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Madagascar: pauvreté et impunité, à l'origine de formes contemporaines d'esclavage, selon une experte de l'ONU

Madagascar: pauvreté et impunité, à l'origine de formes contemporaines d'esclavage, selon une experte de l'ONU

Gulnara Shahinian, Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage.
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d'esclavage, Gulnara Shahinian, a appelé aujourd'hui le gouvernement de Madagascar à prendre d'urgence des mesures afin de lutter contre la pauvreté dans le pays, qui a donné naissance à des formes contemporaines d'esclavage dans l'île.

« Les droits de l'homme ne peuvent se développer dans un environnement d'extrême pauvreté », a affirmé Mme Shahinian au terme de sa première mission dans le pays, qui s'est déroulée du 10 au 19 décembre. « La situation à Madagascar révèle à quel point hommes, femmes et enfants en situation d'extrême pauvreté sont victimes de formes contemporaines d'esclavage, telles que la servitude domestique, le travail forcé des enfants dans les mines et carrières et les mariages imposés », a prévenu l'experte indépendante des droits de l'homme.

La Rapporteuse spéciale a souligné que le manque d'action et d'engagement solides des autorités avait jeté des pans entiers de la société malgache dans l'abandon et le désespoir total. Peu d'investissements ont été consentis dans les services de santé et l'éducation, confrontés à des manques cruels de fonds. « Cela met en danger le potentiel humain de Madagascar et constitue un revers majeur vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), notamment celui portant sur la réduction des inégalités s'agissant de la scolarité des garçons et des filles», a-t-elle expliqué.

« J'ai rencontré des femmes, des garçons et des filles victimes de violences physiques, verbales et sexuelles alors qu'ils travaillaient comme employés domestiques à l'étranger et à Madagascar », a déclaré Mme Shahinian. « J'ai découvert que des parents faisaient travailler leurs enfants afin de rembourser une dette ou pour gagner de l'argent et nourrir leur famille. »

L'experte a rencontré des parents désespérément pauvres et des enfants souffrant de faim chronique, ce qui compromet leur développement physique et mental. « Ces enfants qui portent des charges lourdes dans les mines, les carrières, lors de la fabrication de briques et de l'approvisionnement en eau souffrent de retards de croissance à cause de la pression exercée sur leur moelle épinière et ressentent de graves douleurs physiques dans le cou, les épaules et le dos », a-t-elle déploré.

La Rapporteuse spéciale a souligné la nécessité, pour les autorités, de veiller à ce que la législation nationale existante soit appliquée avec un accent particulier sur la lutte contre l'impunité et de s'assurer que les responsables rendent compte de leurs actes. « Le pays dispose de législation suffisante pour lutter contre l'esclavage, mais les lois ne sont pas appliquées ou contrôlées, ce qui explique l'impunité et la corruption », a-t-elle souligné.

Ces enfants qui travaillent illégalement dans le secteur minier artisanale vivent souvent dans des zones reculées, où ils risquent par ailleurs d'être victimes de viol, de prostitution, de maladies respiratoires et autres maladies pouvant entraîner des décès prématurés.

Mme Shahinian a par ailleurs constaté qu'en dépit de la législation nationale qui fixe l'âge minimum du mariage à 18 ans, beaucoup de garçons et de filles sont contraints de se marier contre leur volonté dès l'âge de 10 ans. La Rapporteuse spéciale a appris que, dans certains cas, des filles épousent des hommes beaucoup plus âgés qu'elles, parfois même des vieillards, avant d'être ostracisées une fois veuves.

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs été informée de discriminations reposant sur le système de castes, fortement enraciné dans les mentalités. Dans un pays où plus de 70% de la population est pauvre, dont plus de 50% extrêmement pauvre, les descendants d'esclaves sont les plus vulnérables à l'exclusion sociale et économique.

« Le gouvernement, ainsi que la société civile et les organisations internationales, ne peuvent pas continuer à ignorer cette question. Tous les acteurs doivent œuvrer avec les communautés locales à éradiquer la stigmatisation qui frappe les descendants d'esclaves », a-t-elle plaidé. « Madagascar ne pourra pas se développer efficacement tant que ces vieilles blessures ne seront pas refermées. Le gouvernement doit travailler à tous les niveaux, en particulier en coopération avec les chefs de communautés, tels que les fokontany et lonaka, pour résoudre cette situation. »

L'experte indépendante a également exhorté les autorités à accorder la priorité à la lutte contre ce phénomène et à y consacrer suffisamment de ressources. « J'exhorte le gouvernement à prendre des mesures urgentes et à lancer des programmes en étroite collaboration avec la société civile et les organisations internationales pour lutter contre les formes contemporaines d'esclavage. »

L'éducation s'est aussi révélée être un moyen efficace de dissuasion contre les mariages précoces. « Accorder la priorité à une éducation et à une alphabétisation gratuites pour les enfants et les adultes est essentiel pour garantir l'avenir économique du pays. Des formations professionnelles assorties d'opportunités d'embauche sont également cruciales pour donner aux adolescents et aux adultes des alternatives économiques viables aux pratiques esclavagistes. »

Au cours de sa première mission à Madagascar, Mme Shahinian s'est rendu dans les villes d'Antananarivo, Antsirabe, Ambositra, Fianarantsoa, Ihosy et Sakaraha, où elle a rencontré des représentants gouvernementaux, des forces de l'ordre, des ONG, ainsi que des victimes et des membres des communautés locales.

Mme Shahinian présentera au Conseil des droits de l'homme un rapport complet sur les conclusions de sa mission en septembre 2013.