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Au Yémen, six mois de trêve ont fait renaître un espoir qu'il ne faut pas laisser s’éteindre (ONU)

Un enfant dénutri dans un centre d'alimentation thérapeutique au Yémen
© UNICEF/Anwar Al-Haj
Un enfant dénutri dans un centre d'alimentation thérapeutique au Yémen

Au Yémen, six mois de trêve ont fait renaître un espoir qu'il ne faut pas laisser s’éteindre (ONU)

Paix et sécurité

S’adressant au Conseil de sécurité jeudi 13 octobre, Hans Grundberg, Envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen, et Joyce Msuya, Sous-Secrétaire générale pour les affaires humanitaires, ont déploré l’échec des pourparlers visant à une reconduction de la trêve au Yémen, et rappelé aux belligérants les conséquences possibles du recul du processus de paix sur les souffrances déjà terribles de la population civile.

Hans Grundberg a confirmé ce jeudi que les négociations visant à une seconde prolongation de la trêve des combats entamée le 2 avril avaient échoué, ce qui entraine une nouvelle phase d’incertitude et de risque élevé d’une reprise de la guerre.

A ses yeux, ce revers est d’autant plus regrettable que ces six mois et demi d’accalmie relative, après huit ans de conflit, avaient commencé à alléger les souffrances de la population yéménite et représentaient une opportunité historique de rebâtir la confiance et d’œuvrer pour un règlement pacifique du conflit.  

Prolonger la trêve et en asseoir les fondements 

L’Envoyé spécial a rappelé que les efforts visant non seulement à prolonger le cessez-le-feu mais à en étendre le champ et asseoir les fondements duraient depuis début juillet. Présentées initialement le 18 septembre, et révisées le 1er octobre après plusieurs semaines de tractations à Aden, Sanaa, Ryad et Muscat, les propositions d’une prolongation de six mois prenaient en compte de manière équilibrée les demandes des deux côtés, a-t-il dit.  

Elles incluaient l’arrêt permanent de toutes les opérations offensives et l’installation d’une Commission de coordination militaire servant de solide canal de communication et de coordination en vue d’une désescalade du conflit. Elles prévoyaient aussi un mécanisme de paiement transparent et efficace pour le paiement des salaires et des pensions des fonctionnaires, ainsi qu’une réouverture progressive des routes à Taëz, l’augmentation de la fréquence des vols à l’aéroport de Sanaa, le déblocage des approvisionnements en carburant dans les ports de Hodeïda. 

De plus, l’accord incluait un engagement à la libération urgente des détenus et des mesures visant à établir un processus à long terme de règlement du conflit : l’établissement de structures propices à des négociations sur les questions économiques, un cessez-le-feu durable, et la reprise d’un processus politique inclusif conduit par les Yéménites eux-mêmes en vue d’une résolution du conflit.  

Si l’Envoyé spécial a dit avoir apprécié la position favorable du gouvernement du Yémen, il a regretté que les rebelles d’Ansar Allah, appelés aussi Houthis, aient exprimé de nouvelles exigences impossibles à satisfaire. Appelant une nouvelle fois les parties à montrer leadership et flexibilité pour atteindre un accord, il a reconnu que celles-ci ont fait preuve de retenue depuis l’expiration de la trêve le 2 octobre, marquée seulement par des échanges sporadiques de tirs d’artillerie sur les lignes de front, alors que l’aéroport de Sanaa continue de fonctionner et que les tankers de carburant entrent toujours à Hodeïda. 

Hans Grunberg a énuméré les multiples bienfaits des six mois de trêve écoulés : la baisse de 60% du nombre de morts pendant cette période dénuée d’opérations militaires majeures, le transport aérien de 27.000 civils en quête de soins médicaux, d’études et d’activités économiques à l’étranger, le triplement des approvisionnements en carburant via Hodeïda et les rencontres en personne des parties au conflit sous les auspices de l’ONU.

Hans Grundberg, Envoyé spécial pour le Yémen (à gauche) et Joyce Msuya, cheffe adjointe des affaires humanitaires, font un exposé devant le Conseil de sécurité.
Photo ONU/Eskinder Debebe
Hans Grundberg, Envoyé spécial pour le Yémen (à gauche) et Joyce Msuya, cheffe adjointe des affaires humanitaires, font un exposé devant le Conseil de sécurité.

Malgré l'échec, les efforts de négociations se poursuivent 

Rappelant que la trêve n’a jamais été considérée comme une fin en soi, mais comme une étape permettant de rehausser la confiance entre les belligérants pour créer un environnement favorable à une résolution politique, l’Envoyé spécial a souligné que les parties sont maintenant confrontées à un choix : préserver et prendre appui sur la trêve pour avancer vers la paix, ou revenir à une guerre qui à nouveau accroîtra les souffrances, affectant de manière disproportionnée les femmes, et qui déstabiliserait toute la région. 

« Si le cycle de violence et d’escalade reprenait, a prévenu Hans Grunberg, la fenêtre d’opportunité pour la paix pourrait rester longtemps fermée, et le Yémen se doit d’éviter ce scénario ». L’Envoyé spécial a dit avoir poursuivi, y compris par des déplacements à Ryad et Muscat, ses efforts constants pour réunir les parties et les partenaires régionaux et internationaux autours d’options permettant un renouvellement de la trêve. « Les enjeux sont tels que nous ne pouvons pas perdre cette opportunité », a-t-il répété, appelant les belligérants à montrer le leadership, les compromis et la flexibilité nécessaire à un accord. 

L’horreur des mines et des engins explosifs 

Pour sa part, Joyce Msuya, Sous-Secrétaire générale des Nations Unies pour les questions humanitaires, a décrit, depuis Hodeïda, les six jours qu’elle vient de passer au Yémen. Elle a évoqué les ravages infligés par ce conflit aux civils et a exhorté les parties à éviter l’escalade. Elle a particulièrement souligné l’impact des mines et autres engins explosifs qui ont causé la mort de 70 civils le mois dernier et pèsent comme un danger mortel sur tous les déplacements quotidiens de la population, évoquant le sort de cet enfant de 12 ans amputé des deux jambes par une mine et contraint à un trajet de deux heures vers l’hôpital le plus proche.  

Joyce Msuya a aussi déploré les effets du conflit sur l’économie, et l’effondrement des services essentiels pour la population, « des marchés proposant de la nourriture et des produits, mais à des prix prohibitifs ; des hôpitaux et des écoles dénués d’équipements de première nécessité et des médecins et enseignants mal rémunérés ou privés de salaires ». 

Des progrès grâce à l’aide humanitaire 

Les organisations humanitaires font de leur mieux pour répondre aux besoins urgents, a-t-elle noté, mais nous ne pouvons pas le faire seuls, sans l’appui substantiel des donateurs, des acteurs du développement et des institutions financières. Elle a rappelé que le Mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies, l’UNVIM, nécessaire au maintien du flux des importations commerciales, a failli s’interrompre faute de fonds, avant de recevoir les contributions de l’Union européenne, des Etats-Unis et du Royaume Uni.  

Elle a toutefois rapporté l’impact de l’aide humanitaire pour quelque 10 millions de personnes dans le besoin, tant par l’ouverture de centres d’alimentation thérapeutique, que d’écoles pour les enfants déplacés à cause du conflit, et confirmé que les estimations selon lesquelles 17 millions de personnes souffriront d’insécurité alimentaire aigue dans les trois derniers mois de cette année, sont malgré tout encourageantes, car elles représentent deux millions de personnes de moins que dans les prévisions antérieures. De même, le nombre de victimes de véritables conditions de famine devrait passer de 161.000 à zéro durant cette période.

Des enfants déplacés portent des kits d'hygiène distribués par l'UNICEF à Mareb, au Yémen.
© UNICEF/YPN
Des enfants déplacés portent des kits d'hygiène distribués par l'UNICEF à Mareb, au Yémen.

Un surcroit de financement international est nécessaire 

La Sous-Secrétaire générale a appelé au soutien des donateurs, soulignant que les 2 milliards de dollars de l’appel humanitaire ont été financés pour plus de la moitié par les seuls Etats-Unis, et représentent seulement 48% du financement attendu à l’approche de la fin de l’année. Cette situation a poussé l’ONU à allouer 20 millions de dollars du Fond central d’intervention d’urgence, le CERF, à des secteurs humanitaires sous financés, portant à 60 millions de dollars sa contribution pour 2022. 

Elle a aussi déploré les interférences, les obstacles bureaucratiques, les incidents de sécurité et d’autres restrictions qui continuent à affecter l’apport d’aide humanitaire à des millions de personnes. Elle a rappelé que deux membres du personnel de l’ONU sont détenus à Sanaa depuis presque un an, et que cinq autres sont toujours portés disparus après leur enlèvement à Abyan en février. Exhortant les parties à respecter le droit international humanitaire, Joyce Msuya a assuré que la trêve a fait naitre l’espoir d’une paix possible, et « nous ne pouvons le laisser s’éteindre ».