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Des « niveaux de faim catastrophiques » enregistrés en Haïti pour la première fois, avertit l’ONU

Des mères attendent avec leurs enfants d'être vaccinées dans un hôpital soutenu par l'UNFPA dans le sud d'Haïti.
© UNFPA/Ralph Tedy Erol
Des mères attendent avec leurs enfants d'être vaccinées dans un hôpital soutenu par l'UNFPA dans le sud d'Haïti.

Des « niveaux de faim catastrophiques » enregistrés en Haïti pour la première fois, avertit l’ONU

Aide humanitaire

Des « niveaux de faim catastrophiques » sont enregistrés pour la première fois à Haïti, ont alerté vendredi les Nations Unies, qui indiquent que près de 19.000 personnes à Cité Soleil, l’un des plus grands bidonvilles de la capitale Port-au-Prince, ont atteint le niveau le plus élevé d’insécurité alimentaire.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la faim a ainsi atteint le niveau catastrophique, ou le niveau le plus élevé, 5 sur la classification intégrée des phases de sécurité alimentaire (IPC), à Cité Soleil. Et c’est « la première fois en Haïti » qu’il y a des personnes classées en phase cinq. Cité Soleil a connu une augmentation inquiétante de l’insécurité alimentaire en trois ans.

« Cela signifie que ces 19.000 personnes n’ont probablement plus qu’un repas par jour, et qu’il n’y a pas les protéines, les légumes frais ou tout autre nutriment essentiel dont les gens ont besoin pour survivre », a déclaré en vidéoconférence lors d’un point de presse virtuel de l’ONU à Genève, le Directeur du PAM pour Haïti, Jean-Martin Bauer.

65% de sa population en situation d’insécurité alimentaire élevée

Près de la moitié de la population est actuellement confrontée à une faim aiguë. Le rapport indique que 4,7 millions de personnes en Haïti sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont « 1,8 million sont confrontées à des niveaux d’insécurité alimentaire d’urgence (IPC 4). Ces chiffres inquiétants ont progressé au cours des six derniers mois, a ajouté le responsable du PAM

Plus largement, 65% de sa population, en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables, sont en situation d’insécurité alimentaire élevée et 5% d’entre eux ont un besoin urgent d’aide humanitaire. « Haïti est confronté à une catastrophe humanitaire [...] et le rapport qui est publié aujourd’hui montre que l’étendue de l’insécurité alimentaire en Haïti s’aggrave », a affirmé Jean-Martin Bauer.

Le panier alimentaire de base est hors de portée pour de nombreux Haïtiens. L’inflation atteint le taux vertigineux de 33% et le prix de l’essence a doublé. La situation est encore exacerbée par une récente épidémie de choléra et le manque d’eau potable, ce qui risque de pousser davantage de personnes à la limite de la survie.

Un enfant dans un centre de dépistage de malnutrition à Cité Soleil, Haiti
© UNICEF
Un enfant dans un centre de dépistage de malnutrition à Cité Soleil, Haiti

Plus accès aux marchés, aux services de santé et de nutrition

Une série implacable de crises a piégé les Haïtiens vulnérables dans un cycle de désespoir croissant, sans accès à la nourriture, au carburant, aux marchés, aux emplois et aux services publics, paralysant le pays, mettent en garde le PAM et la FAO.

Comme pour aggraver la situation, ce pays des Caraïbes, tourmenté par des années d’instabilité politique, gangrené par les bandes criminelles, est également frappé par le choléra.

L’augmentation de la violence à Cité Soleil, où des groupes armés se disputent le contrôle de la zone, a eu pour conséquence que les habitants n’ont plus accès à leur travail, aux marchés et aux services de santé et de nutrition. Beaucoup ont été contraints de fuir ou de se cacher chez eux, selon les agences onusiennes.

« C’est une période de tumulte à Haïti. Mais il y a une voie à suivre. Nous devons tous être inébranlables et nous concentrer sur la fourniture de l’aide humanitaire urgente et le soutien au développement à long terme », a fait remarquer le Représentant du PAM.

Détérioration de la sécurité alimentaire dans les zones rurales

La sécurité alimentaire a également continué à se détériorer dans les zones rurales, plusieurs d’entre elles passant de la phase de crise (IPC 3) à la phase d’urgence (IPC 4). Les pertes de récoltes dues à des précipitations inférieures à la moyenne et le tremblement de terre de 2021 qui a dévasté certaines parties des départements de la Grand‘Anse, des Nippes et du Sud font partie des chocs qui ont aggravé les conditions.

Pendant des années, les risques naturels et les troubles politiques ont fait payer un lourd tribut aux Haïtiens qui étaient déjà dans le besoin, tant dans les zones rurales qu’urbaines. Le début de la crise alimentaire mondiale, avec la hausse des prix des aliments et des carburants, a entraîné des troubles civils croissants qui ont plongé Haïti dans le chaos, paralysant complètement les activités économiques et les transports.

Malgré l’instabilité de la situation sécuritaire à Port-au-Prince, le PAM a fourni une aide d’urgence à plus de 100.000 personnes dans la zone métropolitaine en 2022. En 2021, le PAM a touché 1,3 million de personnes et en 2022, il prévoit de toucher 1,7 million d’Haïtiens.

Distribution de produits d'hygiène en Haiti
© UNICEF/Jonathan Crickx
Distribution de produits d'hygiène en Haiti

À Cité Soleil, 8.000 enfants de moins de cinq ans en danger

De son côté, la FAO a fourni un soutien d’urgence aux moyens de subsistance des ménages agricoles vulnérables à petite échelle. Au cours de la saison agricole d’automne qui débute ce mois-ci, la FAO vise à atteindre près de 70.000 personnes.

Il s’agit de leur fournir de l’argent contre du travail, une aide à la production de cultures vivrières, une aide à l’élevage, ainsi qu’un soutien au stockage et à la transformation des aliments pour les programmes d’alimentation scolaire.

Par ailleurs, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) note que près de 100.000 enfants de moins de cinq ans qui souffrent déjà de malnutrition aiguë sévère - également appelée émaciation sévère - sont particulièrement vulnérables à l’épidémie de choléra qui sévit actuellement en Haïti, a averti l’UNICEF.

À Cité Soleil, où le premier cas de choléra a été signalé, jusqu’à 8.000 enfants de moins de cinq ans risquent de mourir de malnutrition simultanée, d’émaciation dans ce cas, et de choléra si des mesures urgentes ne sont pas prises pour contenir cette menace.

« La crise en Haïti est de plus en plus une crise des enfants », a déclaré Bruno Maes, Représentant de l’UNICEF en Haïti. « Pour les enfants qui sont déjà affaiblis par le manque d’aliments nutritifs, attraper le choléra et en subir les effets, notamment la diarrhée et les vomissements, est proche d’une condamnation à mort ».

La malnutrition et le choléra, deux menaces mortelles mettant la vie des enfants en danger

Pour contenir la malnutrition pendant cette recrudescence du choléra, l’UNICEF, le ministère de la Santé et les partenaires ont lancé un dépistage actif pour identifier l’émaciation chez 40.000 enfants de moins de cinq ans, l’orientation rapide des cas d’amaigrissement vers les cliniques mobiles soutenues par l’UNICEF ou vers les établissements de santé les plus proches, ainsi que la fourniture de soins de qualité à 8.000 enfants de moins de cinq ans souffrant d’émaciation.

S’agissant de l’épidémie de choléra, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué que le ministère de la Santé publique et de la Population d’Haïti a fait état, entre le 25 septembre et le 8 octobre, de 32 cas confirmés de choléra et de 21 décès. Selon un décompte établi le 13 octobre 2022, le ministère a fait savoir qu’il y a eu 357 cas suspects, dont plus de la moitié chez des enfants de moins de 14 ans.

Selon l’UNICEF, une personne sur trois parmi celles qui souffrent du choléra a moins de cinq ans. « Aujourd’hui, nous menons une guerre féroce contre la malnutrition et le choléra, deux menaces mortelles qui mettent la vie des enfants en danger », a conclu M. Maes, relevant que « le temps joue contre nous, car le choléra se propage rapidement et l’épidémie risque de devenir incontrôlable ».