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Energie : la guerre en Ukraine a bouleversé les marchés pour les décennies à venir, selon l’AIE

Les émissions provenant de l'extraction de pétrole brut représentent une part importante des émissions totales de combustibles fossiles.
© Unsplash/Zbynek Burival
Les émissions provenant de l'extraction de pétrole brut représentent une part importante des émissions totales de combustibles fossiles.

Energie : la guerre en Ukraine a bouleversé les marchés pour les décennies à venir, selon l’AIE

Climat et environnement

L’invasion de l’Ukraine a accéléré le mouvement mondial vers les énergies renouvelables, affirme l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un rapport publié jeudi.

Toutefois, des efforts supplémentaires sont indispensables pour atténuer le changement climatique et éviter les violentes secousses des marchés pendant cette période de transition énergétique.

La crise énergétique actuelle provoque un choc d’une ampleur et d’une complexité sans précédent. Les plus fortes secousses ont été ressenties sur les marchés du gaz naturel, du charbon et de l’électricité – avec des turbulences importantes sur les marchés pétroliers, nécessitant deux écoulements de stocks de pétrole d’une ampleur inégalée par les pays membres de l’AIE pour éviter des perturbations encore plus graves.

Au milieu de préoccupations géopolitiques et économiques, les marchés de l’énergie restent extrêmement vulnérables et la crise rappelle la fragilité et la non-durabilité du système énergétique mondial actuel, avertit le rapport Perspectives énergétiques mondiales 2022 (PEM) de l’AIE.

Le rapport ne trouve guère de preuves à l’appui des allégations selon lesquelles les politiques climatiques et les engagements nets zéro sont responsables de la flambée des prix de l’énergie. Dans les régions les plus touchées, on a plutôt pu établir une corrélation entre le recours accru aux énergies renouvelables et la baisse des prix de l’électricité.

Diversification des approvisionnements

De même, une meilleure performance énergétique des logements et du chauffage électrique a amorti le choc pour certains consommateurs, tout en restant insuffisante. Le fardeau le plus lourd pèse sur les ménages les plus pauvres, qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à l’énergie.

Aux mesures à court terme prises par les gouvernements pour protéger les consommateurs des effets de la crise, s’ajoutent désormais des politiques à plus long terme, visant à augmenter ou à diversifier leurs approvisionnements en pétrole et en gaz, et à accélérer les changements structurels. L’AIE a cité des mesures prises par les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon, la Corée du Sud et les objectifs ambitieux en matière d’énergie propre de la Chine et de l’Inde.

Le rapport a estimé l’effet probable de ces multiples politiques et en déduit que ces mesures contribueront à propulser les investissements mondiaux dans les énergies propres à plus de 2.000 milliards de dollars par an d’ici 2030, soit une augmentation de plus de 50% par rapport à aujourd’hui.

Certes, les marchés se rééquilibrent dans ce scénario, mais la hausse de la consommation du charbon due à la crise actuelle n'est que temporaire, selon l’AIE, car les énergies renouvelables, soutenues par l’énergie nucléaire, enregistrent des gains durables. Les marchés internationaux de l’énergie subissent une profonde réorientation alors que tous les pays s’adaptent à la rupture des flux d’énergie entre la Russie et l’Europe.

« Les marchés et les politiques de l’énergie ont changé à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, non seulement pour la période actuelle, mais pour les décennies à venir », a déclaré Fatih Birol, Directeur exécutif de l’AIE. « Même avec les paramètres politiques d’aujourd’hui, les réactions des gouvernements du monde entier promettent d’en faire un tournant historique et définitif vers un système énergétique plus propre, plus abordable et plus sûr ».

Les parcs éoliens produisent de l'électricité et réduisent la dépendance à l'énergie au charbon.
Unsplash/TJK
Les parcs éoliens produisent de l'électricité et réduisent la dépendance à l'énergie au charbon.

L'utilisation du charbon va diminuer

Pour la première fois, selon les scénarios envisagés par l’AIE au vu des politiques actuelles, toutes les énergies fossiles sont affectées. L’utilisation du charbon va diminuer au cours des prochaines années, la demande de gaz naturel va atteindre un plateau d’ici la fin de la décennie et la hausse des ventes de véhicules électriques va provoquer une stabilisation de la demande de pétrole au milieu des années 2030 suivie d'un léger reflux jusqu’au milieu du siècle. La demande totale de combustibles fossiles va diminuer régulièrement du milieu des années 2020 à 2050 à une moyenne annuelle à peu près équivalente à la production à vie d’un grand champ pétrolifère.

L’utilisation mondiale des combustibles fossiles a connu une augmentation parallèle à celle du PIB depuis le début de la révolution industrielle au 18ème siècle. L’inversement de cette hausse représentera donc un moment charnière dans l’histoire de l’énergie, annonce l’AIE. La part des combustibles fossiles dans le bouquet énergétique mondial va ainsi passer d’environ 80% à un peu plus de 60% d’ici 2050. Les émissions mondiales de CO2 vont diminuer lentement, passant d’un sommet de 37 milliards de tonnes par an à 32 milliards de tonnes d’ici 2050. Cette tendance aboutirait à une augmentation d’environ 2,5 °C des températures moyennes mondiales d’ici 2100, loin, pourtant, d’être suffisante pour éviter de graves impacts du changement climatique.

Selon l’AIE, une transformation beaucoup plus rapide pourrait avoir lieu si le déploiement du solaire, de l’éolien, des voitures électriques et des batteries maintenait son taux de croissance actuel, grâce à des politiques de soutien qui ne se limiteraient pas aux principaux marchés pour ces technologies, mais bénéficieraient au monde entier. Les investissements dans les énergies propres, estimés à plus de 2.000 milliards de dollars en l’état des politiques actuelles, pourraient dépasser 4.000 milliards en 2030 dans un scénario « zéro émission pour 2050 ».

Plus encore, selon le rapport, des politiques plus fortes seront essentielles pour stimuler l’énorme augmentation des investissements dans l’énergie qui est nécessaire pour réduire les risques de futures flambée et volatilité des prix. La faiblesse des investissements due à la baisse des prix de l’énergie au cours de la période 2015-2020 a rendu le secteur beaucoup plus vulnérable au type de perturbations qui ont marqué l’année 2022. Et il importe de combler le fossé des d’investissement en énergies propres entre les économies avancées et les économies émergentes et en développement.

« Les arguments environnementaux en faveur de l’énergie propre n’avaient pas besoin d’être renforcés, mais les arguments économiques en faveur de technologies propres, compétitives et abordables sont maintenant plus solides – tout comme les arguments en matière de sécurité énergétique. L’alignement actuel des priorités économiques, climatiques et sécuritaires a déjà commencé à faire avancer les choses vers de meilleurs résultats pour les peuples du monde et pour la planète », a déclaré le Dr Birol.

« La Russie a été de loin le plus grand exportateur mondial de combustibles fossiles, mais l’invasion de l’Ukraine provoque une réorientation globale du commerce mondial de l’énergie, la laissant avec une position très affaiblie », souligne le rapport.

La Russie perd du terrain progressivement

Malgré les prévisions de baisse des exportations d’énergie russe due aux ambitions de zéro émission européenne, la Russie ne perd du terrain que progressivement en raison du faible coût de ses produits. Maintenant, la rupture est venue avec une vitesse que peu de gens imaginaient possible, assure l’AIE. Les exportations russes de combustibles fossiles ne reviendront jamais – dans aucun des scénarios de l'AIE – aux niveaux observés en 2021, car la réorientation de la Russie vers les marchés asiatiques s’avère particulièrement difficile pour son gaz naturel. La part de la Russie dans les échanges énergétiques à l’échelle internationale, qui s’élevait à près de 20% en 2021, va tomber à 13% en 2030 selon le scénario des « politiques déclarées », tandis que les parts des États-Unis et du Moyen-Orient augmentent.

Pour les consommateurs de gaz, l’hiver à venir dans l’hémisphère Nord promet d’être un moment périlleux et une période de test pour la solidarité de l’Union européenne – et l’hiver 2023-2024 pourrait être encore plus difficile, reconnait l’agence. Mais à plus long terme, l’un des effets des actions récentes de la Russie est que l’ère de croissance rapide de la demande de gaz touche à sa fin.

« Au milieu des changements majeurs en cours, un nouveau paradigme de sécurité énergétique est nécessaire pour assurer la fiabilité et des prix abordables tout en réduisant les émissions », a déclaré le Dr Birol. L’AIE décrit la complexité de la période actuelle où le déclin des combustibles fossiles coexiste avec l’expansion des systèmes d’énergie propre. Une période de transition énergétique durant laquelle les deux systèmes sont nécessaires pour répondre aux besoins des consommateurs.