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L'ONU dénonce des violations des droits de l'homme au Venezuela

Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein.
ONU/Jean-Marc Ferré
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein.

L'ONU dénonce des violations des droits de l'homme au Venezuela

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a exhorté mardi les autorités vénézuéliennes à mettre fin à l'usage excessif de la force et aux détentions arbitraires à l'encontre des manifestants et dénoncé les cas de torture et de mauvais traitements à l'égard des personnes détenues en lien avec les manifestations.

Ces dénonciations reposent sur les conclusions d'entrevues menées par une équipe de spécialistes des droits de l'homme de l'ONU entre le 6 juin 2017 et le 31 juillet 2017. Le HCDH a adressé plusieurs demandes d'accès aux autorités vénézuéliennes qui sont restées lettre morte. En l'absence de réponse, le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad al Hussein, a demandé à l'équipe de mener un suivi à distance de la situation des droits de l'homme au Venezuela, notamment depuis le Panama.

« Depuis le début des manifestations en avril, on constate une tendance évidente à l'usage excessif de la force à l'encontre des manifestants », a déploré M. Zeid. « Plusieurs milliers de personnes ont été placées en détention arbitraire, beaucoup auraient été victimes de mauvais traitements et même de torture, tandis que plusieurs centaines ont été amenées devant des tribunaux militaires et non des juridictions civiles. Et la tendance ne semble en rien s'essouffler ».

L'équipe onusienne a réalisé des entrevues avec quelque 135 victimes et leurs familles, des témoins, des organisations de la société civile, des journalistes, des avocats, des médecins, des premiers intervenants et des membres du Bureau de la Procureure générale. Elle a également reçu des informations écrites du Bureau du médiateur.

Les forces de l'ordre cherchent à écraser la contestation

Selon les témoins interrogés par l'équipe des Nations Unies, les forces de l'ordre ont utilisé des grenades lacrymogènes et des tirs de chevrotine sur les manifestants anti-gouvernementaux, et ce sans aucun avertissement. Les forces de l'ordre auraient aussi eu recours à une force meurtrière à l'encontre des manifestants.

Les témoignages recueillis suggèrent que les forces de l'ordre, principalement la garde nationale, la police nationale et les forces de police locales, ont systématiquement recouru à une force disproportionnée pour faire naître la peur, écraser la contestation et empêcher les manifestants de se rassembler et de rejoindre les institutions publiques afin d'y présenter des pétitions. Il est rare que les autorités gouvernementales condamnent de tels incidents.

Au 31 juillet, le Bureau de la Procureure générale enquêtait sur 124 décès dans le cadre des manifestations. D'après l'analyse de l'équipe des droits de l'homme de l'ONU, les forces de l'ordre seraient responsables d'au moins 46 de ces décès tandis que 27 autres décès seraient imputés à des groupes armés pro-gouvernementaux, dénommés « colectivos » armés. Les coupables des autres décès n'ont pas été clairement identifiés.

Certains groupes de manifestants ont également eu recours à la violence, avec des attaques signalées contre des agents de sécurité. Huit policiers ont été tués dans le contexte des manifestations.

Le Bureau de la Procureure générale enquêtait également sur au moins 1.958 cas de blessures signalés, bien que le nombre réel de blessés soit probablement bien plus élevé. Selon les renseignements recueillis par l'équipe, lors des manifestations, les « colectivos » armés circulent à moto, en brandissant des armes à feu et en harcelant la population, tirant parfois même sur les individus.

Détentions arbitraires : des traitements cruels, inhumains ou dégradants

Bien qu'aucune donnée officielle n'ait été communiquée quant au nombre de détentions, des estimations fiables suggèrent qu'entre le 1er avril, date à laquelle ont commencé les manifestations de masse, et le 31 juillet, plus de 5.051 personnes ont été placées en détention arbitraire. Plus de 1.000 d'entre elles seraient encore en détention.

Dans plusieurs des cas examinés par le HCDH, plusieurs rapports crédibles font état de traitements cruels, inhumains ou dégradants à l'encontre de ces détenus par les forces de l'ordre, s'apparentant dans certains cas à des actes de torture. Les tactiques utilisées incluaient des décharges électriques, des passages à tabac, y compris avec des casques et des bâtons alors que les détenus étaient menottés, des pratiques de suspension par les poignets pendant de longues périodes, l'asphyxie par le gaz, et des menaces de mort – dans certains cas, des menaces de violence sexuelle – à l'encontre des détenus ou de leurs familles.

M. Zeid a rappelé aux autorités l'interdiction absolue du recours à la torture, en vertu du droit international des droits de l'homme. Il les a exhortées à libérer toutes les personnes détenues arbitrairement et à cesser le recours à des juridictions militaires pour juger des civils.

Effondrement de l'État de droit au Venezuela

Le Haut-Commissaire a également fait part de sérieuses préoccupations quant aux nombreux cas de descentes violentes et illégales dans des maisons, rapportés à l'équipe. Victimes et témoins ont fait savoir à l'équipe que les perquisitions avaient été menées sans mandat, au prétexte de déloger des manifestants. Des rapports suggèrent également que des biens privés ont été détruits au cours de ces perquisitions.

Des journalistes et des professionnels des médias ont indiqué avoir été pris pour cibles par les forces de l'ordre, afin d'empêcher toute couverture médiatique des manifestants. Les journalistes ont déclaré avoir été volontairement visés par des grenades lacrymogènes et des tirs de chevrotines, bien qu'ils aient été clairement identifiés en tant que tels. Ils ont été arrêtés, menacés et se sont vu confisquer leur équipement à plusieurs reprises.

« Ces violations se produisent alors même que s'effondre l'État de droit au Venezuela, dans un climat d'attaques constantes du gouvernement contre l'Assemblée nationale et la Procureure générale », a souligné M. Zeid. « Les responsables gouvernementaux les plus haut placés sont responsables des violations des droits enregistrées par nos services ».

Le Haut-Commissaire a jugé profondément inquiétante la décision de l'Assemblée constituante du 5 août, démettant la Procureure générale de ses fonctions, et exhorté les autorités à garantir des enquêtes indépendantes et efficaces au sujet des violations des droits de l'homme impliquant des forces de l'ordre et les colectivos armés. Il a appelé les autorités à tenir compte de l'appel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, demandant à l'État de prendre des mesures pour assurer la protection de l'ex-Procureure générale.

Appel à un dialogue politique

Le Haut-Commissaire a appelé toutes les parties à rechercher « une solution à l'exacerbation rapide des tensions dans le pays, de renoncer à la violence et de prendre les mesures nécessaires à un véritable dialogue politique ».

Egalement préoccupé par le risque d'une nouvelle escalade des tensions, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, s'est fait l'écho mardi de l'appel lancé par M. Zeid.

« (M. Guterres) est convaincu que la crise vénézuélienne ne peut être résolue par l'imposition de mesures unilatérales, mais qu'elle requiert une solution politique fondée sur le dialogue et le compromis », a dit son porte-parole, Stéphane Dujarric, dans une déclaration à la presse.

« À ce moment critique pour le pays, le Secrétaire général recommande à nouveau au gouvernement vénézuélien et à l'opposition de relancer les négociations au bénéfice du peuple vénézuélien », a-t-il ajouté, soulignant que le chef de l'ONU appuie fermement les efforts en cours des facilitateurs internationaux et des acteurs régionaux envers une solution pacifique à la crise.