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ENTRETIEN : Rendre l’impossible, possible – Ban Ki-moon, Secrétaire général

Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, lors de son dernier entretien accordé au Centre d’actualités de l’ONU avant de quitter ses fonctions.
ONU / Runa A
Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, lors de son dernier entretien accordé au Centre d’actualités de l’ONU avant de quitter ses fonctions.

ENTRETIEN : Rendre l’impossible, possible – Ban Ki-moon, Secrétaire général

Paix et sécurité

Le 31 décembre 2016 sera le dernier jour de travail de Ban Ki-moon en qualité de Secrétaire général des Nations Unies.

Cette journée sera le point culminant d'une décennie de service à la tête de l'organisation mondiale, au cours de laquelle ses priorités ont été de mobiliser les dirigeants de la planète autour d'une série de nouveaux défis mondiaux, du changement climatique et des bouleversements économiques aux pandémies et aux problématiques pressantes liées à l’alimentation, l'énergie et l'eau. En outre, il a cherché à établir des ponts, à faire entendre la voix des plus pauvres et des plus vulnérables du monde et à renforcer l'Organisation elle-même.

M. Ban a commencé son premier mandat de Secrétaire général le 1er janvier 2007 et a été réélu à l'unanimité par l'Assemblée générale le 21 juin 2011 pour un second mandat.

Au cours de ses derniers jours au siège des Nations Unies, le Secrétaire général s'est entretenu avec le Centre d’actualités de l’ONU sur un certain nombre de sujets, notamment sur son service au sein de l’organisation, l'impact de la guerre sur sa décision de poursuivre une carrière dans la fonction publique et sur ce qui l’attend après.

ONU INFO : Lorsque le premier secrétaire général de l'ONU, Trygve Lie a accueilli son successeur, Dag Hammarskjöld, à son poste, il lui a déclaré: « Bienvenue, Dag Hammarskjöld, au travail le plus impossible au monde ». Vous avez occupé ce poste depuis presque dix ans maintenant. Que pensez-vous de cette phrase?

Ban Ki-moon: Ce fut un grand privilège pour moi de servir cette grande organisation. Ma devise était de transformer ce travail « le plus impossible » en une « mission possible ». C’est ce que j'ai essayé pendant ces dix dernières années, en y consacrant tout mon temps, ma passion et mon énergie.

Mais très franchement, de façon réaliste, je vais sans doute laisser beaucoup de choses non accomplies. Nous avions besoin d’un bien plus grand sens de l'unité, beaucoup plus de solidarité mondiale et de compassion, mais nous n'avons pas été en mesure de le faire. Sans le plein appui des états membres, cela a été très difficile.

Mais, cela étant, nous avons réalisé des visions très importantes - comme les Objectifs de développement durable couvrant tous les spectres de la vie et l'Accord de Paris sur le changement climatique - ce sont des réalisations très importantes, ambitieuses et de grande portée. En même temps, je consacre tous mes efforts pour améliorer l'autonomisation des femmes. Lorsque je suis devenu Secrétaire général, il n'y avait que quelques femmes à de haut niveau de responsabilité. Mais j'ai essayé de nommer autant de femmes capables et engagées que possible à des postes de haut niveau. J'espère que mon successeur, António Guterres, élargira cet engagement pour la parité.

ONU INFO : Au regard de cette dernière décennie, qu’est-ce-qui se démarque de vos réalisations à la tête des Nations Unies?

Ban Ki-moon: Quels que soient les succès ou les réalisations, ils sont le résultat d'efforts conjoints - et non pas de moi seul. Le Secrétaire général, quelque soit sa capacité ou sa diposition, ne peut pas tout faire seul. Aucun pays, aucune personne ne peut tout faire seul, sans soutien. à cet égard, je suis profondément reconnaissant envers notre personnel dévoué qui a travaillé jour et nuit – et bien souvent dans des circonstances très dangereuses. Sans leur dur labeur, nous n'aurions pas réalisé l'Accord de Paris sur le changement climatique, nous n'aurions pas eu le Programme pour le développement durable à l’horizon 2030. Ce ne sont là que deux résultats très importants de notre travail commun. J'espère que notre personnel continuera d’élargir ces bases en travaillant en collaboration avec les états membres.

Ban Ki-moon, le huitième Secrétaire général de l'ONU, termine son deuxième mandat à la tête de l'organisation le 31 décembre 2016. Dans son dernier entretien, il revient sur ses dix années passées à la tête de l’organisation. Dix ans durant lesquels il a joué un rôle clé pour aider la communauté internationale à relever les défis les plus difficiles du monde.

 

ONU INFO : Dans le même ordre d'idées, au regard de cette dernière décennie, quelle a été la plus grande déception?

Ban Ki-moon: En tant que Secrétaire général, au cours des dix dernières années, j'ai abordé plusieurs questions brûlantes qui ont eu lieu ici et là, et tous ces problèmes, ces conflits, n'ont pas été causées par le peuple. Malheureusement, la plupart de ces conflits ont été causés par des dirigeants - parce que les dirigeants n’ont pas fait preuve d’un engagement fort pour les objectifs et idéaux de la Charte des Nations Unies – pour les droits de l'homme fondamentaux. C'est pourquoi les gens ont été très en colère et frustrés et se sont soulevés contre leurs dirigeants. Si tous ces dirigeants avaient manifesté davantage de solidarité, d'empathie et de compassion envers leur peuple, nous aurions beaucoup moins de conflits aujourd’hui. C'est pourquoi j'ai exhorté les dirigeants: « placez  le bien public avant tout, au-avant vos perspectives personnelles, étroites ou régionales ».

ONU INFO : Être Secrétaire général de l'ONU est un travail difficile. De longues heures, beaucoup de temps passé à voyager, une charge de travail épuisante. Et en plus, vous êtes publiquement évalué et critiqué pour votre travail assez régulièrement par tant d'autres - des états membres au public. Comment avez-vous géré cet aspect du travail?

Une des principales réalisations du deuxième mandat du Secrétaire général a été l'adoption des 17 Objectifs de développement durable (ODD). Les ODD visent à mobiliser des efforts pour mettre fin à toutes les formes de pauvreté et lutter contre les inégalités et le changement climatique tout en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte. Sur cette photo, M. Ban participe au lancement d'un événement sur les ODD au Forum économique mondial à Davos, en Suisse. Photo ONU / Rick Bajornas

Beaucoup de gens demandent notre aide - des gens meurent inutilement, des gens souffrent de persécution, il y a tellement de gens qui ont vraiment besoin de notre soutien - que les considérations personnelles sont mises de côté car il faut se précipiter sur les lieux. à cet égard, je suis profondément ému et reconnaissant envers beaucoup de nos employés qui travaillent jour et nuit sur les lieux de conflits et de catastrophes humanitaires. Sans eux, je pense que bien plus de gens auraient pu mourir.

ONU INFO : Qu'est-ce qui vous manquera le plus en tant que Secrétaire général?

Ban Ki-moon: Après avoir pris ma retraite, je serai d'abord libéré de toutes ces tensions. En même temps, mon cœur ne quittera jamais cette organisation. Ce qui me manquera le plus, c'est la solidarité que notre personnel témoigne pour l'humanité. Ce sont des gens désintéressés, des gens engagés, qui n'ont travaillé que pour la mission qu'ils ont reçue des peuples du monde.

ONU INFO : Comment allez-vous passer vos jours restants au bureau?

Ban Ki-moon: J'ai fait mon travail - ce long marathon, un marathon de 10 ans - comme un sprinter. Je reste concentré jusqu'au dernier jour, le 31 décembre, en faisant exactement la même chose. Je ne fléchirai jamais, je n'attendrai jamais, et je ferai ce qui est juste. C'est là mon engagement ferme envers le service public.

ONU INFO : Avez-vous un message pour les dirigeants et les peuples du monde alors que vous vous apprêtez à partir?

Ban Ki-moon: Lorsque vous devenez le dirigeant d'un pays ou d'une communauté, ou d'une organisation, qu’il soit petit ou grand, [vous devez vous rappeler les choses suivantes]: tout d'abord, vous n'êtes pas seul, vous devez interagir avec les gens, et vous devez écouter très attentivement, avec attention et sincérité les voix des gens ou du personnel, et ainsi de suite. Vous devez être à l’écoute de leurs difficultés, de leurs aspirations et de leurs défis - c'est très important. Et vous mettez votre intérêt privé ou personnel derrière le bien public, le bien commun. C'est le plus important.

Il y a un dicton, que j'ai appris des enseignements confucéens, qui est que si vous voulez vraiment gouverner le monde, vous devez faire marcher votre pays. Si vous voulez vraiment gouverner le pays, vous devez faire marcher votre famille. Si vous voulez vraiment rendre votre famille harmonieuse, vous devez faire marcher votre cœur. Donc vous devez d'abord vous cultiver – être concentré sur des principes, en respectant les autres, et en travaillant pour la communauté, pour le bien commun. C'est ce que j'ai vraiment essayé de pratiquer. Ça a été dur, je n'ai pas été parfait, mais je peux vous dire avec fierté que je me suis consacré à atteindre ces objectifs.

ONU INFO : Quel conseil avez-vous pour António Guterres lorsqu'il commencera son travail?

Ban Ki-moon: Quand vous devenez le dirigeant de n’importe quelle organisation, la première chose que l’on montre normalement c’est la passion – « Je vais faire ceci, je vais faire cela, et je n'aurai aucun problème, j'ai confiance ». Mais mon expérience et mes observations des leçons apprises durant ces dix ans, m’ont montré que cette passion doit être accompagnée par la compassion, la compassion pour les autres. Chacun d’entre nous a cette passion, surtout quand on est jeune - c'est une prérogative des jeunes et des dirigeants très ambitieux, mais la compassion est beaucoup plus importante. Il y a des centaines de millions de personnes qui ont besoin de l’appui des Nations Unies. Je sais que M. Guterres est un homme intègre. Il est un homme de compassion. Il a déjà fait preuve de compassion et de leadership au cours de ses dix années en qualité de Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Je suis très reconnaissant que les états membres aient choisi une personne aussi superbe pour me succéder.

ONU INFO : Vous avez grandi dans un contexte loin d’être confortables et, à un moment donné, au milieu de la guerre - à ce stade, vous avez survécu grâce aux rations alimentaires fournies par les Nations Unies. En regardant votre parcours de vie, qu'est-ce que cela fait de passer du statut de personne qui a bénéficié du travail de l'ONU à celui de chef de cette même organisation?

Ban Ki-moon: Regardant le bilan des 72 ans de ma vie, je pense que j'ai été assez chanceux. Quand je suis né avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde était pauvre. Peu de temps après, la Corée du Sud fut attaqué par la Corée du Nord. A cette époque, les Nations Unies avaient envoyé des troupes et de l’aide humanitaire. Sans les Nations Unies, je ne serais pas ici aujourd'hui en tant que Secrétaire général.

Pendant ma jeunesse et lorsque j’étais fonctionnaire, nous avons bénéficié de beaucoup de solidarité et d'appui du monde développé, parce que la Corée traversait une étape très pauvre de son développement économique et sociétal.

Depuis que je suis devenu Secrétaire général, j'ai vraiment essayé de montrer qu'il ne devrait plus y avoir de garçons et de filles obligé de faire face à des défis aussi difficiles que moi. Lors de mes rencontres avec eux, je leur ai dit: « ne désespérez pas, j'étais à votre place et vous pouvez être comme moi - vous pouvez devenir Secrétaire général des Nations Unies - ne désespérez pas parce que nous serons avec vous tout comme l'ONU l’a été avec moi il y a 65 ans ».

C'est ce à quoi je pense maintenant: j'ai eu le grand privilège de servir cette Organisation pour les droits de l'homme, le développement, la paix et la sécurité. Mais en même temps, je suis désolé de dire que ce monde n'est pas pacifique en ce moment.

Quand j'avais juste 12 ans, en Hongrie, il y avait un soulèvement du peuple contre l'oppression de l'Union soviétique. à ce moment-là, j'ai lu une déclaration au nom de mes camarades de classe: « S'il vous plaît, aidez les jeunes et les enfants en Hongrie ». Puis, quand j'ai été élu Secrétaire général, j'ai fait part de mes propres expériences aux états membres Au cours de mes fonctions de Secrétaire général, j'espérais ne pas recevoir ce genre d'appel de la part des jeunes du monde entier. Mais malheureusement, même aujourd'hui, je reçois beaucoup d'appels et de lettres venant de tant de gens.

ONU INFO : Vous avez parlé de famille. Quel est l’impact du travail de Secrétaire général de l'ONU sur la vie familiale et personnelle, hors du travail?

Ban Ki-moon: La famille est au cœur de tout. Vous commencez par la famille. Sans le noyau de la famille, vous ne pouvez pas avoir une communauté, vous ne pouvez pas avoir une nation, vous ne pouvez pas avoir un monde. Il faut donc commencer à partir de la famille: amour et soutien.

En même temps, je tiens à rendre hommage au personnel des Nations Unies à cet égard - ils ont leurs propres familles et parfois ils doivent sacrifier leurs obligations familiales à cause du travail - pour cela, je suis profondément reconnaissant, tout autant que je le suis envers ma femme et mes enfants. Mais, c’est seulement avec ce sentiment d'engagement et le sens du sacrifice pour les autres et pour l'humanité, que nous pouvons rendre ce monde meilleur.

ONU INFO : Lorsque les historiens feront le bilan de vos mandats en tant que Secrétaire général des Nations Unies, qu'espérez-vous qu’ils écrivent?

Ban Ki-moon: Comme vous l'avez dit, ce sont les historiens, ainsi que les états Membres et d'autres, qui évalueront et feront le bilan de mon héritage et de mon engagement. Ainsi, je suis ému  de tout laisser aux historiens.

Ceci dit, je peux certainement dire que j'ai donné toute ma passion, mon temps et mon énergie, et que j'ai consacré tout ce que j'avais, en plaçant le bien public avant mes obligations personnelles ou familiales. C'est une chose.

J'ai essayé de résoudre les problèmes par le biais d'un dialogue inclusif, plutôt que de parler de ma propre vision, au départ. J'ai d'abord voulu écouter notre personnel, nos conseillers principaux et nos états membres. Ensuite, seulement après cela, ai-je formulé ma propre vision, et c'est très important.

J'ai appris une sagesse: si vous voulez devenir un bon leader, lorsque quelque chose est fait parfaitement et avec succès, vous ne devez pas le revendiquer comme votre succès à vous seul, c’est bien mieux et harmonieux si chaque personne sait qu'elle ou il faisait partie de ce processus, qu’elle ou il y a contribué, et il doit y avoir un moment de fierté, ce moment où ils peuvent dire « je l'ai fait ».

ONU INFO : Que voulez-vous faire une fois que vous aurez terminé votre mandat de Secrétaire général?

Ban Ki-moon: Je suis ouvert d'esprit. En tant qu'ancien Secrétaire général, bien sûr, j'ai beaucoup appris. Quoi qu'il en soit, où que ce soit, je n'épargnerai aucun effort pour faire quelque chose qui convient à mon pays, ou à une communauté encore plus grande, au-delà de mon pays. Je pense qu'il est approprié pour tout ancien Secrétaire général d’apporter son soutien à une cause commune.