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Les discours de haine : Comment des pays ripostent

La haine en ligne est une menace pour la démocratie et la cohésion sociale.
Unsplash/Dan Edge
La haine en ligne est une menace pour la démocratie et la cohésion sociale.

Les discours de haine : Comment des pays ripostent

Paix et sécurité

Les discours de haine en ligne sont un phénomène croissant et inquiétant qui met des vies en danger. Dans le second volet de notre série de trois reportages, nous nous concentrons sur les stratégies nationales que le Costa Rica et la République tchèque ont mises en place pour s’attaquer à ce problème.

Le Costa Rica est connu pour sa démocratie forte, sa position en faveur des droits de l’homme et son profond respect de l’Etat de droit. Ce fut donc un choc lorsque les élections générales de 2018 ont donné lieu à une polarisation sans précédent du pays.

Allegra Baiocchi, Coordonnatrice résidente des Nations Unies au Costa Rica, a été témoin de ce bouleversement et de l’essor des programmes populistes et conservateurs, accompagnés d’une spectaculaire augmentation des discours de haine et des manifestations de discrimination et de xénophobie.

La municipalité d'Acosta, au Costa Rica
UN Costa Rica/Danilo Mora
La municipalité d'Acosta, au Costa Rica

Une étude sur la haine

En réponse à cette tendance alarmante, l’équipe des Nations Unies au Costa Rica a commencé à déployer son Plan d’action sur les discours de haine et, en 2021, a présenté une étude historique sur l’évolution locale de ce phénomène.

« Au début de notre travail sur cette question, nous avons eu de nombreuses conversations sur la défense de la liberté d’expression et la lutte contre les discours de haine et de discrimination », se souvient Mme Baiocchi.  « Nous sommes donc conscients qu’il existe un risque que la lutte contre les discours de haine soit détournée de son objectif et utilisée pour restreindre la liberté d’expression et la liberté d’opinion ».

Mme Baiocchi et son équipe ont constaté qu’une grande partie des contenus indésirables visait les femmes, en particulier celles qui occupent des postes de direction, ainsi que les questions liées aux personnes LGBTQ et à la population migrante. « Lorsque nous avons commencé à parler aux femmes et à certaines des personnes qui avaient été ciblées, elles nous ont dit qu’elles avaient peur et qu’elles craignaient d’exprimer leurs opinions », dit-elle.

Une grande partie du problème, selon la haute fonctionnaire de l’ONU, tient au fait que l’espace numérique est considéré comme un espace libre où personne n’a à rendre de comptes. Au départ, l’équipe a essayé d’accroître la responsabilité des internautes, en les encourageant simplement à signaler les discours de haine ou de discrimination sur les plateformes, ou à recourir à tous les instruments juridiques disponibles dans les différents pays.   

Toutefois, après leurs rencontres avec Meta, maison mère de Facebook, les membres de l’équipe ont réalisé que, quand bien même l’entreprise investit dans la médiation et la modération des conversations, sa tâche reste écrasante. Meta n’a pas la capacité de protéger ou de restreindre tout le contenu publié sur ses plateformes.

L’étude du Costa Rica s’est également penchée sur le double rôle joué par la presse face aux discours de haine. Dans certains cas les médias ont été victimes de ces abus, pour avoir enquêté sur des affaires ou critiqué le gouvernement, mais il leur arrive aussi de traiter des sujets d’une manière qui peut inciter à la discrimination et aux discours de haine.

Des enfants portant des t-shirts « United Against Hate » (Unis contre la haine) participent à un rassemblement interreligieux à la Park East Synagogue de New York en mémoire des fidèles juifs qui ont été tués à Pittsburgh. (31 octobre 2018)
Photo : ONU/Rick Bajornas
Des enfants portant des t-shirts « United Against Hate » (Unis contre la haine) participent à un rassemblement interreligieux à la Park East Synagogue de New York en mémoire des fidèles juifs qui ont été tués à Pittsburgh. (31 octobre 2018)

Une meilleure protection des citoyens

Entre autres effets positifs, l’étude au Costa Rica a débouché sur un partenariat avec l’Association des comités d’avocats, qui a étudié l’évolution mondiale de la compétence juridique et judiciaire en matière de discours de haine.

Le groupe a observé quels pays disposent des meilleures jurisprudences et a contribué ainsi à créer un manuel des instruments juridiques existant les plus utiles pour les victimes.

« À l’heure actuelle, au Costa Rica, si vous avez subi des discours de haine, vous pouvez consulter ce manuel et connaître les moyens dont vous disposez pour vous protéger », explique Mme Baiocchi. Elle ajoute que, selon elle, le Parlement s’est montré un allié précieux en adoptant une loi spécialement consacrée à la protection des femmes en politique.

« Beaucoup d’écoles proposent aux élèves des activités de débats. Un moyen d’apprendre comment nous pouvons coexister avec des opinions différentes », souligne Mme Baiocchi. « Je pense que le message qui sous-tend fondamentalement tout travail sur les discours de haine et la discrimination est celui-là : soyons capables de respect mutuel, et de vivre côte à côte ».

Écouter, questionner, apprendre

L’éducation aux médias est au centre de l’approche adoptée par l’organisation de développement des médias « Transitions », basée à Prague, la capitale de la République tchèque.

Jaroslav Valuch, chef de ce projet de sensibilisation et de « fact checking » (vérification des faits) au sein de l’organisation, explique que « Transitions » défend un journalisme de qualité et travaille avec des groupes défavorisés afin de prévenir les conflits et d’améliorer la résilience des citoyens face à la désinformation et aux discours de haine.

« Si nous renforçons les défenses du public face à ce type de contenus, nous serons capables de contrer ou de prévenir la radicalisation violente. Le problème avec les écoles et le système éducatif, c’est qu’il faut beaucoup de temps pour modifier les programmes, pour changer le système. Nous cherchons à définir des moyens d’intervention utilisables immédiatement ».

Les seniors à la pointe de la désinformation

Non sans surprise, « Transitions » a découvert que le segment de population le plus impliqué dans la désinformation est celui des personnes âgées. En effet, selon M. Varuch, elles se sentent exclues de la société, ce qui les conduit à répandre la désinformation via des chaînes de courriels ou des messages privés.

« Les seniors s’estiment négligés et ignorés », affirme-t-il. « Ils ont le sentiment que les sujets qui leur importent ne sont pas couverts par les médias grand public alors que leurs préoccupations sont très légitimes et pertinentes. Ils utilisent donc ces informations et leur discours outranciers comme une arme pour attaquer le système ou le gouvernement, pour les forcer à entendre leurs inquiétudes ».

Pour résoudre ce problème, « Transitions » organise des ateliers dans les bibliothèques publiques, des lieux habituellement prisés par les personnes âgées.  Lors de ces séances, les participants s’initient à des techniques d’enquête rudimentaires et apprennent à examiner de plus près les sources des informations qu’ils reçoivent et diffusent.

« Le but immédiat n’est pas nécessairement, directement, de les dissuader de répandre de fausses informations ou de négliger la qualité des sources », explique M. Varuch. « Nous nous contentons de leur dire : ‘Passons un bon moment ensemble’. Et, accessoirement, cette rencontre nous donne l’occasion d’améliorer leur résistance à la désinformation et à la propagande ».

Le programme a acquis un tel succès qu’il est maintenant en place dans toute la République tchèque, ainsi que dans les pays voisins comme la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie.