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La Fondation Ozone est basée dans la banlieue de la capitale thaïlandaise, Bangkok.

Thaïlande : passer de la punition au traitement des personnes qui consomment des drogues

UN News/Daniel Dickinson
La Fondation Ozone est basée dans la banlieue de la capitale thaïlandaise, Bangkok.

Thaïlande : passer de la punition au traitement des personnes qui consomment des drogues

Droit et prévention du crime

Les consommateurs de drogues en Thaïlande reçoivent désormais plus d'aide pour réduire les dommages causés par leur dépendance, grâce à un changement dans les lois sur les drogues, autrefois punitives, et au soutien de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

« J'ai commencé à me droguer à l'âge de 15 ans », raconte Prapat Sukkeaw, 49 ans. « Je fumais de la marijuana, mais elle était mélangée à de l'héroïne. J'avais l'impression de flotter, ce qui me permettait d'oublier tous les problèmes auxquels j'étais confronté à l'adolescence. C'était un sentiment merveilleux ».

Prapat Sukkeaw, 49 ans, consomme de la drogue depuis l'âge de 15 ans.
UN News/Daniel Dickinson
Prapat Sukkeaw, 49 ans, consomme de la drogue depuis l'âge de 15 ans.

Prapat Sukkeaw fait partie des quelques 57.000 personnes qui s'injectent actuellement des drogues en Thaïlande. Ses drogues de prédilection, la marijuana et l'héroïne, reflètent une période de l'histoire récente de la Thaïlande où ces deux stupéfiants illégaux étaient les principaux stimulants faisant l'objet d'un trafic à partir du fameux Triangle d'or, une région reculée et quelque peu inaccessible qui comprend le nord de la Thaïlande, le Myanmar et le Laos.

Ce travailleur d'ONG a parfois voulu arrêter l'héroïne sous la pression de sa famille et de ses amis. 

Aujourd'hui, il reconnaît que, même s'il admet être dépendant, prendre de la drogue « est ma préférence et mon droit ».  Il a commencé à prendre de la méthamphétamine, une drogue de synthèse, car l'héroïne est devenue de plus en plus chère.

Il ne cherche plus à s'abstenir de consommer des drogues, mais à vivre avec les effets secondaires et à gérer les dommages potentiels d'une consommation prolongée.

Comme tous les Thaïlandais, il a accès aux soins de santé universels, mais il a constaté qu'en tant que consommateur de drogues, il était stigmatisé et victime de discrimination de la part du personnel soignant. Il a été orienté vers l'organisation non- gouvernementale Ozone, basée dans la banlieue de la capitale thaïlandaise, Bangkok.

L'objectif d'Ozone est de réduire les conséquences sanitaires et sociales de la toxicomanie, en encourageant l'abstinence, mais aussi en soutenant les clients qui souhaitent continuer à consommer et en veillant à ce qu'ils aient accès aux services de santé dont ils ont besoin.

« Nos clients, qui viennent de toute la Thaïlande pour se rendre à Ozone, apprécient notre approche non moralisatrice », a déclaré Ngammee Verapun, le directeur du centre, lui-même consommateur régulier de drogues multiples. « Nous sommes une communauté qui valorise tous les individus. Nous sommes centrés sur le client et nous offrons un soutien par les pairs qui traite tout le monde de la même manière, quel que soit son milieu ».
 

Un test de dépistage de l'hépatite C est préparé pour un client d'Ozone.
UN News/Daniel Dickinson
Un test de dépistage de l'hépatite C est préparé pour un client d'Ozone.

Ozone propose divers services, notamment l'échange de seringues et le dépistage du VIH, ainsi que la PrEP (prophylaxie pré-exposition), qui réduit le risque de contracter le VIH lors de rapports sexuels ou par l'injection de drogues. 

Elle s'associe également à Dreamlopments, un prestataire de services liés à l'hépatite C qui propose des soins de santé intégrés gratuits. Ses activités sont soutenues par l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), bien qu'un manque de financement l'ait contraint à fermer nombre de ses services de proximité dans d'autres régions de Thaïlande. 

Karen Peters, ONUDC
UN News/Daniel Dickinson
Karen Peters, ONUDC

D'une législation punitive à une législation progressiste en matière de drogues

Par le passé, la Thaïlande a sévèrement puni les personnes qui enfreignaient les lois strictes sur les stupéfiants. Depuis une modification de la loi en 2021, le système juridique s'est orienté vers la réhabilitation des personnes qui consomment des drogues.

S'exprimant avant la Journée internationale contre l'abus et le trafic de drogues, qui est célébrée chaque année le 26 juin, Karen Peters, point focal régional de l'ONUDC pour les drogues et la santé, basé à Bangkok, a déclaré : « Aujourd'hui, les gens ont le droit d'avoir des alternatives : les gens ont désormais la possibilité d'opter pour d'autres solutions. Ce n'est pas un choix idéal, mais ils ont la possibilité de suivre un traitement ou d'aller en prison ».

La loi est progressiste à d'autres égards, puisque la réduction des risques est spécifiquement mise en avant comme objectif, ce qui, selon Karen Peters, permet à des organisations telles qu'Ozone « de fonctionner dans les limites du système juridique et judiciaire ».

Elle contribue également à modifier « l'image des personnes qui consomment des drogues en Thaïlande, qui ne sont plus socialement marginalisées ».

Un client de la Fondation Ozone reçoit des conseils sur l'hépatite C.
UN News/Daniel Dickinson

Lutter contre la stigmatisation

La stigmatisation des toxicomanes se poursuit néanmoins, mais selon le Dr Phattarapol Jungsomjatepaisal, Directeur du Comité national de traitement et de réadaptation des toxicomanes au sein du ministère de la santé publique, la nouvelle législation signifie que davantage de « prestataires de services de santé sont formés pour agir de manière non stigmatisante ».

Il ajoute que la réaction des personnes qui consomment des drogues a été « bonne » car on reconnaît qu'en fin de compte, elles devraient recevoir de meilleurs soins dans les hôpitaux et les centres de santé dans le cadre du système de couverture sanitaire universelle de la Thaïlande, tout en continuant à avoir la possibilité d'accéder à des services dans des centres communautaires tels qu'Ozone. 

VIH et hépatite C

La forte prévalence du VIH et de l'hépatite C chez les personnes qui s'injectent des drogues dans un pays où les taux d'infection par le VIH sont par ailleurs en baisse, reste un sujet de préoccupation majeur. On estime que près de 8 % des toxicomanes sont séropositifs, soit environ 3.800 personnes au niveau national. 

Le taux d'hépatite C, qui s'élève à 42 %, est « très effrayant » selon le Dr Patchara Benjarattanaporn, Directeur national de l'ONUSIDA, l'agence des Nations Unies qui dirige l'effort mondial visant à mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique d'ici à 2030.

Malgré les inquiétudes persistantes concernant l'état de santé des toxicomanes, le Dr Benjarattanaporn estime que la Thaïlande pourrait devenir un modèle pour d'autres pays de la région confrontés à des problèmes similaires.

« La nouvelle loi sur les stupéfiants et l'aspect communautaire du traitement des toxicomanes permettent d'espérer que la Thaïlande pourra contrôler les cas et c'est une évolution que d'autres pays observent ».

Watcharapol Mahaprom subit un test sanguin à la Fondation Ozone.
UN News/Daniel Dickinson
Watcharapol Mahaprom subit un test sanguin à la Fondation Ozone.

De retour à Ozone, un client reçoit des conseils sur la PrEP et la prévention du VIH, tandis qu'un autre subit un test d'hépatite. 

Le soutien par les pairs reste un élément clé pour attirer les gens à utiliser ses services et on espère maintenant que la nouvelle législation conduira à moins de discrimination et permettra à d'autres personnes d'accéder à des services similaires par le biais d'un plus grand nombre d'établissements de santé publics.