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Soudan du Sud : une Commission de l’ONU dénonce les niveaux de violence « stupéfiants »

Un individu armé dans la ville de Pibor, dans l'Etat de Jonglei. Pibor a connu des affrontements violents qui ont entraîné des déplacements, ainsi que la destruction des moyens de subsistance et de biens. (archive) Photo: OCHA / Cecilia Attefor
OCHA/Cecilia Attefors
Un individu armé dans la ville de Pibor, dans l'Etat de Jonglei. Pibor a connu des affrontements violents qui ont entraîné des déplacements, ainsi que la destruction des moyens de subsistance et de biens. (archive) Photo: OCHA / Cecilia Attefor

Soudan du Sud : une Commission de l’ONU dénonce les niveaux de violence « stupéfiants »

Droit et prévention du crime

Des niveaux de violence stupéfiants se sont poursuivis pour la deuxième année consécutive au Soudan du Sud, en dépit d’un « engagement politique renouvelé », ont dénoncé vendredi des enquêteurs des Nations Unies, ajoutant avoir constitué des dossiers sur les auteurs présumés de ces graves abus.

Selon la Commission des droits de l’homme des Nations Unies sur le Soudan du Sud, l’objectif est de recueillir et préserver des preuves en vue de futurs processus de reddition des comptes, notamment le Tribunal hybride et d’autres mécanismes de justice transitionnelle dans le pays.

Ces preuves recueillies et ces dossiers préparés peuvent également être utilisés « dans d’autres juridictions nationales d’États tiers exerçant une certaine forme de compétence universelle », pour engager des poursuites contre des auteurs présumés. 

Des violences menaçant « d’échapper à tout contrôle dans plusieurs régions du pays »

Au cours de l’année dernière, l’équipe dirigée par la Sud-africaine Yasmin Sooka a ainsi identifié 17 autres auteurs présumés. Les noms, et les documents qui les accompagnent, seront présentés dans un dossier confidentiel au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme à Genève. 

« Ces informations seront mises à disposition, si certaines conditions sont remplies, afin de soutenir les futures poursuites ou d’autres mesures prises pour amener les responsables à rendre des comptes », précise la Commission.

En attendant, le dernier rapport publié aujourd’hui a constaté que dix ans après l’indépendance, « des niveaux de violence stupéfiants » persistent et menacent « d’échapper à tout contrôle dans plusieurs régions du pays ».

L’ampleur de la violence armée et les nouvelles armes utilisées par les groupes locaux suggèrent, soit l’implication des forces de l’État, soit des acteurs extérieurs », a déclaré Andrew Clapham, l’un des trois membres de la Commission. 

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« Beaucoup de ces actes sont des violations des droits humains et peuvent également constituer des crimes de droit international inclus dans le projet de statut de la Cour hybride pour le Soudan du Sud », a-t-il ajouté, relevant qu’il n’y a actuellement pratiquement « aucune reddition des comptes au Soudan du Sud pour de telles violations ».

Des milices organisées et mobilisées selon des lignes ethniques

D’une manière générale, la Commission fait état d’une intensification des attaques contre la population civile par des groupes armés. 

« L’ampleur et l’échelle de la violence que nous documentons dépassent de loin la violence entre 2013 et 2019 », a déclaré la Présidente de la Commission, Yasmin Sooka.

Très souvent, les milices sont organisées et mobilisées selon « des lignes ethniques, souvent avec le soutien des forces armées de l’État et de l’opposition ». 

A ce sujet, le rapport revient sur un violent conflit, qui a opposé entre février et novembre 2020, les milices alliées Dinka et Nuer aux milices pastorales Murle dans le centre et le sud de l’État de Jonglei et dans la zone administrative du Grand Pibor. Ce qui a entraîné « des violations massives contre les civils, dont le meurtre et le déplacement de centaines de personnes ».

Mise à feu délibérée des maisons, fuite forcée des civils, enlèvement, viol ou mariage forcé

Les enquêteurs de l’ONU ont également documenté des attaques les plus brutales menées au cours des sept dernières années, en particulier en Equatoria central, à Warrap, à Jonglei et dans la zone administrative du Grand Pibor. 

« Des attaques qui ont vu une escalade du conflit, entraînant la mise à feu systématique et délibérée des maisons, la fuite forcée des civils, la mort d’un grand nombre d’entre eux, l’enlèvement, le viol, le viol collectif et l’esclavage sexuel de femmes et de filles, et dans certains cas leur mariage forcé », a ajouté Mme Sooka.

Les femmes et les filles ont été ciblées par toutes les parties, tandis que les garçons enlevés ont été forcés à se battre et, dans certains cas, assimilés de force à des groupes rivaux, leur identité étant complètement effacée. 

« La mobilisation de dizaines de milliers de combattants armés d’armes sophistiquées est bien coordonnée et fortement militarisée et ce n’est certainement pas une coïncidence », a-t-elle fait valoir.

Plus largement, si l’Accord de paix revitalisé a conduit à une accalmie des hostilités au niveau national, cela n’a eu que peu ou pas d’impact au niveau local. Le conflit armé en Équatoria centrale qui a débuté en novembre 2018 entre les Forces de défense populaires du Soudan du Sud, le Mouvement populaire de libération du Soudan (opposition), les milices locales et le Front de salut national - non-signataire de l’Accord de paix revitalisé - se poursuit avec de graves conséquences pour les civils.

Un processus de guérison qui passe par un leadership gérant la diversité ethnique

Selon le rapport, ces affrontements sont motivés par la lutte pour le pouvoir, l’accès aux ressources, les mines d’or lucratives, la fiscalité illégale et les fonds provenant de l’extorsion. En outre, le rapport souligne les représailles contre les personnes soupçonnées ou accusées de soutenir les parties adverses.

Face à de tels abus, les enquêteurs de l’ONU rappellent que l’absence de responsabilité pour « les griefs historiques » et l’état général de non-droit alimentent l’impunité pour les violations flagrantes des droits de l’homme au Soudan du Sud. A cet égard, la Commission se félicite de la récente décision (29 janvier 2021) du gouvernement sud-soudanais, de poursuivre les processus de mise en place du Tribunal hybride et d’autres mécanismes de justice transitionnelle pour traiter les violations commises pendant le conflit. 

« Si l’on n’y remédie pas, cela risque de laisser des divisions ethniques et autres profondément enracinées, d’aggraver la discrimination fondée sur le sexe et d’exacerber la violence dans le pays », a déclaré Barney Afako, membre de la Commission.

Pour réussir un processus de guérison et assurer une paix durable, la Commission estime que Djouba a désespérément besoin d’un projet concerté de construction d’une nation sous une direction qui s’engage à gérer la diversité ethnique et autre.