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La centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.

Tchernobyl, 37 ans après : réflexions de survivants sur la catastrophe nucléaire

SSP "Chernobyl NPP"
La centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.

Tchernobyl, 37 ans après : réflexions de survivants sur la catastrophe nucléaire

Paix et sécurité

Des survivants de l'un des pires accidents nucléaires au monde à la centrale de Tchernobyl en Ukraine le 26 avril 1986 reviennent sur ce jour fatidique il y a 37 ans, alors que des employés actuels parlent des défis auxquels ils sont confrontés en travaillant sur le site qui a été saisi par les troupes russes après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Revenant sur deux des périodes les plus difficiles depuis l'ouverture de la centrale en 1977, des employés de Tchernobyl ont raconté à ONU Info leurs expériences personnelles à l'occasion de la Journée internationale du souvenir de la catastrophe de Tchernobyl cette semaine.

Evgeny Yashin était un chimiste de 40 ans à la centrale de Tchernobyl lorsque l'accident du réacteur nucléaire s'est produit en avril 1986, entraînant des évacuations massives, la mort de 31 personnes et des maladies de longue durée pour des milliers d'autres.

« Tout le monde parlait de l'explosion du système de refroidissement d'urgence du réacteur », a-t-il raconté à ONU Info, se souvenant d'un trajet fatidique en bus pour se rendre au travail le jour de l'accident. « Mais, en passant par le quatrième groupe motopropulseur, il nous est apparu clairement que c'était beaucoup plus grave que prévu. La paroi du réacteur était complètement tombée et une lueur était visible, ressemblant à un four de fonderie d'acier. Nous avons immédiatement réagi ».

À ce stade, l'ampleur de l'accident n'était ni prévue ni évaluée, a-t-il dit, ajoutant qu'aucun protocole n'était en place car il était inconcevable que cela puisse arriver aux réacteurs. En tant que chef de quart de 300 employés à l'atelier chimique de Tchernobyl, la tâche principale de son équipe était de préparer l'eau déminéralisée, de recevoir les déchets liquides radioactifs, de les stocker et de les traiter.

« Nous avons préparé l'eau pour éteindre le réacteur, marché jusqu'aux genoux dans l'eau et organisé le pompage », a-t-il déclaré. « L'eau semblait couler sans fin, le système a été lancé à pleine capacité et de plus en plus d'eau était nécessaire ».

Yevgeny Yashin, physicochimiste de profession, est venu travailler à la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1977.
Yevgeny Yashin
Yevgeny Yashin, physicochimiste de profession, est venu travailler à la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1977.

Évacuations

Le 27 avril, les habitants de Pripyat ont été évacués avec une partie du personnel de l'usine, a-t-il dit, se souvenant des bus qui traversaient la ville, s'arrêtant devant les maisons pour récupérer les évacués. Les proches ne pouvaient ni les appeler, ni les avertir, ni discuter de l'itinéraire d'évacuation, a-t-il dit, rappelant qu'il avait découvert que sa famille avait quitté la zone.

Début mai, le personnel restant souffrait d'effets secondaires graves, car les médecins surveillaient leur santé via des tests sanguins fréquents, a-t-il expliqué, ajoutant que certains avaient été emmenés « hors de la zone » pour se reposer.
« Je ressens les conséquences sur ma santé même maintenant », a déclaré M. Yashin, qui a un cancer. « Très peu de mes collègues sont encore en vie. Je suis surpris que moi-même je sois encore en vie ».

Depuis, des différends subsistent quant à savoir qui est à blâmer, a-t-il déclaré.

« Je suis sûr à 100% que les concepteurs n'auraient pas pu prévoir un tel développement », a-t-il déclaré. « Le personnel a pris toutes les mesures pour localiser les conséquences de l'accident, mais n'a pas pu l'empêcher ».

Depuis lors, chaque année, le 26 avril, les habitants de la ville de Slavutych se rassemblent devant un monument aux victimes de Tchernobyl, allumant des bougies et se souvenant de ces événements tragiques, a dit M. Yashin. Bien qu'il ne travaille plus à l'usine, sa petite-fille, Tatiana, est une ingénieure qui gère le combustible nucléaire usé sur le site, où il est stocké avec des milliers de tonnes de déchets radioactifs.

Le site de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.
SSP "Chernobyl NPP"
Le site de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.

Nouvelle menace

Comme toutes les installations nucléaires, Tchernobyl bénéficie d'une protection spéciale en vertu du droit international humanitaire. Mais l'occupation russe de 2022 a soulevé de graves problèmes de sécurité. Elle a également ramené les employés aux conditions de travail de 1986, exigeant des quarts de rotation obligatoires.

« Nous travaillons maintenant comme en 1986 », a souligné Alexander Novikov, ingénieur en chef adjoint pour la sécurité technique du site. « Je viens d'arriver en service et je serai ici jusqu'à lundi prochain. Nous avons transformé nos bureaux en stations de repos, installant des douches et des machines à laver. Le contrôle des radiations a été considérablement renforcé ; nous le réalisons tous les jours car les gens habitent à proximité de la centrale ».

Un an après l'occupation russe, les salariés ne peuvent plus faire un simple trajet en bus. La plupart vivent à Slavutych, mais les lignes de chemin de fer ont été bombardées le premier jour de l'invasion russe, le 24 février 2022. Les travailleurs voyagent maintenant en bus à 350 kilomètres de distance, travaillent pendant une semaine entière, restant dans la zone d'exclusion pendant toute la période, et puis ils rentrent chez eux, a-t-il dit.

Bâtiments abandonnés à Pripyat, à deux kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.
© IAEA/Dana Sacchetti
Bâtiments abandonnés à Pripyat, à deux kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.

Nouveaux colocataires

Jusqu'en 2022, des installations nucléaires n'avaient jamais été saisies dans le cadre d'un conflit, a déclaré M. Novikov. La situation unique a nécessité des mesures adaptées.

« L'AIEA a pris une décision non conventionnelle d'organiser des 'missions permanentes », a-t-il expliqué, ajoutant que les employés de la centrale et les inspecteurs de l'AIEA étaient constamment présents dans l'installation. « Les inspecteurs avaient l'habitude de venir faire une inspection pendant plusieurs jours ou semaines, puis de repartir ».

Désormais, des représentants de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AEA) vivent avec le personnel et effectuent des activités d'inspection sans quitter lle site.

Lorsqu'un pays perd le contrôle de ce type d'installations et n'est pas en mesure de mener des inspections, il doit se tourner vers la communauté internationale pour obtenir de l'aide, a-t-il estimé.

« Le moment est venu de répondre aux crises », a déclaré le chef de l'AIEA, Rafael Grossi.

Alors que la tâche principale de l'agence, depuis sa création au plus fort de la guerre froide en 1957, est d'assurer la sécurité des installations nucléaires, elle n'a jamais rencontré le besoin d'opérer dans l'épicentre de combats armés intenses.

Après le début de la guerre en Ukraine, l'agence a invité les parties prenantes à des discussions à son siège à Vienne. Représentant la centrale de Tchernobyl au sein d'une délégation ukrainienne, M. Novikov a déclaré qu'aucun des nombreux rapports qu'il avait lus ne mentionnait la guerre russe contre l'Ukraine.

Le Directeur général de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi (à droite), rencontre le Président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kyïv dans le cadre de la mission d’assistance de l’agence à la centrale nucléaire de Zaporijjia.
Service de presse présidentiel ukrainien
Le Directeur général de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi (à droite), rencontre le Président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kyïv dans le cadre de la mission d’assistance de l’agence à la centrale nucléaire de Zaporijjia.

Démilitariser les installations nucléaires

« La question s'est posée de savoir comment assurer la sécurité dans ces situations qui se produisent actuellement dans notre pays », a-t-il rappelé, soulignant que la centrale nucléaire de Zaporijjia fonctionne également au milieu d'une zone de guerre. « Après tout, tout incident peut entraîner des conséquences qui se feront sentir dans toute l'Europe ».
En effet, Zaporijjia est la plus grande centrale nucléaire d'Europe.

« Vous ne pouvez pas capturer des installations nucléaires », a-t-il souligné. « La zone autour des centrales nucléaires doit être démilitarisée ».

Malgré les défis des accidents et de la guerre, l'énergie nucléaire représente l'avenir, car la consommation d'électricité dans le monde augmente, a-t-il affirmé. Par exemple, 80% de l'électricité en France provient de sources nucléaires.

« Aussi paradoxal que ces mots aient semblé après Tchernobyl et Fukushima, les centrales nucléaires sont l'un des producteurs d'électricité les plus sûrs », a-t-il déclaré. « Dans des conditions normales d'exploitation, en l'absence d'accidents et d'incidents, c'est aussi la source la plus propre ».

Les nouveaux types de réacteurs sont fiables et contrôlables, a-t-il expliqué, ajoutant que le développement de l'énergie nucléaire est « la voie la plus prometteuse ».

« Tout ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'une nouvelle approche de la sécurité », a-t-il dit.