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Des pêcheurs sénégalais débarquent les poissons de leurs bateaux pour les vendre sur les marchés locaux et les exporter vers d'autres pays

En cette Année de la pêche et de l’aquaculture artisanales, la FAO plaide pour un secteur qui a du mal à se faire entendre

© FAO/John Wessels
Des pêcheurs sénégalais débarquent les poissons de leurs bateaux pour les vendre sur les marchés locaux et les exporter vers d'autres pays

En cette Année de la pêche et de l’aquaculture artisanales, la FAO plaide pour un secteur qui a du mal à se faire entendre

Développement économique

L’importance de la pêche et de l’aquaculture pour la nutrition humaine, l’emploi et le commerce est reconnue depuis longtemps. Mais ce n’est pas le cas de la pêche et de l’aquaculture artisanales.

L’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales qui est célébrée en 2022 permet de mieux faire connaître les mérites de cet important sous-secteur très diversifié de la production alimentaire aquatique.

La FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, estime à 179 millions de tonnes la production totale de poissons dans le monde en 2018.

Mais dans de nombreux cas, comme « les  activités de la pêche et de l’aquaculture artisanales sont informelles, elles ne sont pas comptabilisées. Et comme elles sont très diversifiées et dispersées, il est très difficile de mesurer pleinement leurs contributions », explique Nicole Franz, de la Division de la pêche et de l’aquaculture à la FAO, dans une interview à ONU Info. 

Tant que les données sur la pêche et l'agriculture artisanales resteront cachées, elles continueront d'être marginalisées dans le processus d'élaboration des politiques de prise de décision et de gestion.

Souvent les informations qui la concernent, notamment la production, l'emploi, la contribution et les dispositions en matière de gouvernance ne sont ni incluses dans les statistiques officielles, ni prises en compte dans l’élaboration de politiques nationales, régionales et mondiales, explique-t-elle.

Selon une récente étude de la FAO, on estime que 40% des prises de captures viennent de la pêche artisanale et qu'environ 90% des pêcheurs artisans travaillent dans le sous-secteur de la pêche artisanale, 40% étant  des femmes.

Une étude similaire sur l’aquaculture artisanale montre que la majorité des exploitations sont des exploitations familiales et à petite échelle. « On estime que les chaines de valeurs axées sur la petite production génèrent plus d'emplois que celle des productions à moyenne ou grande échelle », continue Nicole Franz.

Du poisson fraîchement pêché arrive à la coopérative de pêche artisanale de Santa Rosa de Salinas, en Équateur.
FAO/Camilo Pareja
Du poisson fraîchement pêché arrive à la coopérative de pêche artisanale de Santa Rosa de Salinas, en Équateur.

Les défis rencontrés par le secteur

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Le secteur est confronté à de multiples défis dont, notamment, sa faible représentation et son faible poids dans la gestion des ressources.
De plus, le développement du secteur halieutique partout dans le monde conduit à une surexploitation des ressources et fait peser des menaces sur les habitats et les écosystèmes. 

« Le développement agricole et industriel a fait augmenter la demande et la pollution de l'eau menaçant les sites d’aquaculture à petite échelle », avertit Nicole Franz. De plus, les effets du changement climatique et des catastrophes naturelles complètent ces menaces. « Donc la viabilité des moyens de subsistance des pêcheurs et des aquaculteurs artisans se trouve compromise ».

Cela pousse souvent les pêcheurs et les agriculteurs artisans à diversifier leurs sources de revenus, à pratiquer la migration saisonnière, voire à quitter le secteur. Et c'est en particulier le cas des jeunes qui considèrent ce type d’emploi comme trop précaire et peu rentable. 

En termes de gouvernance, nombre de pêcheurs et d’aquaculteurs artisans et leur communauté, y compris les groupes vulnérables et marginalisés, sont directement tributaires de l'accès qu'ils ont aux terres et aux ressources halieutiques. 
Des conflits avec d’autres secteurs comme le tourisme, l'agriculture et l'énergie constituent un autre problème. « Ces autres secteurs ont souvent une influence politique ou économique plus forte surtout là où les structures d'organisation de la pêche ou de l’aquaculture artisanales sont insuffisantes », note Nicole Franz. 

Au niveau économique, les pêcheurs et les aquaculteurs artisans subissent souvent les effets des rapports de force inégaux dans la chaîne de valeur, car ils sont souvent implantés dans des zones reculées et n’ont généralement qu'un accès limité ou difficile aux marchés les plus importants.

Enfin au niveau social, les deux sous-secteurs sont caractérisés souvent par la pauvreté, un faible niveau d'instruction et un accès limité à la santé publique. « Les possibilités qui s'offrent aux communautés de pêcheurs et d’aquaculteurs artisans sont peu nombreuses en raison d'absence d'autres moyens d'existence, entrainant le chômage des jeunes et des conditions de travail insalubres ou dangereuses », indique la responsable de la FAO. 

Donc tous ces facteurs font qu’il est difficile pour les pêcheurs et les aquaculteurs artisans de se faire entendre, de défendre leurs droits fondamentaux et leur droit au regard des régimes fonciers et de mettre en place une exploitation durable des ressources halieutiques dont ils vivent.

Des femmes écaillent du poisson péché dans le lac Tchad afin de le vendre sur les marchés de la région.
ONU Info/Dan Dickinson
Des femmes écaillent du poisson péché dans le lac Tchad afin de le vendre sur les marchés de la région.

Indispensables à un système alimentaire mondial durable

Pourtant, la pêche et l’aquaculture artisanales sont riches de diversité et dynamiques, indique Nicole Franz. « L'ensemble des activités tout au long de la filière, avant, pendant et après la capture, joue un rôle important pour la sécurité alimentaire et la nutrition, l'éradication de la pauvreté, le développement équitable et l'utilisation durable des ressources ». 

En effet, les deux sous-secteurs produisent des aliments nourrissants pour les marchés locaux, nationaux et internationaux. La pêche continentale est particulièrement importante  en termes de nutrition car la majorité des prises sont destinées à la consommation humaine. 

Nicole Franz explique que la pêche et l’aquaculture artisanales sont génératrices de revenus dans l'économie locale et nationale. En effet, outre les emplois à temps plein ou partiel, les activités de pêche et d'aquaculture saisonnières ou occasionnelles apportent à des millions de personnes un complément essentiel à leurs moyens d'existence. 

De plus, la pêche et l'aquaculture artisanales sont fortement enracinées dans les communautés locales et témoignent de liens historiques qui les unissent à des ressources halieutiques voisines, à des traditions et à des valeurs qui renforcent la cohésion sociale. 

« Le métier est en effet au cœur de la vie de beaucoup de pêcheurs et travailleurs de la pêche. Et ce sous-secteur comporte une diversité, une richesse culturelle d'importance mondiale », affirme la responsable de la FAO. 

C’est pour cela que l’objectif de développement durable 14B demandent de garantir aux petits pêcheurs l'accès aux ressources marines et aux marchés, par la mise en œuvre d’un cadre juridique, réglementaire, politique ou institutionnel.

Des pêcheurs déchargent leurs prises d'un bateau à Casablanca, au Maroc.
IMF/ Jake Lyell
Des pêcheurs déchargent leurs prises d'un bateau à Casablanca, au Maroc.

De meilleurs systèmes de protection sociale pour les pêcheurs et autres acteurs : l’exemple du Maroc  

Un des objectifs de cette année est de mettre en place de meilleurs systèmes de protection sociale pour les pêcheurs et autres acteurs.

« Grâce à ses trois piliers - assistance sociale, sécurité sociale et intervention sur le marché du travail - la protection sociale peut non seulement contribuer à réduire la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la faim, mais aussi favoriser une gestion durable de la pêche et des moyens de subsistance résilients et durables », explique Nicole Franz.

En effet, comme la plupart des emplois du secteur sont informels les recettes sont souvent instables, en partie en raison de la variabilité saisonnière des captures de poissons. « Souvent, il n'existe aucun régime de protection sociale auquel les pêcheurs et aquaculteurs artisans et les ouvriers de la pêche peuvent avoir recours », dit-elle. « Dans d’autres cas, des régimes existent, mais les pêcheurs et les aquaculteurs artisans peuvent avoir du mal à adhérer à des régimes de sécurité sociale exigeant le paiement d'une adhésion mensuelle ». 

Durant la pandémie de Covid-19, « la protection sociale a été une réponse clé adoptée par les gouvernements pour atténuer les impacts sociaux-économiques des restrictions liées à la Covid-19 dans les communautés dépendantes de la pêche ». 

Ainsi les gouvernements cherchent à transformer les réponses à court terme en stratégie de protection sociale à long terme qui soutiendrait le développement des communautés dépendant de la pêche et de l'aquaculture. 

Le Maroc a mis au point un modèle particulièrement efficace pour promouvoir l'accès des pêcheurs artisans à une protection sociale formelle grâce à des mesures d'incitation à la régularisation des pêcheurs artisans et à leur enregistrement auprès des services compétents. Celles-ci ont également favorisé la productivité et l'amélioration des moyens de subsistance. 

Ce modèle repose sur la construction tout au long de la côte d’un réseau de ports gérés par l'État disposant des infrastructures nécessaires à la commercialisation et la valorisation des produits de la pêche. Aujourd'hui, 97% de la flotte de pêche artisanale opèrent depuis des ports et des sites de pêche officiels et 95% des pêcheurs artisans sont affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale et y cotisent. 

Il est donc indispensable d'associer le développement social à la gestion durable des pêches, conclut Nicole Franz.