous suggérons la mise en place d'une Assemblée ou d'un Conseil consultatif. »

En ce qui concerne la sélection du gouvernement d'administration intérimaire à laquelle l'ONU, a-t-il dit, est prête à apporter son aide, M. Brahimi a estimé qu'il devrait être possible « d'identifier d'ici à la fin mai un groupe de personnes respectées et acceptables par tous les Iraquiens. » Ce groupe aurait alors un mois pour se préparer à gouverner le pays et pour clarifier la nature de la relation entre le gouvernement d'administration provisoire souverain, les anciennes puissances occupantes et les forces étrangères quelles qu'elles soient restant dans le pays après le 30 juin, en plus de l'assistance éventuelle qui peut être demandée à l'ONU.

« De nombreux Iraquiens ont suggéré à l'ONU de réunir une Conférence nationale d'au moins un millier de personnes », a poursuivi Lakhdar Brahimi. « Nous ne pouvons qu'adhérer à l'idée qu'il n'y pas de plus grande priorité que de forger un véritable consensus national et une Conférence nationale serait à cet égard extrêmement utile. »

Cependant, a-t-il ajouté, ce n'est ni l'ONU ni aucune autre instance extérieure qui devrait réunir une telle Conférence mais un Comité préparatoire iraquien qui devrait être instauré le plus rapidement possible. » L'ONU, a-t-il indiqué, est prête à faciliter le consensus entre les Iraquiens sur les noms des personnalités, ne cherchant pas de mandat politique, figurant dans ce comité.

Considérant que le Comité aura besoin d'un à deux mois pour effectuer de larges consultations dans le pays, M. Brahimi estime que la Conférence ne pourrait être réunie au plus tôt qu'en juillet. Des discussions préliminaires sur cette idée, il ressort, a-t-il expliqué, que la Conférence rassemblerait entre 1000 et 1500 personnes représentant toutes les provinces du pays, tous les partis politiques, tous les dirigeants et chefs de tribu, des représentants du monde des affaires et des professions libérales, des universités, des groupes de femmes, des organisations de jeunes, des écrivains, des poètes, des artistes ainsi que des leaders religieux et encore d'autres.

« Pendant les trois dernières décennies, les Iraquiens ne se sont pas parlés entre eux. 'Nous avions même peur de parler devant les enfants', ont-ils été nombreux à nous dire. Cette Conférence permettrait en premier lieu à un échantillon large et représentatif de la société de se parler, de discuter des souffrances du passé et de l'avenir du pays », a-t-il déclaré.

M. Brahimi a également évoqué la loi fondamentale intérimaire qui n'a rien d'une Constitution et qui ne peut lier les mains de l'Assemblée nationale élue en janvier 2005.

Ce sera à la Conférence d'élire le Conseil consultatif qui sera là pour aider le gouvernement. Le Conseil organisera des séances plénières pour faire part des préoccupations de la population au Gouvernement et il constituera des comités qui recevront des rapports des ministres.

« Comme vous le voyez, réunir cette Conférence nationale peut finalement constituer un pas important vers, entre autres choses, la réconciliation nationale », a-t-il fait valoir tout en ajoutant que, ce que ce terme recouvrait, ce serait au Comité préparatoire d'y répondre le moment venu. « Ce qu'il y a de sûr à ce stade, c'est que personne à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Iraq ne pense à ramener l'ancien régime ou aucun de ses leaders », a affirmé M. Brahimi.

« La réconciliation nationale n'est pas un euphémisme pour l'impunité », a-t-il ajouté.

En ce qui concerne les jours, les semaines et les mois à venir, a poursuivi le Conseiller spécial pour l'Iraq, « notre intention est de reprendre nos consultations en Iraq le plus tôt possible. »

« Monsieur le Président, a-t-il conclu, il y a beaucoup à faire et le temps est court. »