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Face à l’Afghanistan, la communauté internationale ressent un déficit de confiance, constate l’envoyé de l’ONU

Un garçon âgé de 12 ans, qui ne va pas à l'école, vend des bananes dans la province d'Uruzgan, dans l'ouest de l'Afghanistan.
© UNICEF
Un garçon âgé de 12 ans, qui ne va pas à l'école, vend des bananes dans la province d'Uruzgan, dans l'ouest de l'Afghanistan.

Face à l’Afghanistan, la communauté internationale ressent un déficit de confiance, constate l’envoyé de l’ONU

Paix et sécurité

Devant le Conseil de sécurité, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général pour l’Afghanistan, s’est déclaré mardi pessimiste quant à la volonté du régime taliban d’améliorer la gouvernance, l’inclusion des femmes et le respect des droits humains, qui pourraient être les remèdes à l’isolement du pays et à son déclin économique.

« La patience de beaucoup de membres de la communauté internationale commence à s’épuiser en ce qui concerne la stratégie d’engagement avec les autorités talibanes », a reconnu Markus Potzel devant les membres du Conseil.

Restrictions visant les femmes

En dépit de quelques avancées positives, trop lentes et rares, les problèmes l’emportent, a-t-il regretté, citant notamment l’actuelle interdiction de l’enseignement secondaire pour les filles, « unique au monde », et les restrictions croissantes en matière de droits des femmes, qui prouvent que les Talibans restent indifférents au sort de la moitié de leur population et sont prêts à risquer l’isolement international. 

Markus Potzel a rapporté que selon de nombreux responsables, le leader des Talibans, l’émir Haibatullah, maintient sa décision, avec l’appuis des « durs » qui l’entourent, contre l’avis de la majorité des autres membres du mouvement, pour leur part, incapables, ou peu désireux, de changer cette trajectoire.

De plus, les réussites dont se targuent les Talibans se sont érodées, vu la recrudescence des incidents liés aux conflits armés et la criminalité, et plusieurs attaques terroristes d’envergure.

L’envoyé de l’ONU a noté que les Talibans n’ont pas tenu compte de ses mises en garde à propos des capacités de l’Etat islamique – Province Khorosan (ISKP) alors que ce groupe s’est révélé capable d’assassiner des personnalités proches des Talibans, d’attaquer des lieux de culte chiite et des ambassades, causant 10 morts à l’ambassade russe, et de tirer des missiles vers les pays voisins de l’Afghanistan.

Par ailleurs, la présence à Kaboul du leader d’Al Qaïda Al Zawahiri, touché par une frappe américaine, a aggravé le déficit de confiance de la communauté internationale sur l’engagement des Talibans contre le terrorisme. Quant aux multiples affrontements entre les forces de sécurité et les groupes d’opposition armés dans diverses provinces, ils donnent lieu à des abus probables des droits de l’homme, déjà documentés par des images dans la région du Panchir. Malgré la promesse d’enquêtes approfondies par les autorités de facto, la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) n’a toujours pas reçu d’informations.

Une jeune fille, âgée de 13 ans, étudie à la maison à Kaboul après l'interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles par les Talibans.
© UNICEF/Mohammad Haya Burhan
Une jeune fille, âgée de 13 ans, étudie à la maison à Kaboul après l'interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles par les Talibans.

Une situation économique incertaine

Sur le front de l’économie, la situation est toujours incertaine. Si les Talibans assurent avoir augmenté les exportations, maintenu la valeur de l’Afghani et recueilli des revenus fiscaux substantiels, le niveau de vie est tout de même retombé à son niveau de 2007, rayant 15 ans de croissance économique.

Reconnaissant que la situation reste opaque, Markus Potzel a attribué en partie ces revers économiques au manque de liquidités dû à l’exclusion de l’Afghanistan du système bancaire international et a noté que le pays dépend fortement de l’argent liquide fourni par l’ONU pour ses opérations humanitaires. De l’argent, a-t-il insisté, destiné aux civils afghans, et non aux autorités afghanes.  

« Mais même ce financement reste incertain », a déploré le Représentant spécial adjoint, rappelant que le plan de réponse humanitaire n’a pour l’instant reçu qu’1,9 milliard de dollars sur les 4,4 milliards nécessaires. Un manque préoccupant face à l’aggravation de la crise alimentaire et à l’approche de l’hiver, dont la préparation exige dans l’immédiat près de 800 millions de dollars.

Markus Potzel a mentionné le Fond afghan créé par les Etats-Unis, consistant à placer la moitié des 7 milliards de dollars de réserves de l’Afghanistan dans un compte en Suisse, où il permettra de stabiliser l’économie du pays. Un procédé temporaire en attendant que revienne la confiance dans la capacité de la Banque centrale afghane à prévenir le blanchiment d’argent et le financement de groupes terroristes.

Aux dires du Représentant spécial adjoint, les Etats donateurs sont loin d’avoir trouvé un consensus sur la meilleure stratégie d’aide à ce pays. Alors que la Mission encourage les bailleurs de fonds à aller au-delà de l’aide humanitaire et à appuyer des projets élémentaires d’infrastructures ou de réponse au changement climatique, nombre d’entre eux ne souhaitent pas affranchir les Talibans de leur responsabilité envers la population, et demandent une plus grande transparence dans les budgets et l’évaluation des besoins par les autorités talibanes.

Si les Talibans se disent engagés à soutenir une croissance du secteur privé qui réduirait leur dépendance face à l’aide internationale, les conditions de ce projet sont loin d’être réalisés, « faute de système légal clair, de réseau bancaire, d’investissements publics et de services adéquats et d’une main d’œuvre éduquée incluant les femmes ».

Manque de transparence

En cause, aussi, le manque de transparence et d’inclusion dans la prise de décision et la gouvernance, l’absence, apparemment délibérée, de chenaux de communication entre la population et les autorités. La mission de l’ONU déplore en outre les violations des droits de l’homme et de la déclaration d’amnistie, ainsi que l’intimidation des médias sur fond de montée en puissance inquiétante du ministère pour la Propagation de la vertu et la Prévention du vice.

Le Représentant spécial adjoint a rappelé que le régime taliban n’a été reconnu par aucun Etat, mais que la communauté internationale n’avait pas l’intention de laisser ce pays s’effondrer. Il a toutefois dénoncé le recul des engagements du régime, illustré par des pressions croissantes sur les agences de l’ONU présentes dans le pays, l’arrestation de trois employées des Nations Unies à Kandahar, et les obstacles imposés à l’aide humanitaire.

Markus Potzel a conclu ses propos au Conseil de sécurité, en réaffirmant l’engagement de la mission de l’ONU à améliorer la gouvernance en Afghanistan et le respect des normes de la communauté mondiale. L’alternative serait douloureuse, à ses yeux : « la fragmentation du pays, son isolement, la pauvreté et les conflits internes, une migration de masse ; un terrain propice aux organisations terroristes et à une plus grande misère de la population afghane ».