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Affaire Hariri : la poursuite de l'enquête donnera une chance à la Syrie de coopérer davantage, affirme Detlev Mehlis

Affaire Hariri : la poursuite de l'enquête donnera une chance à la Syrie de coopérer davantage, affirme Detlev Mehlis

Conseil de sécurité
Présentant au Conseil de sécurité son rapport sur l'assassinat de l'ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, Detlev Mehlis a rappelé aujourd'hui que l'enquête n'était pas achevée et que sa poursuite donnerait à la Syrie, accusée d'obstruction, une chance de coopérer de manière significative.

Dans une affaire aussi complexe et multidimensionnelle, « l'enquête ne peut être considérée comme encore achevée », a souligné aujourd'hui Detlev Mehlis, chef de la Commission d'enquête internationale indépendante dans l'assassinat de l'ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février dernier à Beyrouth.

image• Retransmission de la séance du Conseil de sécurité[43mins]

Detlev Mehlis présentait les conclusions de son rapport, rendu public jeudi dernier à New York, lors d'une séance du Conseil de sécurité (voir sur le rapport, notre dépêche du 21 octobre 2005).

« Il faudra plus de temps pour poursuivre nos pistes de façon plus approfondie et pour en suivre d'autres. Je voudrais souligner qu'il est entièrement normal qu'une affaire de ce type prenne plusieurs mois, sinon des années, afin de couvrir tous les aspects de l'enquête avec certitude et de préparer un dossier pour ouvrir des poursuites », a-t-il déclaré.

« Pendant plus de 130 jours, 30 enquêteurs, en provenance de plus de 17 différents pays membres des Nations Unies, ont interrogé plus de 400 témoins et suspects, examiné environ 60.000 documents et produit plus de 16.500 pages de documents », a rappelé Detlev Mehlis, soulignant que l'équipe qui avait rédigé le rapport était constituée de ressortissants de plus de huit Etats différents.

« J'ai attaché une importance particulière au maintien d'un équilibre géographique dans les équipes afin d'accroître la crédibilité de la Commission », a-t-il insisté.

Plus de 450 éléments de preuve ont été rassemblés et les principales pistes identifiées, a déclaré le chef de la Commission d'enquête.

Rappelant que le Secrétaire général, à la demande du gouvernement libanais, avait prorogé le mandat de la Commission, il a indiqué que la procédure suivie – notamment le niveau de coopération avec autorités libanaises - restera inchangée (voir notre dépêche du 21 octobre 2005).

« La Commission re-interrogera un certain nombre de témoins, interrogera de nouveaux témoins et achèvera l'examen des éléments de preuve obtenus récemment », en fournissant aux autorités libanaises l'assistance technique dont elle aura besoin, a-t-il souligné.

« Cela fournira une nouvelle chance aux autorités syriennes de faire preuve d'une coopération plus approfondie et plus significative, et de fournir toute preuve pertinente relative à l'assassinat », a affirmé Detlev Mehlis.

« Pour cette raison, il se peut que les autorités syriennes souhaitent mener leur propre enquête dans l'assassinat de Rafic Hariri, de façon ouverte et transparente », a-t-il avancé.

« Cela permettrait à la Commission de 'combler les brèches' et d'avoir un tableau plus clair des organisateurs et des auteurs de l'attaque terroriste du 14 février dernier », a-t-il ajouté.

Detlev Mehlis a par ailleurs fait part du « danger accru » qui se portait désormais sur la sécurité des membres de la Commission, remerciant les forces de sécurité libanaises pour leur protection.

« Malgré toutes les mesures de protection, le niveau de risque, déjà élevé, s'accroîtra en particulier après la publication du rapport », a-t-il pécisé, indiquant que la Commission avait déjà reçu un certain nombre de « menaces jugées crédibles ».

« Lorsque cette enquête sera terminée, il incombera aux autorités libanaises de décider de la marche à suivre et de déterminer la nature et le lieu du mécanisme judiciaire qui reste à mettre en place », a-t-il rappelé.

A l'issue de l'exposé de Detlev Mehlis, les représentants du Liban et de la Syrie ont pris la parole.

Le Représentant permanent de la Syrie à l'ONU a estimé injustes les accusations à l'égard de son pays, soulignant qu'il avait pleinement coopéré avec l'enquête et regrettant que la piste d'un auteur autre que la Syrie n'ait pas été évoquée.

Les membres du Conseil de sécurité se sont réunis pour des consultations à huis clos.

Hier, les représentants de la France et des Etats-Unis ont indiqué souhaiter parvenir rapidement à une résolution sur la question, appelant notamment la Syrie à coopérer pleinement (voir notre dépêche du 24 octobre 2005).

Dans son rapport, la Commission d'enquête parvient à la conclusion qu'il existe « un faisceau de preuves conduisant à l'implication tant du Liban que de la Syrie dans cet attentat terroriste ».

Le rapport souligne que « les anciens chefs de la sécurité libanais étaient nommés par les Syriens » et que, « compte tenu de l'infiltration des institutions et de la société libanaises par les services de renseignement syrien et libanais travaillant de concert, il serait difficile d'envisager qu'un attentat aussi complexe ait pu être mené sans qu'ils en soient informés ».

Il soulignait par ailleurs que, « même si les autorités syriennes, après une première hésitation, ont coopéré à un degré limité avec la Commission, plusieurs témoins ont tenté de tromper les enquêteurs en faisant des déclarations inexactes », ajoutant que « la lettre adressée à la Commission par le ministre des Affaires étrangères de la République arabe syrienne s'était révélée contenir de fausses informations ».

Le Conseil de sécurité avait mis en place la Commission après qu'une enquête préliminaire des Nations Unies ait qualifié l'enquête des services de police libanais de « gravement défectueuse », concluant à la responsabilité première de la Syrie quant au « climat de tension politique précédant l'assassinat » (voir notre dépêche du 30 mars 2005).

Avant son arrivée au Liban, Detlev Mehlis a dirigé une longue enquête sur l'attentat contre une discothèque de Berlin en 1986, qui a coûté la vie à deux réservistes américains et une Turque. C'est au terme d'une procédure de 15 ans qu'en 2001 la justice allemande a conclu à la responsabilité des services secrets libyens et prononcé quatre inculpations, dont celle d'un ancien diplomate libyen.

En 2004, Detlev Mehlis a poursuivi Johannes Weinrich, militant d'extrême gauche soupçonné d'être l'adjoint de Carlos, pour son implication présumée dans trois attentats commis en France plus de 20 ans auparavant.

Voir le compte-rendu des interventions au Conseil de sécurité