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La CIJ ordonne à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah

La salle d'audience de la Cour internationale de Justice à La Haye dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël.
© ICJ/Wendy van Bree
La salle d'audience de la Cour internationale de Justice à La Haye dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël.

La CIJ ordonne à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah

Droit et prévention du crime

La Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l'ONU, a ordonné vendredi à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah, dans le sud de Gaza.

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L’Afrique du Sud avait saisi la CIJ le 10 mai et souhaitait que la Cour ordonne à Israël de cesser immédiatement toutes ses opérations militaires et de faciliter l’accès à l’aide humanitaire. Les 16 et 17 mai, la Cour a tenu des audiences publiques à son siège à La Haye sur la demande déposée par l'Afrique du Sud.

Les ordonnances de la CIJ, qui tranche les différends entre Etats, sont juridiquement contraignantes mais elle n’a pas de moyens pour les faire respecter.

L'ordonnance de vendredi survient quelques jours après que le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a demandé des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et trois dirigeants du Hamas, pour des crimes présumés commis à Gaza et en Israël.

Une situation humanitaire catastrophique

Dans son ordonnance, la Cour internationale de Justice souligne que « la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, dont elle avait, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, noté qu’elle risquait fort de se détériorer, s’est entre-temps dégradée, et encore davantage depuis qu’elle a rendu son ordonnance du 28 mars 2024 ».

La Cour considère que ces développements, qui sont d’une gravité exceptionnelle, constituent « un changement dans la situation au sens de l’article 76 du Règlement ». Elle est en outre d’avis que les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 28 mars 2024, ainsi que celles qui y ont été réaffirmées, ne couvrent pas intégralement les conséquences découlant de ce changement dans la situation, ce qui justifie une modification de ces mesures.

La Cour considère également que, d’après les informations dont elle dispose, « les risques immenses associés à une offensive militaire à Rafah ont commencé à devenir réalité, et augmenteront encore si l’opération se poursuit ».

Face à cette situation, dans son ordonnance du vendredi 24 mai, la Cour réaffirme, par 13 voix contre deux, les mesures conservatoires indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, qui doivent être immédiatement et effectivement mises en œuvre.

Nouvelles mesures conservatoires

La CIJ a aussi indiqué de nouvelles mesures conservatoires.

Par 13 voix contre deux, l’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah, « arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Par treize voix contre deux, la Cour indique que l’Etat d’Israël doit « maintenir ouvert le point de passage de Rafah pour que puisse être assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence ».

Par treize voix contre deux, la CIJ indique aussi que l’Etat d’Israël doit « prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies d’enquêter sur des allégations de génocide ».

Par treize voix contre deux, la CIJ décide que « l’État d’Israël devra, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance ».

Les décisions de la CIJ sont contraignantes, rappelle Guterres

Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a pris note de l'ordonnance de la CIJ, rendue vendredi à La Haye, a dit son porte-parole, Stéphane Dujarric.

« Le Secrétaire général rappelle que, conformément à la Charte et au Statut de la Cour, les décisions de la Cour internationale de Justice sont contraignantes et espère que les parties se conformeront dûment à l'ordonnance de la Cour », a-t-il ajouté. « Conformément au Statut de la Cour, le Secrétaire général transmettra également dans les meilleurs délais au Conseil de sécurité la notification des mesures conservatoires ordonnées par la Cour ».

Le chef de l'humanitaire de l'ONU, Martin Griffiths, a également réagi à la décision prise par la CIJ.

« Bien qu'Israël ait rejeté les appels de la communauté internationale à épargner Rafah, la clameur mondiale en faveur d'un arrêt immédiat de cette offensive est devenue trop forte pour être ignorée. Avec l’adoption aujourd’hui de la résolution 2730 du Conseil de sécurité appelant à la protection des travailleurs humanitaires et l’ordonnance de la Cour internationale de Justice d’ouvrir le terminal de Rafah pour fournir une aide à grande échelle et mettre fin à l’offensive militaire là-bas, c’est un moment de clarté », a dit M Griffiths dans une déclaration.

Selon lui, « c’est le moment d’exiger le respect des règles de la guerre auxquelles tous sont liés : les civils doivent être autorisés à rechercher la sécurité ». « L’aide humanitaire doit être facilitée sans obstruction. Les travailleurs humanitaires et le personnel des Nations Unies doivent pouvoir effectuer leur travail en toute sécurité », a-t-il ajouté.

Afrique du Sud : Gaza réduite en ruines

Vusimuzi Madonsela de l'Afrique du Sud à la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël, le 16 mai 2024.
© ICJ/Wendy van Bree
Vusimuzi Madonsela de l'Afrique du Sud à la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël, le 16 mai 2024.

Lors de la présentation des arguments de son pays le 16 mai, Vusimuzi Madonsela, ambassadeur sud-africain aux Pays-Bas, avait déclaré que son pays était contraint de revenir devant la Cour en vertu de ses obligations en vertu de la Convention sur le génocide « en raison de l'anéantissement continu du peuple palestinien, avec plus de 35.000 morts et la plupart de Gaza réduite en ruines ».

« Le point clé aujourd’hui est que l’objectif déclaré d’Israël de rayer Gaza de la carte est sur le point de se réaliser », avait dit Vaughn Lowe, du groupe d’avocats et d’experts présentant les arguments de l’Afrique du Sud. « Les preuves de crimes et d’atrocités épouvantables sont littéralement détruites et passées au bulldozer, ce qui fait table rase pour ceux qui ont commis ces crimes et tourne en dérision la justice ».

Israël : une « exploitation obscène »

Gilad Noam présente les arguments d'Israël le 17 mai 2024 lors des audiences publiques dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël devant la CIJ.
© ICJ/Wendy van Bree
Gilad Noam présente les arguments d'Israël le 17 mai 2024 lors des audiences publiques dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël devant la CIJ.

Comparaissant devant la Cour le 17 mai, Gilad Noam, co-agent d’Israël, avait réfuté les affirmations de l’Afrique du Sud, les qualifiant d’« exploitation obscène » de la Convention sur le génocide « la plus sacrée ».

Il avait déclaré qu'Israël était engagé dans un conflit armé « difficile et tragique », un fait essentiel pour « comprendre la situation » mais ignoré par l'Afrique du Sud. « Cela tourne en dérision l’accusation odieuse de génocide… les faits comptent et la vérité devrait compter. Les mots doivent garder leur sens. Appeler encore et encore quelque chose de génocide n’en fait pas un génocide », avait-il ajouté.

Requête de l'Afrique du Sud le 29 décembre

La requête déposée le 10 mai par l'Afrique du Sud est liée à l'affaire en cours de l'Afrique du Sud accusant Israël de violer ses obligations au titre de la Convention sur le génocide.

Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud avait déposé une requête introductive d’instance contre Israël au sujet de manquements allégués de cet État aux obligations qui lui incombent au regard de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza.

La requête contenait également une demande en indication de mesures conservatoires pour « protéger contre un nouveau préjudice grave et irréparable les droits que le peuple palestinien tient de la convention sur le génocide », et réclamait « le respect par Israël des obligations que lui fait la convention de ne pas commettre le génocide ainsi que de prévenir et de punir le génocide ».

Des audiences publiques sur la demande en indication de mesures conservatoires soumise par l’Afrique du Sud s'étaient tenues les 11 et 12 janvier 2024.

Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice avait émis des mesures provisoires pour empêcher tout préjudice aux habitants de Gaza. Toutefois, il n’y avait pas eu d'appel explicite à un arrêt immédiat des opérations militaires israéliennes à grande échelle dans la bande de Gaza.