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L’Iraq peut saisir l’occasion de rompre avec vingt ans d’instabilité et de fragilité, assure la Représentante de l’ONU

Une fresque sur un mur appelle les Irakiens à voter aux élections de 2021
Furat Najem
Une fresque sur un mur appelle les Irakiens à voter aux élections de 2021

L’Iraq peut saisir l’occasion de rompre avec vingt ans d’instabilité et de fragilité, assure la Représentante de l’ONU

Paix et sécurité

Devant le Conseil de sécurité, jeudi, Jeanine Hennis-Plasshchaert, Représentante spéciale du Secrétaire général en Iraq, a appelé le nouveau gouvernement de ce pays à ne pas manquer une nouvelle occasion de rompre avec vingt ans de divisions, et à lancer des réformes profondes indispensables à la prospérité et à la stabilité nationale.

Dans un hommage émouvant, Jeanine Hennis-Plasshchaert a rappelé que près de 20 ans plus tôt, le Conseil de sécurité, peu après avoir adopté la résolution 1483 traçant la voie de l’après Saddam Hussein, avait créé la mission d’assistance de l’ONU pour Iraq en août 2003. Quelques jours plus tard, le Représentant spécial de l’ONU Sergio Vieira de Mello et 21 collègues perdaient la vie dans l'explosion d’une bombe au quartier-général des Nations Unies à Bagdad qui a fait aussi 150 blessés.

« Bien qu’ils aient été victimes de la violence qu’ils s'étaient engagés à arrêter, notre travail s’est poursuivi », a-t-elle dit, confirmant que 2023, année de commémoration de l’attentat, offre une nouvelle occasion de replacer la situation actuelle de l’Iraq dans le contexte de son histoire, alors que « des décennies de troubles continuent d’avoir un impact sur le présent ».

« Il faudra du temps pour faire face à la fois à l’héritage du passé et aux nombreux défis du présent, quels que soient les dirigeants aux commandes », a-t-elle rappelé, soulignant qu’aucun gouvernement ne peut faire cavalier seul, et que cette tâche « reste la responsabilité commune des partis politiques et d’autres acteurs qui doivent donner avant tout la priorité aux intérêts du pays ».

Le Canal Hotel de Bagdad, après l'attentat contre l'ONU qui a couté la vie à 22 personnes, dont le Représentant spécial Sergio Vieira de Mello
UN News
Le Canal Hotel de Bagdad, après l'attentat contre l'ONU qui a couté la vie à 22 personnes, dont le Représentant spécial Sergio Vieira de Mello

Un gouvernement déterminé face aux défis du pays

Jeanine Hennis-Plasshchaert a noté l’importance de gérer les attentes de l’opinion : « Les promesses excessives suivies de résultats insuffisants peuvent attiser les rancœurs et avoir des conséquences désastreuses », a-t-elle prévenu. Mais elle reconnaît les avancées positives récentes, telle la nomination il y a trois mois d’un nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Mohammed Shia al-Sudani, qui met fin à plus d’une année de tension, de discorde politique et de jeux de pouvoir, et montre, selon elle, sa détermination à s’attaquer aux défis urgents, tels que la corruption endémique, la déficience des services publics et les niveaux élevés de chômage.

« Trop d’occasions de mener des réformes significatives et indispensables ont été gâchées », a regretté l’envoyée de l’ONU, en encourageant les autorités à poursuivre leur lutte contre la corruption généralisée, qui, « érigée en véritable système, reste l’une des principales causes profondes du dysfonctionnement iraquien ».

Elle a ajouté que des changements significatifs pour le bien-être des citoyens ne pouvaient se produire que par le biais de changements structurels exigeant une réforme socio-économique systémique, des institutions plus fortes et une meilleure gouvernance à tous les niveaux.

Si elle constate que les retards dans les réformes économiques, fiscales et financières sont palpables dans le pays - qui n’a toujours pas réussi à adopter son budget fédéral – elle a mis en garde contre des mesures anti-chômage qui entraîneraient le gonflement supplémentaire de la fonction publique. Elle a préconisé pour cela la diversification d’une économie « trop dépendante du pétrole et vulnérable aux chocs extérieurs, et l’essor d’un secteur privé à forte valeur ajoutée et générateur d’emplois ».

Une économie vulnérable et encore trop dépendante du pétrole
ILO/Apex Image
Une économie vulnérable et encore trop dépendante du pétrole

Les droits de l’homme, indissociables de la paix et du développement

Jeanine Hennis-Plasshchaert a aussi, au nombre des défis que rencontre l’Iraq, décrit comme une priorité la protection et la promotion des droits de l’homme, et les poursuites contre les auteurs de violations.

Rappelant que Sergio Vieira de Mello, avant son départ fatal pour Bagdad, avait assuré que le respect des droits de l’homme est le seul fondement solide d’une paix durable et du développement, la Représentante spéciale a souligné « que réduire au silence, entraver, rejeter ou saper la critique constructive ne contribue qu’à ternir l’image de l’État et éroder la confiance du public. Alors qu’encourager la liberté de parole permet aux institutions de tout pays de s’épanouir et de s’adapter ».

L’envoyée de l’ONU a aussi mentionné les relations difficiles entre Bagdad et Erbil, capitale du gouvernement régional du Kurdistan, en particulier le contentieux fiscal entre les deux entités qui bloque l’adoption du budget national. Elle a déploré aussi les luttes politiques internes au Kurdistan qui nuisent aux institutions, et retardent à ses yeux le règlement de désaccords budgétaires, administratifs, sécuritaires et électoraux en suspens.

Des enfants de Mosoul. Vingt ans de conflits pèsent encore sur l'avenir de l'Iraq
UNICEF/Romenzi
Des enfants de Mosoul. Vingt ans de conflits pèsent encore sur l'avenir de l'Iraq

Créer un environnement extérieur favorable à la sécurité de l’Iraq

Elle a par ailleurs reconnu que le gouvernement de Bagdad poursuivait dans ses relations extérieures une politique d’ouverture et d’équilibre, fondée sur les intérêts mutuels et le respect des principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et de bon voisinage, mais que le pays continue de subir des violations répétées et déstabilisatrices de sa souveraineté et de son intégrité territoriale.

Evoquant les récentes frappes aériennes sur l’Iran, Jeanine Hennis-Plasshchaert a souligné qu’elles ne font qu’augmenter les tensions, et a encouragé les pays voisins, quand bien même ils perçoivent des menaces pour leur sécurité nationale, à recourir à la diplomatie. « Pour que l’Iraq renforce sa sécurité intérieure, il nous incombe à tous de contribuer à créer un environnement favorable », a-t-elle rappelé.

Elle a enfin appelé la communauté internationale à contribuer à un meilleur financement du déminage en Iraq, qui demeure l’un des pays les plus contaminés par les munitions explosives, première cause de décès de ses enfants. Elle a encouragé la classe politique iraquienne, face aux multiples défis que connait l’Iraq, à « saisir la brève fenêtre d’opportunité qui lui est offerte, pour sortir enfin le pays des cycles récurrents d’instabilité et de fragilité ».