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Une famille passe devant un mémorial érigé sur le lieu d'un attentat-suicide, revendiqué par Daech, au stade Al-Shuhadaa à Babil, en Iraq.

Daech aurait mené au moins 13 attaques à l'arme chimique en Iraq, selon l'équipe d'enquête de l'ONU

© UNICEF/Wathiq Khuzaie
Une famille passe devant un mémorial érigé sur le lieu d'un attentat-suicide, revendiqué par Daech, au stade Al-Shuhadaa à Babil, en Iraq.

Daech aurait mené au moins 13 attaques à l'arme chimique en Iraq, selon l'équipe d'enquête de l'ONU

Paix et sécurité

Au cours de leur règne de terreur de près de quatre ans en Iraq, les extrémistes de l'EIIL ont mis au point au moins huit agents chimiques, les ont testés sur des êtres humains et ont mené au moins 13 attaques, ont rapporté jeudi des experts de l'ONU.

Les hauts responsables de l'Équipe d'enquête des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) à répondre de ses crimes, l'UNITAD, ont présenté certaines de leurs conclusions aux États membres réunis au Siège de l'ONU à New York.

Au cours des cinq dernières années, l'UNITAD a rassemblé des preuves de crimes commis pendant le califat autoproclamé de l'EIIL, de juin 2014 à décembre 2017, qui pourraient être utilisées pour poursuivre les extrémistes devant des tribunaux nationaux ou étrangers.

Christian Ritscher, conseiller spécial et chef de l'UNITAD au Conseil de sécurité
UN Photo/Loey Felipe
Christian Ritscher, conseiller spécial et chef de l'UNITAD au Conseil de sécurité

Les poursuites sont rares

Christian Ritscher, Conseiller spécial et chef de l'UNITAD, a rappelé que l'utilisation d'armes chimiques est proscrite au niveau international et pourrait constituer un crime contre l'humanité, un crime de guerre ou même contribuer à un génocide, si un groupe spécifique est visé.

« À ma connaissance, l'utilisation d'armes chimiques par des acteurs non étatiques a rarement été jugée, voire jamais, par un tribunal - national ou international - dans le monde entier. En tant qu'UNITAD, nous aimerions jouer notre rôle et tenter de changer cette situation », a-t-il déclaré.

Les enquêtes sur le développement et l'utilisation d'armes chimiques et biologiques par Daech ont commencé il y a deux ans, en examinant l'attaque de mars 2016 sur la ville de Taza Khormatou et en cherchant à savoir si d'autres incidents avaient eu lieu ailleurs.

Un programme sophistiqué

Paula Silfverstolpe, cheffe d'équipe, a déclaré que les opérations de l'EIIL représentaient l'aboutissement de près de deux décennies d'expérimentation par des groupes jihadistes sunnites et constituaient « le programme le plus sophistiqué mis au point par des acteurs non étatiques jusqu'à présent ».

La fabrication globale des armes et des munitions relevait du soi-disant département de la défense de l'EIIL et dénommé Comité de développement et de fabrication militaires (CMDM), qui disposait d'un budget mensuel de plus d'un million de dollars ainsi que de fonds extrabudgétaires pour l'achat de matières premières.

Plus de 1.000 combattants ont participé à la production, selon les registres de paie de Daech.

Des centaines d'entre eux ont été affectés au programme d'armes chimiques, et des offres d'emploi spécifiques ont été publiées pour recruter des scientifiques et des experts techniques, y compris à l'étranger, attirant des personnes de pays tels que les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Belgique.

Puits de pétrole incendiés par des membres de Daech lors de leur retraite, à Qayyara, en Iraq. (archives)
UNICEF/Alessio Romenzi

Une terrible « première »

Des équipes spécialisées dans la recherche et le développement ont été installées à l'université de Mossoul, alors dirigée par les extrémistes, dans le nord de l'Iraq, dans des zones rurales de la province d'Al-Anbar et dans la ville de Hawija, où se trouve le quartier général de Daech.

Paula Silfverstolpe a déclaré que les militants avaient mis au point au moins huit agents chimiques : l’aluminium phosphide, la toxine botulique, le chlore, le cyanure, la nicotine, le ricin, le sulfate de thallium et l'ypérite, également connue sous le nom de gaz moutarde.

L'EIIL a également été le premier groupe non étatique à mettre au point un agent de guerre chimique interdit et à le combiner à un système de lancement de projectiles.

Les toxines que sont l'ypérite, le chlore et l’aluminium phosphide sont interdites par la Convention sur les armes biologiques, et il est prouvé que Daech les a utilisé dans des mortiers, des roquettes et des engins explosifs improvisés (EEI).

Le groupe terroriste a également étudié la possibilité d'acquérir de l'anthrax, mais rien ne prouve à ce jour que des combattants l'aient utilisé, ou d'autres agents biologiques, lors d'attaques, bien que les enquêtes se poursuivent.

Tests sur l'homme et paiements de primes

L'UNITAD a également recueilli des preuves indiquant que Daech a testé des agents chimiques sur des humains - notamment le ricin, la nicotine et le sulfate de thallium - ainsi que sur des animaux tels que des lapins.

Les archives de l'EIIL démontrent que le principal dirigeant Abou Bakr al-Baghdadi, décédé en 2019, a autorisé l'utilisation d'armes chimiques par les troupes et a même approuvé le versement de primes aux soldats qui les déployaient. Des « paiements pour martyre » étaient versés en cas de décès.

Al-Baghdadi a également ordonné personnellement l'attaque contre Taza Khurmatu « dans le but de faire le plus de victimes possible ». Sur les 42 projectiles lancés contre la ville, au moins 27 contenaient de l'ypérite, qui provoque des cloques et des brûlures douloureuses. Deux enfants sont morts et des milliers de personnes, y compris des secouristes, ont été blessées.

Des attaques généralisées et systématiques

Le juge Ali Noaman Jabbar de la Cour d'instruction de Taza a déclaré que la réouverture de l'affaire et l'intérêt de l'UNITAD ont incité de nombreuses victimes et leurs familles à apporter leurs témoignages.

« L'impact causé par l'attaque chimique comprend diverses maladies telles que le cancer, les maladies de la peau, les fausses couches, les malformations des embryons, les maladies chroniques, l'impact psychologique et les traumatismes », a-t-il déclaré dans un message vidéo.

L'attaque contre Taza Khormatou « n'était certainement pas un cas isolé », selon Mme Silfverstolpe.  Des informations montrent qu'au moins 12 autres attaques ont été perpétrées dans d'autres lieux et des rapports non confirmés font état de 35 autres.

« D'après les informations que nous avons recueillies jusqu'à présent, il s'agissait d'un phénomène assez répandu et systématique », a-t-elle ajouté.

Des enfants iraquiens marchent à côté d'un marché à Sinjar qui été détruit pendant les combats contre le groupe terroriste Daech.
Unsplash/Levi Meir Clancy
Des enfants iraquiens marchent à côté d'un marché à Sinjar qui été détruit pendant les combats contre le groupe terroriste Daech.

Honorer les victimes

L'UNITAD continuera à travailler avec l'Iraq et d'autres pays pour constituer des dossiers concernant 21 « personnes d'intérêt » soupçonnées d'être impliquées dans le programme d'armes chimiques de Daech, parmi lesquelles figurent des ressortissants étrangers.

Si certains sont estimés morts, d'autres ont été détenus ou vivent dans des pays tiers.

Bien que le califat ait été détruit, M. Ritscher a prévenu que la menace terroriste n'avait pas disparu.

« Nous devons faire progresser la responsabilité pénale en ce qui concerne l'utilisation d'armes chimiques au nom des victimes et des survivants de Daech afin de promouvoir la paix et la réconciliation en Iraq, mais aussi parce qu'il s'agit d'une responsabilité de l'ensemble de la communauté internationale, étant donné que de telles menaces et de tels crimes peuvent se présenter dans d'autres pays », a-t-il déclaré.