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Une assistante sociale rend visite à des habitants de Cité Soleil, une commune pauvre près de la capitale haïtienne Port-au-Prince.

La situation en Haïti est désespérée mais il est possible de renverser la donne, selon l’ONU

© PAHO/WHO
Une assistante sociale rend visite à des habitants de Cité Soleil, une commune pauvre près de la capitale haïtienne Port-au-Prince.

La situation en Haïti est désespérée mais il est possible de renverser la donne, selon l’ONU

Droits de l'homme

A l’issue d’une visite de deux jours en Haïti, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a déclaré vendredi avoir observé une situation désespérée et jugé nécessaire une profonde transformation pour que le pays s’oriente vers un avenir meilleur. 

« Le monde a besoin d'entendre ce dont j'ai été témoin et ce que mes collègues documentent chaque jour, dans l’une des pires situations de pauvreté et de terreur au monde - une capitale où, dans de nombreux quartiers, des bandes armées prédatrices contrôlent l'accès à l'eau, à la nourriture, aux soins de santé et au carburant, où les enlèvements sont monnaie courante, où les enfants sont empêchés d'aller à l'école, où ils sont recrutés pour perpétrer des violences et où ils les subissent », a déclaré M. Türk lors d’une conférence de presse à Port-au-Prince, la capitale.

« Un pays où une personne sur deux est confrontée à la faim, vit dans une extrême pauvreté et n'a pas d'accès régulier à l'eau potable. Où les prisonniers meurent de malnutrition, de choléra, et autres. N'oublions pas la vulnérabilité du pays aux catastrophes naturelles », a-t-il ajouté.

Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, en visite en Haïti.
© OHCHR
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, en visite en Haïti.

Une situation qui n’est pas insurmontable

Même si les problèmes sont vastes et accablants, le chef des droits de l’homme a jugé que la situation en Haïti n’était pas insurmontable et sans espoir. Selon lui, la sortie de ces multiples crises des droits de l'homme doit être prise en charge et dirigée par le peuple haïtien, mais l'ampleur des problèmes est telle qu'elle nécessite l'attention active et le soutien ciblé de la communauté internationale.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié ce vendredi un rapport qui expose « l'impact débilitant de la violence des gangs » dans plusieurs parties de Cité Soleil, une commune pauvre et densément peuplée située près de la capitale Port-au-Prince.

Le rapport indique que dans le quartier de Brooklyn à Cité-Soleil - en proie à la violence des gangs - au moins 263 personnes ont été tuées, 285 blessées et quatre ont disparu entre le 8 juillet et le 31 décembre 2022. Des violences sexuelles et des viols collectifs de femmes et de filles, la destruction et le pillage de maisons et le déplacement de personnes de leurs foyers ont été documentés. Depuis juillet, les gangs font régner un climat de terreur quasi permanent, notamment en employant des tireurs d'élite pour tirer sur les gens sans discernement. Les déplacements des personnes sont limités et l'accès aux besoins de base est bloqué, notamment l'eau, la nourriture et les services d'assainissement, ce qui crée un environnement propice à la propagation de maladies infectieuses, dont la plus récente est le choléra.

Manifestant dans les rues de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti déchirée par la crise.
© UNICEF/Roger LeMoyne and U.S. CDC
Manifestant dans les rues de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti déchirée par la crise.

Des communautés prises en otage

Des communautés entières étant prises en otage par des gangs, les services sociaux publics sont largement absents. Alors que les organisations non gouvernementales et les agences des Nations Unies s'efforcent de fournir une aide indispensable, les ‘fondations’ de ces quartiers sont souvent utilisées par les gangs pour contrôler une partie de l'aide.

On estime que quelque 200 gangs opèrent dans tout Haïti. Les gangs contrôlent désormais une partie de la capitale, mais se répandent également dans le centre et le nord du pays, comme dans les départements de l'Artibonite et du Nord. Plus de 500.000 enfants vivant dans des quartiers contrôlés par les gangs ont du mal à accéder à l'éducation et beaucoup ont subi de graves violences.

« J'ai rencontré une jeune fille de 12 ans qui a survécu à une balle dans la tête tirée par des membres de gangs. Et une autre jeune fille qui avait été violée par un gang. Ces violences horrifiques et insupportables à l'encontre des enfants, des femmes et des hommes d'Haïti se déroulent en grande partie en toute impunité », a raconté M. Türk. « Les autorités publiques n'ont pas été en mesure de réagir de manière adéquate et au moins 18 policiers ont été tués depuis le début de l'année à cause de la violence des gangs ».

Selon lui, le manque de ressources et de personnel dans les forces de police, associé à une corruption chronique et à un système judiciaire faible, font que l'impunité est un problème central depuis des décennies maintenant.

Nécessité de renforcer le système de justice pénale

M. Türk a expliqué que dans ses discussions avec des hauts fonctionnaires, la société civile, ses collègues des Nations Unies et la communauté internationale en Haïti, il avait souligné que les mesures visant à rétablir la sécurité devraient se concentrer sur la responsabilité, la prévention et la protection pour être efficaces et durables. Selon lui, il est urgent de renforcer le système de justice pénale, d'améliorer le système pénitentiaire - notamment avec 80 % de la population carcérale en détention provisoire - et de s'attaquer à la corruption et à l'impunité.

Le chef des droits de l’homme a observé que la crise sécuritaire actuelle a aggravé la situation économique des Haïtiens, plus de la moitié des 11,8 millions d'habitants vivant sous le seuil de pauvreté. En outre, la violence des gangs a déplacé un grand nombre de personnes à l’intérieur du pays.

Lors de ses discussions avec la société civile, M. Türk a noté que la situation critique des secteurs vulnérables de la société est apparue avec force, notamment les femmes, les communautés LGBTI, les personnes handicapées, les jeunes et les enfants, et qu’il fallait que les organisations de la société civile jouent un rôle actif et constructif dans le processus de dialogue politique pour identifier des solutions - à petite et grande échelle, à court, moyen et long terme.

« La situation en Haïti est désespérée. Mais il existe une source de potentiel pour renverser la donne. Pour libérer le potentiel de changement profond, les élites politiques et économiques doivent surmonter leur indifférence à l'égard de la souffrance de la majorité. Elles doivent faire en sorte que ce soit le peuple haïtien qui exerce le pouvoir », a dit le chef des droits de l’homme, qui a appelé les autorités à poursuivre un dialogue inclusif pour trouver une solution durable à la crise multidimensionnelle que traverse Haïti, notamment par l'organisation rapide d'élections libres et transparentes pour la restauration des institutions démocratiques.

Un soutien de la communauté internationale est nécessaire

Volker Türk a déclaré avoir également exhorté la communauté internationale à faire en sorte qu'Haïti figure en bonne place dans son agenda, la Police Nationale d'Haïti ayant besoin d'un soutien international immédiat et coordonné pour renforcer sa capacité à répondre à la situation sécuritaire d'une manière conforme à ses obligations en matière des droits humains.

Il a demandé également à la communauté internationale « d'envisager d'urgence le déploiement d'une force d'appui spécialisée dans des délais précis, dans des conditions conformes aux lois et normes internationales relatives aux droits humains, avec un plan d'action complet et précis ». « Ce déploiement doit s'accompagner d'un rétablissement rapide et durable des institutions publiques dans les zones exemptes de gangs, ainsi que d'une réforme profonde du système judiciaire et pénitentiaire. Le régime de sanctions est une première étape importante. Il doit s'accompagner de la traduction en justice des auteurs de ces crimes en Haïti », a-t-il ajouté.

Il a aussi jugé important de renforcer la coopération internationale pour accroître les contrôles aux frontières afin de mettre un terme au commerce et au trafic illicites d'armes.

Par ailleurs, il a estimé que les violations et abus systématiques des droits humains ne permettent pas actuellement le retour sûr, digne et durable des Haïtiens en Haïti. « Malgré cela, 176 777 migrants haïtiens ont été rapatriés l'année dernière », a-t-il noté, rappelant que le droit international des droits humains interdit le refoulement et les expulsions collectives sans évaluation individuelle de tous les besoins de protection avant le retour.