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Affaire Hariri : le Conseil de sécurité exige à l'unanimité la coopération de la Syrie

Affaire Hariri : le Conseil de sécurité exige à l'unanimité la coopération de la Syrie

Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité a adopté aujourd'hui à l'unanimité une résolution qui demande à la Syrie de coopérer dans l'enquête internationale sur l'assassinat de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri, et qui prévoit des sanctions individuelles contre les suspects.

Les quinze membres du Conseil de sécurité, réunis au niveau ministériel, ont adopté aujourd'hui la résolution 1636, qui appelle la Syrie à « arrêter les responsables syriens ou les personnes que la Commission [d'enquête internationale] soupçonne d'être impliquées dans la préparation, le financement, l'organisation ou la commission de cet attentat terroriste, et de les mettre pleinement à la disposition de la Commission ».

image• Retransmission de la séance du Conseil de sécurité[127mins]

Cette résolution, adoptée dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui prévoit le recours à la force en cas de menace à la paix et à la sécurité internationales, demande à la Commission de présenter son rapport sur l'avancement de l'enquête d'ici au 15 décembre prochain, y compris sur la coopération dont elle aura bénéficié des autorités syriennes (voir notre dépêche du 25 octobre 2005 sur la présentation du rapport au Conseil de sécurité).

Si cette coopération ne répond pas aux exigences de la résolution, le Conseil pourra envisager, si nécessaire, « mesures supplémentaires ».

La résolution souligne aussi que l'implication de « tout Etat » dans cet acte terroriste constituerait une grave violation de ses obligations dans la lutte contre le terrorisme, en particulier des résolutions 1373 (2001) et 1566 (2004) du Conseil de sécurité, ainsi qu'une grave violation de l'obligation de respecter la souveraineté et l'indépendance politique du Liban.

Le texte demande également à la Syrie de « ne pas s'immiscer directement ou indirectement dans les affaires intérieures du Liban, de s'abstenir de toute tentative de déstabilisation du Liban, et de respecter scrupuleusement la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'unité et l'indépendance politique de ce pays ».

Le texte prévoit en outre un renforcement du mandat de la Commission d'enquête indépendante dirigée par le magistrat allemand Detlev Mehlis.

Ainsi, la Commission aura à l'égard de la Syrie « les mêmes droits et pouvoirs que ceux qui sont visés au paragraphe 3 de la résolution 1595 (2005) et, à ce titre, la Syrie doit collaborer sans réserve et sans condition avec la Commission ».

En outre, la Commission sera « habilitée à déterminer le lieu et les modalités d'interrogation des responsables syriens et des personnes qu'elle juge présenter un intérêt pour l'enquête ».

Enfin, le Conseil de sécurité décide d'une série de « mesures », qui prennent la forme de sanctions individuelles, à l'égard des personnes soupçonnées « de participation à la préparation, au financement, à l'organisation ou à la commission » de l'attentat, « sans préjuger du fait que la justice statuera en définitive sur la culpabilité ou l'innocence de toute personne quelle qu'elle soit ».

Ces mesures, qui s'adressent à « tous les Etats » Membres de l'ONU, leur imposent d'interdire l'entrée sur leur territoire de ces individus et de geler leurs avoirs financiers.

Un Comité du Conseil de sécurité est créé à titre provisoire pour mettre en œuvre cette résolution.

Prenant la parole à l'issue du vote, le ministre des Affaires étrangères de la France, Philippe Douste-Blazy, a estimé très préoccupant, « la conclusion de la Commission selon laquelle il existe un faisceau de preuves concordantes laissant présumer que des responsables libanais et syriens étaient impliqués dans l'attentat terroriste » ainsi que le fait que « l'on voit mal comment un complot aussi complexe aurait pu être mis à exécution à leur insu ».

« La Syrie n'a pas coopéré de bonne foi dans l'enquête », a-t-il rappelé, expliquant que cela avait conduit la France et les Etats-Unis à demander l'adoption d'une « résolution ferme ».

« Avec l'adoption de cette résolution à l'unanimité, le Conseil lance un triple message », « un soutien au peuple libanais, un soutien à la Commission d'enquête et un appel à la Syrie à coopérer », a déclaré Philippe Douste-Blazy.

« Le gouvernement syrien doit comprendre que la communauté internationale n'acceptera rien moins qu'une coopération totale », à défaut de quoi le Conseil prendra les mesures qui s'imposent, a déclaré le ministe français.

« Notre patience a des limites », a déclaré pour sa part Jack Straw, le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni.

« Tout manquement aura de graves conséquences de la part de la communauté internationale », a souligné Condoleezza Rice, Secrétaire d'Etat américaine, qui a rappelé que pendant 30 ans l'infiltration totale de la société libanaise par la Syrie, y compris en dictant le choix de son président Emile Lahoud, avait pesé lourdement sur le Liban.

« La Syrie n'a fourni aucune explication sérieuse aux allégations du rapport de Detlev Mehlis », choisissant au contraire de le dénigrer au prétexte qu'il serait fondé sur des motivations politiques, a-t-elle déploré.

« La Syrie s'est isolée de la communauté internationale, par son soutien au terrorisme, son ingérence dans les affaires de ses voisins et son intervention pour déstabiliser le Moyen-Orient ». « A présent, le gouvernement syrien doit faire un choix », a affirmé Condoleezza Rice.

Le ministre des Affaires étrangères de l'Algérie, Mohamed Bedjaoui, a réaffirmé pour sa part son attachement à la souveraineté et à l'indépendance du Liban.

« Le lâche assassinat du regretté Rafic Hariri ne doit sous aucun prétexte rester impuni », a-t-il déclaré, soulignant qu'il prenait la parole aussi en tant que pays assumant la présidence de la Ligue des Etats arabes.

Engageant à la prudence et à la rigueur scientifique dans l'enquête, « qui n'est pas achevée », il a appelé à éviter « tout préjugé » et au respect de la présomption d'innocence.

Le Ministre syrien des affaires étrangères, Farouk Al-Shara', qui a annoncé la création, le 20 octobre dernier, d'une commission judiciaire spéciale chargée d'enquêter sur des militaires et des civils syriens et de coopérer avec la Commission Mehlis et les autorités libanaises, s'est insurgé contre les critiques à l'égard de son pays, fondées « sur l'hypothèse que la Syrie est forcément coupable ».

Il a déploré que la résolution « n'ait pas intégré la présomption d'innocence mais bien celle de l'implication de la Syrie, éliminant, par conséquent, toute possibilité de l'intervention d'un tiers ».

Il a aussi estimé qu'il aurait été inapproprié de prendre « la menace de sanctions » sous l'empire de l'article 41 de la Charte des Nations Unies, ainsi qu'à lancer un « appel à la Syrie à cesser son soutien au terrorisme », éléments qui ont été retirés du projet de résolution circulé par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, après de longues consultations qui se sont poursuivies jusqu'à ce matin.

L'attentat qui s'était produit à Beyrouth contre le convoi de Rafic Hariri, le 14 février dernier, avait causé la mort de 22 autres personnes et conduit à des appels au retrait de toutes les troupes syriennes et de l'appareil de renseignement, présents au Liban depuis le début de la guerre civile de 1975-1990 (voir notre dépêche du 15 février 2005).

Le Conseil de sécurité avait mis en place la Commission après qu'une enquête préliminaire des Nations Unies ait qualifié l'enquête des services de police libanais de « gravement défectueuse », concluant à la responsabilité première de la Syrie quant au « climat de tension politique précédant l'assassinat » (voir notre dépêche du 30 mars 2005).

Voir notre dépêche du 25 octobre sur la conférence de presse de Detlev Mehlis et notre dépêche du 21 octobre 2005 sur le rapport.

Voir l'ensemble des interventions dans le communiqué de presse de l'ONU.