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La Statue de la Liberté, vue de Ellis Island

« Les Etats-Unis et l’Holocauste », un documentaire poignant à l’honneur à l’ONU

© Library of Congress
La Statue de la Liberté, vue de Ellis Island

« Les Etats-Unis et l’Holocauste », un documentaire poignant à l’honneur à l’ONU

Droits de l'homme

Sur fond de flambée de violence antisémite à travers le monde, la projection du dernier documentaire du légendaire cinéaste Ken Burns, jeudi 9 février au siège de l’ONU, a dévoilé un sombre chapitre de l’histoire des États-Unis. Un débat franc et approfondi a privilégié un nouveau code de conduite pour en finir avec les univers parallèles délirants de la haine et de la désinformation en ligne.

Le documentaire « Les États-Unis et l’Holocauste », diffusé en 2022 en trois épisodes de deux heures, dépeint les conséquences catastrophiques des discours de haine et de la désinformation, ainsi que la quête désespérée de liberté de millions de Juifs fuyant les persécutions de l’Allemagne nazie.

Quel est le goût de la liberté ? Joseph Hilsenrath, un jeune garçon juif évacué aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, a décrit cette sensation dans le film.

« Le goût de la liberté est… incomparable », a-t-il répondu.

Le souvenir poignant de sa première vision de la Statue de la Liberté de New York, en 1942, à bord d’un navire qui l’amenait de France avec 49 autres enfants, lui a mis les larmes aux yeux, comme à de nombreux spectateurs, réunis à l’ONU pour assister à la projection d’une version de 44 minutes du documentaire et rencontrer les réalisateurs.

Dévoiler le passé raciste

Le documentaire relate la montée d’Adolf Hitler et du nazisme en Allemagne à partir de la fin des années 1930, en la plaçant dans le contexte de l’antisémitisme et du racisme au niveau mondial illustrés entre autres par les mouvements eugéniques et des lois racistes américaines, dont certaines n’ont été abrogées que dans les années 1960. Abordant des faits peu connus, il raconte les histoires de Joseph, de sa sœur et de quatre autres survivants de l’Holocauste nazi, qui a causé la mort de six millions de Juifs, dont beaucoup dans les chambres à gaz spécialement conçues des camps de concentration comme Auschwitz, à Oświęcim, en Pologne.

« Au moment où cela nous arrivait, nous ne pouvions pas y croire nous-même », raconte un survivant dans le film. « Alors, cette sauvagerie... comment nos proches en Amérique auraient-ils pu l’imaginer ? »

Des images rarement diffusées, dont beaucoup proviennent du Musée du Mémorial de l’Holocauste des États-Unis, comprenaient des photographies de « trophées » prises par des officiers nazis montrant des exécutions perpétrées par des pelotons de 15 soldats au bord de tranchées profondes, qui ont servi de fosses communes à des centaines de leurs milliers de victimes. Le film présentait également des preuves convaincantes de la résistance, de l’héroïsme et de la survie des réfugiés juifs face à une campagne de désinformation nazie qui a conduit au génocide.

Un policier allemand vérifie les papiers d'identité de juifs du ghetto de Cracovie
© National Archives in Krakow
Un policier allemand vérifie les papiers d'identité de juifs du ghetto de Cracovie

« Que l’histoire nous en témoigne »

Au cours d’un soulèvement meurtrier, les dirigeants de la résistance juive avaient enterré des bidons de lait en métal, remplis de notes décrivant les horreurs auxquelles ils étaient confrontés. Un adolescent, dans une supplique douloureuse, demandait  « Que l’histoire atteste notre existence ».

Les récits des survivants et les entretiens avec des historiens sonnent comme un avertissement sévère devant la vague de campagnes haineuses qui nourrit aujourd’hui la rhétorique négationniste de l’Holocauste et une flambée d’antisémitisme.

Récemment, une statue commémorative de l’Holocauste a été vandalisée en Suède, une croix gammée a été peinte sur une pierre tombale dans un cimetière en Australie et un cocktail Molotov lancé sur une synagogue aux États-Unis.

Alors que le documentaire note que les États-Unis ont accueilli plus de réfugiés juifs fuyant les nazis que toute autre nation, le pays aurait pu – et aurait dû – faire plus pour offrir la liberté à ceux qui en avaient désespérément besoin, a regretté M. Burns. Le film vise à sensibiliser le public au désespoir des réfugiés d’hier comme d’aujourd’hui.

Chewing-gum et sécurité

Susan Warsinger, la sœur de M. Hilsenrath, se souvient de la première saveur de la liberté après son débarquement de jeune réfugiée à Ellis Island à New York dans les années 1940 : celui, gluant et sucré, du pain Wonder Bread, et d’un mystérieux bonbon qui pouvait durer toute une journée dans la bouche d’un enfant. Sa première expérience du chewing-gum, et d’une véritable sensation de sécurité après son évacuation de France.

Cependant, l’époque avait encore un goût amer. Mme Warsinger était l’une des quelque 200.000 Juifs accueillis par les États-Unis, un pays qui a rejeté beaucoup, beaucoup plus, de réfugiés qu’il n’en a acceptés.

Plus de 100 groupes antisémites existaient à travers le pays où se conjuguaient une crise économique, la ségrégation raciale et la méfiance du public envers les immigrants.

Ken Burns, réalisateur du film, a rappelé qu’après le pogrom de la Nuit de cristal de 1938 dans l’Allemagne nazie, une enquête d’opinion menée aux États-Unis avait révélé qu’environ 85% des chrétiens protestants et catholiques interrogés « ne voulaient pas laisser les réfugiés entrer chez eux ».

Des immigrants en attente à Ellis Island en octobre 1912
© Library of Congress
Des immigrants en attente à Ellis Island en octobre 1912

Les nazis copient les lois raciales américaines

A cette époque, les juristes nazis rédigeaient des législations antisémites en s’inspirant des lois américaines promouvant la ségrégation et prohibant le métissage destinées aux personnes d’ascendance africaine.

L’interdiction du mariage interracial par les nazis s’inspirait largement de lois similaires – appliquées depuis 1691 jusqu’à leur annulation par la Cour Suprême en 1967.

Lorsque les États-Unis ont condamné l’Allemagne pour sa campagne contre le peuple juif, « les nazis ont répondu : Mississippi », a rappelé le coréalisateur Ken Burns durant un échange avec le public après la projection, faisant référence à un État du Sud où les lois racistes ont été maintenues jusqu’au XXe siècle.

Présente dans le public, l’écrivaine Ann Weiss a précédé sa question d’une mention personnelle : « Je n’ai pratiquement pas de famille parce qu’ils sont dans ces fosses » a-t-elle dit, en demandant aux créateurs du film ce qu’ils avaient eux-mêmes appris pendant sa réalisation.

Leçons rarement enseignées

En réponse, la co-réalisatrice Lynn Novick a reconnu qu’elle avait été surprise d’en apprendre davantage sur un côté sombre de l’histoire rarement enseigné dans les écoles.

« C’est le film le plus important de nos vies professionnelles a confié M. Burns dans une interview accordée à ONU Vidéo. « Lorsque la production a commencé, le sujet était encore éloigné de l’actualité. Mais nous avons ressenti un malaise en voyant à quel point les évènements relatés dans le film commençaient à trouver un reflet dans l’actualité récente aux États-Unis et dans le monde », a-t-il déclaré, en exprimant l’espoir que la mémoire des survivants et leurs leçons pour l’histoire toucheront un large public.

Dans cet esprit, le Public Broadcasting Service (PBS) aux États-Unis distribue maintenant le film et le matériel pédagogique annexe, a précisé Mme Novick, en soulignant que les enseignants sont « en première ligne pour dire la vérité sur l’histoire ».

Certains membres du public ont également exprimé leur surprise quant aux leçons qu’ils ont tirées du film.

« On ne m’a rien appris de tout cela », a reconnu Melissa Fleming, cheffe du Département de la communication globale de l’ONU, qui animait la discussion.

Le réalisateur Ken Burns commente son documentaire aux Nations Unies
Ken Burns
Le réalisateur Ken Burns commente son documentaire aux Nations Unies

Nouveau code de conduite des Nations Unies

Avant la projection, un événement parallèle de haut niveau sur les efforts mondiaux de lutte contre l’antisémitisme a attiré l’attention sur les leçons du passé et le besoin d’initiatives audacieuses pour lutter contre la montée de l’antisémitisme d’aujourd’hui.

Un nouveau code de conduite est en préparation, a déclaré Mme Fleming. Les campagnes de l’ONU sur les réseaux sociaux utilisant des hashtags tels que #NoToHate et #ProtectTheFacts gagnent en notoriété, et une publication conjointe avec l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) – « L’histoire attaquée : négationnisme et distorsion sur les médias sociaux » – sera accompagnée d’une table ronde sur ce sujet avec la société civile.

L’ONU a également créé des programmes sur l’Holocauste et le génocide des Tutsis au Rwanda ainsi qu’une stratégie et son plan d’action sur les discours de haine. En 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution pour lutter contre le négationnisme.

Lors de l’événement parallèle, l’ambassadeur Gilad Erdan d’Israël, lui-même petit-fils de victimes de l’Holocauste, a salué les efforts en cours, mais a déclaré que « l’ONU doit faire plus ».

« Les mots ne suffisent pas », a-t-il dit. « Les mots haineux se transforment toujours en actions violentes. L’antisémitisme est une pandémie mondiale. Aucun Juif ne devrait jamais vivre dans la terreur ».

Le silence « n’est pas une option »

Les efforts doivent inclure une riposte contre le déni de l’Holocauste, et des conséquences pour ceux qui se livrent à l’antisémitisme, a déclaré Doug Emhoff, époux de la Vice-présidente des États-Unis Kamala Harris, en prenant la parole lors de l’événement.

« Le silence n’est pas une option », a-t-il ajouté. « Nous devons tous dénoncer l’antisémitisme et construire des coalitions pour lutter contre cette vague de haine. Toute menace envers une communauté est une menace pour toutes les communautés. Nous devons inculquer des connaissances pour lutter contre l’antisémitisme ».

L’Ambassadrice Linda Thomas-Greenfield des États-Unis, qui a co-organisé l’événement, a averti que la haine s’accroit, à la fois en ligne et en personne.

« Partout dans le monde, l’antisémitisme est omniprésent et il se développe », a-t-elle déclaré. « Nous devons faire face à cette menace et défendre le peuple juif partout dans le monde ».

La famille de Shmiel, évoquée dans le film, à Bolechow, Pologne, en 1934
© Mendelsohn Family
La famille de Shmiel, évoquée dans le film, à Bolechow, Pologne, en 1934

Mettre fin à « l’antisémitisme numérique »

La lutte contre « l’antisémitisme numérique » est essentiel, a déclaré Melissa Fleming, mentionnant des algorithmes Internet alarmants tels que « 6mwe » – « six millions ne suffisaient pas » – qui font allusion au nombre de Juifs tués par les nazis.

Elle a mentionné un rapport de l’ONU de 2022 qui démontre que l’antisémitisme est endémique sur certaines plateformes, comme  par exemple le réseau social Telegram dont 50% des messages sont consacrés au déni de l’Holocauste et confirmé que pour lutter contre cette tendance, l’ONU s’associe à Facebook et TikTok pour favoriser la publication d’informations véridiques.

« La haine circule partout », a déclaré la cheffe de la communication de l’ONU, ajoutant que des algorithmes néfastes conduisent les gens dans des univers parallèles et fantasmagoriques de haine et de désinformation, dont des mouvements niant la réalité de l’Holocauste.

« Nous appelons les entreprises de technologie à mettre un terme à cela parce que les dangers de la distorsion et du déni sont trop graves », a-t-elle déclaré, avertissant que les mensonges sur un prétendu « génocide blanc » ont commencé à se répandre, qui alimentent la violence et rassemblent des adeptes en ligne.

« Nous avons longtemps ri de la montée de Q-Anon, mais nous l’avons vu contaminer le reste du monde grâce aux médias sociaux », a-t-elle déclaré, à propos de ce mouvement complotiste basé aux États-Unis, et d’autres groupes qui ont été « reconditionnés pour l’ère d’Internet ».

« L’heure du réveil a sonné », a-t-elle conclu. « La négation et la distorsion de l’Holocauste sont des attaques contre la vérité historique ».