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L'Afghanistan est désormais le pays le plus répressif pour les femmes, dénonce l’ONU au Conseil de sécurité

Roza Otunbayeva, Représentante spéciale du Secrétaire général et cheffe de la Mission d'assistance de l'ONU en Afghanistan
UN Photo/Rick Bajornas
Roza Otunbayeva, Représentante spéciale du Secrétaire général et cheffe de la Mission d'assistance de l'ONU en Afghanistan

L'Afghanistan est désormais le pays le plus répressif pour les femmes, dénonce l’ONU au Conseil de sécurité

Femmes

Durant la réunion du Conseil de sécurité consacrée à l’Afghanistan mercredi, Roza Otunbayeva, la Représentante spéciale et cheffe de la mission d’assistance de l’ONU dans ce pays (MANUA), a décrit les conséquences de la ségrégation des genres sur l’aide internationale, et confirmé ses craintes d’un isolement croissant du régime des Talibans, au détriment d’une population « confrontée à la pire crise humanitaire au monde ».  

« En cette Journée internationale des femmes, j’ai peu de messages réconfortants à adresser aux femmes et aux filles en Afghanistan », a reconnu Roza Otunbayeva, avant de fustiger les interdictions aux femmes de travailler, d’étudier, de voyager sans garant masculin et même d’aller dans les parcs et les bains publics. 

« Les Talibans prétendent avoir uni le pays, mais ils l’ont aussi sévèrement divisé par sexe » a-t-elle  poursuivi. « À un moment où l’Afghanistan a besoin de tout son capital humain pour se remettre de  décennies de guerre, la moitié des médecins, scientifiques, journalistes et élus potentiels du pays sont  enfermés chez eux, leurs rêves brisés et leurs talents confisqués. L’Afghanistan sous les Talibans reste le pays le plus répressif au monde en ce qui concerne les droits des femmes ». 

Conséquences pour l’aide internationale 

Si les autorités de facto semblent, selon elle, en nier l’importance, cette ségrégation des sexes a aussi des conséquences sur les relations entre les Talibans et la communauté internationale.  

Le financement de l’Afghanistan risque de diminuer si les femmes ne sont pas autorisées à travailler. L’arrêt d’activité des ONG dirigées par des femmes induit une diminution du montant de l’aide et a déjà entrainé la suspension des discussions sur une augmentation de l’aide au développement. 

  « Nous comprenons que les Talibans ont une vision du monde très différente de celle de tout autre gouvernement, mais il est difficile de comprendre comment un gouvernement digne de ce nom peut gouverner contre les besoins de la moitié de sa population », a-t-elle remarqué, ajoutant que le peuple afghan a des attentes claires et légitimes.  Il avait compris, au vu des assurances données par les Talibans lors des accords de Doha, que ses droits ne seraient pas restreints.  

L’Afghanistan, à ses yeux, reste « la plus grande crise humanitaire au monde », un pays dont les deux tiers de la population, soit 28 millions de personnes, auront besoin d’aide humanitaire cette année pour survivre. Pour un cout de 4,62 milliards de dollars, le plus grand appel de pays jamais enregistré. Près de la moitié de la population, soit 20 millions de personnes, connaît une crise d’insécurité alimentaire. Six millions de personnes sont au bord de la famine. 

Une jeune fille, âgée de 13 ans, étudie à la maison à Kaboul après l'interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles par les Talibans.
© UNICEF/Mohammad Haya Burhan
Une jeune fille, âgée de 13 ans, étudie à la maison à Kaboul après l'interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles par les Talibans.

L’érosion inacceptable de tous les droits humains pour la communauté internationale  

Roza Otunbayeva a partagé sa crainte que les interdictions imposées aux femmes travaillant pour les ONG ne soient bientôt appliquées aux femmes locales employées par l’ONU, déjà en butte à des restrictions dans cinq provinces.  

Elle a déploré que dans certaines régions, les conditions inacceptables exigées par les autorités locales aient abouti à la suspension temporaire des secours, qui pendant l’année 2022, avant la mise en place de ces contraintes, avaient pu atteindre 26,1 millions d’Afghans.  

A l’inquiétude pour la poursuite de l’aide internationale en 2023 dans ces conditions s’ajoute la menace croissante de l’Etat Islamique au Khorasan (EIIL-K), un mouvement contre lequel, a alerté la cheffe de la  MANUA, les autorités talibanes ne disposent pas de capacités suffisantes et implique une collaboration du régime avec la communauté internationale.  

« Outre la restriction des droits des femmes et des filles, nous assistons également à une érosion d’autres droits humains, a déploré la Représentante spéciale, citant, dans le rapport du Secrétaire général, les exécutions extrajudiciaires, arrestations arbitraires, détentions et de tortures perpétrées par les autorités de facto contre d’anciens responsables gouvernementaux et forces de sécurité.  

Autant de violations du décret d’amnistie des Talibans, auxquelles s’ajoutent les châtiments corporels en publics - considérés, selon le droit international, comme une forme de torture et de mauvais traitements - et l’étouffement du secteur des médias et de la société civile. 

  La cheffe de la mission des Nations Unies en Afghanistan a rappelé que ses premiers contacts avec les autorités de facto en 2021, au terme du conflit, avaient été relativement constructifs et source d’un espoir mesuré, marqué par ce qui apparaissait comme un désir déclaré des Talibans de rejoindre la communauté internationale.  

« Pourtant, les dirigeants talibans ont commencé il y a un an à prendre systématiquement des décisions qui vont à l’encontre de cet objectif déclaré et constituent une forme de gouvernement tout simplement inacceptable pour la communauté internationale », a-t-elle confirmé. « Nos déclarations de condamnations collectives et de sanctions n’ont eu aucun effet, sinon peut-être celui de durcir certaines positions des Taliban ». 

Des femmes attendent que leurs enfants soient soumis à un dépistage de la malnutrition dans une clinique de la province de Balkh, en Afghanistan.
PAM/Julian Frank
Des femmes attendent que leurs enfants soient soumis à un dépistage de la malnutrition dans une clinique de la province de Balkh, en Afghanistan.

Tenter de rebâtir un espace de dialogue 

Mme Otunbayeva a dit croire qu’une faction au sein des dirigeants talibans n’est pas d’accord avec la direction actuelle et comprend qu’il importe de prêter attention aux besoins réels de la population.  

« Mais le temps presse, les crises mondiales se multiplient. Les demandes de ressources des donateurs s’accroissent à mesure que la disponibilité de ces ressources diminue », a-t-elle prévenu, sans cacher son inquiétude devant ces dynamiques.  

« Je crains que l’histoire se répète et que l’Afghanistan prenne des décisions qui accroissent son isolement » a-t-elle reconnu, ajoutant, comme une note d’espoir, que, contrairement aux années 1990, le monde est aujourd’hui beaucoup plus attentif à l’Afghanistan.  

« La stratégie de la MANUA consiste à préserver tout espace politique existant pour un discours honnête et direct entre les Talibans et la communauté internationale - tant la région que les donateurs », a-t-elle assuré. » Nous sommes à un moment d’impasse politique où la confiance fait défaut ». 

La Représentante spéciale a rappelé l’état complexe du dialogue.  « La communauté internationale, à l’intérieur et à l’extérieur de la région, a pris une position claire et unifiée contre ces décrets. Nous espérons que les Talibans accorderont une plus grande attention au fait qu’il y va de leur intérêt et surtout de celui du peuple afghan ».  

« Dans le même temps », a-t-elle nuancé, « la communauté internationale doit commencer à élaborer un programme de discussion avec les autorités de facto qui inclue les questions qui importent aux Talibans. Ces deux éléments peuvent constituer la base d’un processus qui peut aider à renforcer la confiance et mener à un résultat mutuellement acceptable ».