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Du droit d'intervention à la responsabilité collective : une doctrine naissante qui, selon Kofi Annan, commence à entrer dans les faits

Du droit d'intervention à la responsabilité collective : une doctrine naissante qui, selon Kofi Annan, commence à entrer dans les faits

Kofi Annan
Dans son allocution prononcée ce matin au Forum international de Stockholm, consacré cette année à la prévention du génocide, le Secrétaire général de l'ONU a retracé l'histoire récente des efforts et des échecs dans ce domaine, ajoutant que la communauté internationale était en train de passer de la notion de droit d'ingérence à celle de responsabilité collective, la responsabilité de l'ensemble de l'espèce humaine à l'égard de chacun de ses membres, une « doctrine naissante » « porteuse d'espoirs » qu'il reste à affiner et à faire, explicitement, accepter.

Du « plus jamais ça », notion qui a présidé à la fondation de l'ONU « après que le fléau de la guerre ait infligé à l'humanité [...] un génocide d'une ampleur monstrueuse » aux événements de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda dans les années 90, le génocide est au c?ur des préoccupations de l'ONU, a rappelé Kofi Annan devant les participants du Forum international de Stockholm aujourd'hui.

Dans les deux derniers cas, « ce sont les États Membres qui ont fait les erreurs les plus graves, surtout dans la façon dont les décisions ont été prises au sein du Conseil de sécurité. Mais l'échec nous revient à tous », a déclaré le Secrétaire général. Un mois plus tard, une enquête faite à sa demande concluait à un « manque de ressources et un manque de volonté ».

« Depuis que je suis Secrétaire général, je me suis constamment efforcé de remplacer un mode de fonctionnement axé sur la réaction par un mode de fonctionnement axé sur la prévention, en particulier celle des conflits armés. C'est là une question qui touche directement au thème de cette rencontre, puisque c'est à l'occasion de conflits armés qu'ont lieu la plupart des génocides, même s'il y a des exceptions. »

Il a appelé à s'attaquer aux causes profondes de la violence et des génocides : l'intolérance, le racisme, la tyrannie et le discours public déshumanisant qui nient la dignité et les droits de groupes entiers. « Nous devons en particulier protéger les droits des minorités, qui sont les plus souvent visées », a-t-il ajouté.

« A l'Organisation des Nations Unies, il subsiste des lacunes évidentes dans les moyens d'alerte rapide susceptibles d'être mis en oeuvre en cas de génocide ou de crimes semblables, ainsi que dans les moyens d'analyse et de gestion de l'information reçue », a reconnu Kofi Annan. Toutefois, a-t-il ajouté, « le système d'alerte rapide le plus perfectionné qui soit sera complètement inutile si les États n'ont pas la capacité et la volonté d'agir quand l'information leur parvient. »

Aussi a-t-il proposé d'étudier des « idées nouvelles » : création d'un comité de prévention des génocides par les États parties à la Convention contre le génocide, comme cela s'est fait pour d'autres traités, ou encore désignation d'un rapport rapporteur spécial sur la prévention des génocides, qui serait épaulé par le Haut Commissaire aux droits de l'homme mais ferait rapport directement au Conseil de sécurité.

Le Secrétaire général a attiré l'attention sur la création par le Gouvernement canadien de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États qui a publié en 2001, sous le titre « La responsabilité de protéger »un rapport qui « a modifié de façon créative et très prometteuse les prémisses du débat sur cette question ô combien épineuse. »

« Grâce à la Commission, a-t-il poursuivi, nous comprenons désormais qu'il ne s'agit pas de parler de droit d'intervention, mais bien de responsabilité : en premier lieu, celle qu'ont tous les États de protéger leur population, mais aussi, en fin de compte, celle qu'a l'ensemble de l'espèce humaine de mettre tous ses membres, en toutes circonstances, à l'abri des pires exactions. »

Il a jugé « porteuse de beaucoup d'espoir pour l'humanité » cette « doctrine naissante » qui sera, selon lui « de plus en plus largement acceptée, grâce aux débats qui se tiendront à l'ONU et ailleurs. »

Kofi Annan a fait remarquer que « au moins implicitement » cette doctrine a déjà été acceptée « quand l'Organisation des Nations Unies a institué des tribunaux internationaux chargés de poursuivre les auteurs d'actes de génocide et d'autres crimes apparentés dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda. Et désormais, la Cour pénale internationale s'efforce d'appliquer le même principe de façon plus générale. »

« Cela signifie que nous devons disposer de critères précis pour faire la distinction entre les situations où il existe de véritables risques de génocide (ou de violations des droits de l'homme à la même échelle), qui appellent une intervention militaire, et celles où le recours à la force ne serait pas légitime », a-t-il ajouté.

« Je désire ardemment voir venir le jour où nous pourrons dire sans crainte de nous tromper que, face à un nouveau Rwanda ou à un nouveau Srebrenica, le monde réagirait à temps et efficacement, a conclu le Secrétaire général. Mais ne nous leurrons pas : ce jour-là n'est pas encore venu. Tous, nous devons poursuivre nos efforts pour nous en rapprocher.

Dans l'après-midi, il s'est entretenu avec Hans Blix, l'ancien chef de l'équipe des inspecteurs de l'ONU en désarmement de l'Iraq.

Avant de quitter la Suède pour Paris, il a rencontré le Secrétaire d'Etat norvégien aux affaires étrangères, Vidar Helgesen, avec lequel il a discuté du renforcement du processus de paix au Sri Lanka et des perspectives de paix au Soudan.