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« Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard », plaide le chef de l’ONU en présentant ses priorités pour 2023

Le Secrétaire général António Guterres (au centre) visite des quartiers résidentiels d'Irpin, dans l'oblast de Kyïv en Ukraine.
Photo ONU/Eskinder Debebe
Le Secrétaire général António Guterres (au centre) visite des quartiers résidentiels d'Irpin, dans l'oblast de Kyïv en Ukraine.

« Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard », plaide le chef de l’ONU en présentant ses priorités pour 2023

À l’ONU

Devant l’Assemblée générale des Nations Unies, António Guterres a présenté lundi, avec fermeté et urgence, ses sept priorités pour l’année 2023 : le droit à la paix ; les droits sociaux et économiques ; le droit à un environnement propre, sain et durable ; le respect de la diversité et de l’universalité des droits culturels ; le droit à la pleine égalité entre les sexes ; les droits civils et politiques ; et les droits des générations futures.

Non sans gravité, le Secrétaire général de l’ONU n’a pas hésité, pour décrire l’état du monde et de la communauté internationale, à évoquer l’horloge de l’apocalypse, une horloge symbolique créée il y a 76 ans par des scientifiques atomiques, dont Albert Einstein, et censée mesurer la proximité de l’humanité avec l’heure de minuit, représentant l’autodestruction de la civilisation humaine.

« En 2023, ces experts ont étudié l’état du monde – l’invasion russe de l’Ukraine, la catastrophe climatique galopante, les menaces nucléaires croissantes, la sape des normes et des institutions mondiales. Et ils sont arrivés à une conclusion. Même au plus fort de la Guerre froide nous n’avons jamais été aussi proches de l’heure la plus sombre de l’humanité », a observé M. Guterres devant les Etats membres.

Face à cette confluence de défis sans précédent de notre vivant, rassemblant guerres, crise climatique, inégalités records entre pays et citoyens, et divisions géopolitiques, il a préconisé un changement de cap, qui tranche avec la vision à court terme des décideurs et dirigeant politiques.

Fondée sur « le prochain sondage, la prochaine manœuvre politique tactique pour s’accrocher au pouvoir, le prochain cycle économique ou même le cours de l’action du lendemain. L’avenir est toujours le problème de quelqu’un d’autre », a-t-il déploré.

Selon lui, cette pensée à court terme irresponsable, immorale et contre-productive, rend les problèmes du moment « plus insolubles, plus conflictuels et plus dangereux ».

D’où son message, rappelant l’obligation d’agir – de manière profonde et systémique, de « cesser de bricoler », et d’opter pour la transformation, au rythme des évolutions rapides de la technologie et du climat.

Un habitant de Buchra, en Ukraine, devant la tombe de son meilleur ami
© UNICEF/Diego Ibarra Sánchez
Un habitant de Buchra, en Ukraine, devant la tombe de son meilleur ami

Le droit à la paix

Evoquant le 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, António Guterres a assuré qu’au 21ème siècle, les droits de l’homme au sens large constituent une feuille de route pour sortir de l’impasse. Ils incluent, a-t-il rappelé, le droit à la paix, démenti par l’invasion russe de l’Ukraine, les risques d’escalade et d’effusion de sang croissants et les risques d’une guerre plus large.

Citant la Palestine et Israël, le Sahel, la violence des gangs en Haïti, le Myanmar et l’exclusion et la violence en Afghanistan, il a prôné de redoubler d’efforts pour une paix conforme à la Charte des Nations Unies et au droit international. « Lorsque les pays rompent ces engagements, ils créent de l’insécurité pour tous », a-t-il assuré, appelant les pays à renouveler leur engagement envers la Charte et à « identifier les causes profondes des conflits pour empêcher les germes de la guerre d’éclore ».

Le Secrétaire général a ainsi rappelé les points clés du Nouvel Agenda pour la paix proposé par l’ONU qui revitalise l’action multilatérale et investit dans la prévention, la réconciliation et l’inclusion pour éviter les conflits. 

Notant que les opérations de maintien de la paix de l’ONU manquent souvent de ressources et nécessitent une réforme, par le biais de l’initiative Action pour le maintien de la paix+, le Secrétaire général préconise une nouvelle génération de missions d’imposition de la paix et d’opérations antiterroristes, dirigées par des forces régionales tels l’Union africaine, dotées d’un mandat du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII et d’un financement garanti et prévisible. 

Alors que 13.000 armes nucléaires sont toujours dans les arsenaux de la planète, il demande aussi de ramener le désarmement et la maîtrise de ces armements au centre des préoccupations, qualifiant d’absurde la nuance prévoyant l’utilisation soi-disant tactique des armes nucléaires. Face à l’évolution technologique, il réclame aussi des mesures telles que l’interdiction internationale des cyberattaques contre les infrastructures civiles et les limites convenues au niveau international sur les systèmes d’armes létaux autonomes. « Le contrôle humain doit prévaloir », a-t-il déclaré.

António Guterres a souligné que le Nouvel Agenda pour la paix vise à maximiser le pouvoir rassembleur de l’ONU en tant que plate-forme pour de larges coalitions et une diplomatie efficace, comme lors de l’Initiative céréalière de la mer Noire ou de la visite d’une délégation de l’ONU en Afghanistan pour les droits des femmes.

Les droits sociaux et économiques

Abordant les droits sociaux et économiques et le droit au développement, le chef de l’ONU a décrié avant tout l’échec du système financier international et appelé, mieux qu’à son évolution, à une transformation radicale, dans un monde ou les coûts d’emprunts sont cinq fois plus élevés pour les pays vulnérables. Ce nouveau Bretton Woods, selon lui, placerait les besoins considérables des pays en développement au centre de chaque décision et mécanisme du système financier mondial, donnerait une voix plus grande aux pays en développement dans les institutions financières mondiales.

Pour António Guterres, les banques multilatérales de développement devraient multiplier leur impact en mobilisant leurs fonds et les investisseurs privés dans la capacité des pays en développement à atteindre les objectifs de développement durable.

Dans cet esprit, le Sommet des ODD de septembre sera, pour lui, la pièce maîtresse de 2023. António Guterres exige que les pays participants y viennent avec des repères clairs pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, en s’assurant que les économies en développement disposent des liquidités nécessaires pour financer leurs infrastructures, leur services et leur droits sociaux. « Les bases solides pour un nouveau contrat social fondé sur des droits et des opportunités pour tous », a-t-il résumé.

La montée des eaux menace les villages du Bengal Occidental, en Inde
Climate Visuals/Supratim Bhattacharjee
La montée des eaux menace les villages du Bengal Occidental, en Inde

Un environnement propre, sain et durable pour tous

Evoquant le spectre d’une augmentation mortelle des températures de 2,8 degrés Celsius, le chef de l’ONU a appelé à mettre fin mettre fin à la guerre impitoyable, implacable et insensée contre la nature, à l’étouffement des océans et à la « surconsommation vampirique de l’eau » et à se concentrer sur deux priorités urgentes : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la réalisation de la justice climatique.

Outre la mise en œuvre de partenariats pour des transitions énergétiques justes avec l’Afrique du Sud, l’Indonésie et le Viet Nam, il propose un Pacte de solidarité climatique dans lequel tous les grands émetteurs de gaz à effet de serre font un effort supplémentaire pour réduire les émissions, et les pays les plus riches mobilisent des ressources financières et techniques pour soutenir les économies émergentes à réaliser l’objectif de 1,5 degré Celsius.

D’ici septembre, a-t-il souhaité, toutes les entreprises, villes, régions et institutions financières qui ont pris un engagement net zéro à l’horizon 2050 devraient présenter leurs plans de transition avec des objectifs crédibles et ambitieux pour 2025 et 2030.

Quant aux pays développés, ils doivent à ses yeux tenir la promesse de 100 milliards de dollars faite aux pays en développement, mettre en œuvre le fonds de pertes et dommages convenu à Charm el-Cheikh, doubler le financement de l’adaptation, et cesser de subventionner les combustibles fossiles afin de réorienter les investissements vers les énergies renouvelables.

Renouvelant son invitation à la COP28 en décembre, il a rappelé ses conditions : des plans ambitieux de carboneutralité et son ambition d’en faire « un moment de vérité collectif ». « L’action climatique, a-t-il déclaré, est la plus grande opportunité du 21ème siècle pour faire avancer tous les objectifs de développement durable ».

Le respect des droits culturels

« L’universalité et la diversité sont essentielles aux droits culturels et ces droits perdent leur sens si une culture ou un groupe est élevé au-dessus d’un autre », a déclaré le chef de l’ONU, non sans rappeler que l’antisémitisme, le fanatisme antimusulman, la persécution des chrétiens, le racisme et l’idéologie suprémaciste blanche sont en marche. 

Il a rappelé aussi que les minorités ethniques et religieuses, les réfugiés, les migrants, les peuples autochtones et la communauté LGBTQI+ sont de plus en plus la cible de la haine, en ligne et hors ligne. Des dérives fomentées ou attisées par des personalités politiques qui transforment les différences culturelles en conflit et par des algorithmes qui amplifient les idées toxiques au nom d’un modèle économique.

« Arrêtez la haine. Installez des garde-fous solides. Soyez responsable du langage qui cause du tort », a-t-il demandé, en promouvant un nouveau code du conduite pour l’intégrité de l’information sur les plateformes numériques inclus dans « Notre programme commun ».

Des écolières afghanes dans un centre éducatif (Archives)
© UNICEF/Christine Nesbitt
Des écolières afghanes dans un centre éducatif (Archives)

Le droit à l’égalité des genres

Le Secrétaire général, martelant le droit à la pleine égalité des genres, a déclaré que  moitié de l’humanité est bridée par la violation des droits humains la plus répandue de notre époque.

Citant les Afghanes « exilées dans leur propre pays », le prix payé par les manifestantes en Iran, et une discrimination mondiale systématique, omniprésente,  qui  entrave le développement de chaque pays, il a constaté que la situation ne fait qu’empirer alors que certains gouvernements s’opposent désormais à l’inclusion même d’une perspective de genre dans les négociations multilatérales.

« L’Organisation des Nations Unies s’opposera à un retour du patriarcat et continuera de défendre les droits des femmes et des filles partout dans le monde », a-t-il assuré, en promettant de soutenir les mesures – y compris les quotas – visant à combler les écarts de représentation des femmes dans les élections, les conseils d’administration ou les négociations de paix.

Le soutien aux droits civils et politiques en danger

Le Secrétaire général a aussi souligné que « la liberté d’expression et la participation à la vie politique constituent l’essence même de la démocratie et renforcent les sociétés et les économies ». Or, la démocratie recule et sous couvert de pandémie de COVID-19, « nous avons vu se développer une pandémie de violations des droits civils et politiques ».

Sous le coup de lois répressives et de nouvelles technologies de contrôle des individus, d’abus envers les militants des droits humains, « l’espace de la société civile disparaît sous nos yeux » alors que le nombre de meurtres de journalistes a augmenté de 50% dans le monde », a déclaré le chef de l’ONU, tout en réitérant son « Appel à l’action en faveur des droits humains », son désir de renforcer le soutien aux lois et politiques qui « protègent les droits à la participation et à la liberté d’expression ».

Antonio Guterres avec de jeunes militants du climat à la COP 27
UNFCCC/Kiara Worth
Antonio Guterres avec de jeunes militants du climat à la COP 27

Les droits négligés des générations futures

Enfin, António Guterres a évoqué la prise en compte nécessaire des droits de générations futures, trop souvent oubliées, « une responsabilité fondamentale et un indicateur déterminant de bonne gouvernance » qui sera au cœur du Sommet de l’avenir de l’an prochain sur les questions planétaires, et du nouveau Bureau des Nations Unies pour la jeunesse, clé d’une ONU plus créative, diverse, multilingue et plus proche des personnes que nous servons.

« Un monde plus sûr, plus pacifique et plus durable repose sur une approche fondée sur les droits et orientée autours de solutions », a-t-il conclu. « Nous devons agir de manière décisive. Avant qu’il ne soit trop tard ».