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Une experte de l’ONU dénonce un « engagement superficiel » pour la justice et l’égalité raciales

"Le racisme est aussi un virus", lit-on sur cette pancarte brandie lors d'une manifestation contre le racisme à Montréal, au Canada, en mars 2022.
Unsplash/Rolande PG
"Le racisme est aussi un virus", lit-on sur cette pancarte brandie lors d'une manifestation contre le racisme à Montréal, au Canada, en mars 2022.

Une experte de l’ONU dénonce un « engagement superficiel » pour la justice et l’égalité raciales

Développement durable (ODD)

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les objectifs de développement durable (ODD) se caractérisent par un « engagement superficiel en faveur de la justice et de l’égalité raciales et ne parviennent pas à lutter contre le racisme et la xénophobie systématiques », a mis en garde, mardi, une experte indépendante des Nations Unies. 

« En dépit de la rhétorique prometteuse du Programme 2030, celui-ci ne tient pas sa promesse de "ne laisser personne de côté" lorsqu’il s’agit des principes d’égalité raciale et de non-discrimination », a déclaré E. Tendayi Achiume, Rapporteure spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée.

Présentant son rapport devant le Conseil des droits de l’homme, la professeure de droit de l’Université de Californie (UCLA) note que le Programme 2030 se caractérise par un « engagement superficiel » en faveur de la justice et de l’égalité raciales et qu’il « ne s’attaque pas de manière adéquate au racisme et à la xénophobie systémiques ».

Cet échec persiste malgré le fait que les États Membres, les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales de l’ONU et d’autres parties prenantes reconnaissent largement que le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée constituent des obstacles évidents à la réalisation des objectifs de développement durable et à l’instauration de l’égalité sociale et économique. 

Un cadre de développement mal équipé pour perturber l’inégalité raciale au sein des États

Si Mme Achiume a reconnu que le Programme 2030 présentait des améliorations importantes par rapport aux initiatives de développement précédentes, mais a insisté sur le fait qu’un engagement plus important était nécessaire pour lutter contre le racisme. « Les engagements en matière de justice raciale sont largement absents de l’opérationnalisation des objectifs, comme en témoigne l’absence de désagrégation raciale dans les cibles et indicateurs des ODD », a fait valoir l’experte.

Or les analyses des examens nationaux volontaires ont montré que la race et l’ethnicité sont fréquemment ignorées dans les rapports des États sur la réalisation des ODD. Elle pointe ainsi du doigt « le manque persistant de ressources, l’incapacité à collecter des données désagrégées et le manque de volonté politique limitent encore les progrès vers la justice raciale dans pratiquement tous les contextes nationaux et internationaux. »

Son rapport conclut aussi que le Programme 2030 est « incapable de perturber fondamentalement la dynamique de sous-développement discriminatoire sur le plan racial ancrée dans l’ordre économique international ». « Des preuves convaincantes montrent que le cadre de développement est mal équipé pour perturber l’inégalité raciale au sein des États et entre eux. Au contraire, les systèmes économiques et financiers mondiaux restent les moteurs d’un sous-développement discriminatoire sur le plan racial, et le cadre général du développement international est mal adapté pour remettre en cause ce statu quo », a-t-elle détaillé. 

« Besoin urgent de décoloniser les systèmes économiques et politiques mondiaux  »

De nombreuses recherches ont ainsi démontré que l’ordre économique et financier international et les programmes économiques mis en œuvre par les principales institutions de développement ont perpétué les atteintes aux droits de l’homme, les inégalités économiques, le démantèlement des filets de sécurité sociale dans le Sud et surtout « la dépendance des peuples anciennement colonisés ».

Sur un autre plan, l’experte a également dénoncé l’héritage des « puissances coloniales et de leurs élites », relevant que « l’impératif colonial raciste » n’a pas disparu avec le processus progressif de décolonisation.

« Alors que les discours explicitement racistes ont été largement abandonnés, les notions de "retard" économique, politique, social et culturel des peuples anciennement colonisés dans le monde "en développement" ont persisté », a-t-elle regretté, soulignant que « l’inégalité internationale bien ancrée est une caractéristique déterminante du cadre de développement économique international ».

Elle expose donc « le besoin urgent de décoloniser les systèmes économiques, juridiques et politiques mondiaux - un objectif ne pouvant être atteint qu’en bouleversant les hiérarchies internationales et en dépassant les visions, les modèles et les moyens eurocentriques du développement économique ».

Un soutien indéfectible à la lutte contre le racisme systémique au sein des organisations internationales

Par ailleurs, l’experte a dit avoir été frappée par « l’attention institutionnelle accrue portée à la justice raciale, à l’égalité et à la non-discrimination au sein d’un certain nombre d’organisations internationales ». « Il est évident que les soulèvements pour la justice raciale qui ont mobilisé la communauté mondiale en 2020 ont considérablement modifié les termes du débat aux Nations Unies et ailleurs », a dit Mme Achiume.

Mme Achiume a ainsi exprimé un soutien indéfectible à ceux qui luttent activement contre le racisme systémique au sein des institutions internationales. « Dans de nombreux contextes, les employés marginalisés sur le plan racial et ethnique, en particulier, se chargent volontairement du travail de lutte contre le racisme au sein des institutions, offrant un leadership vital sans compensation », a-t-elle insisté.

« Pour que les initiatives de lutte contre le racisme soient couronnées de succès, les responsables institutionnels doivent engager les ressources et la volonté politique nécessaires à la transformation, en rendant les institutions plus représentatives des populations qu’elles servent, en particulier aux niveaux décisionnels », a fait remarquer la Rapporteure spéciale.

NOTE :

Les Rapporteurs spéciaux et Experts indépendants font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand groupe d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations Unies, est le nom général des mécanismes indépendants d'enquête et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations spécifiques à des pays, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel de l'ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et siègent à titre individuel.