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Ukraine : le contrôle militaire russe des centrales nucléaires ukrainiennes suscite de graves inquiétudes (AIEA)

Un sarcophage a été construit pour couvrir les restes de la centrale nucléaire de Tchernobyl après la catastrophe.
Oleksandr Syrota
Un sarcophage a été construit pour couvrir les restes de la centrale nucléaire de Tchernobyl après la catastrophe.

Ukraine : le contrôle militaire russe des centrales nucléaires ukrainiennes suscite de graves inquiétudes (AIEA)

Paix et sécurité

Les informations selon lesquelles la plus grande centrale nucléaire d'Ukraine, et d'Europe, est désormais sous le contrôle des forces russes sont très préoccupantes, a déclaré dimanche le Directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi.

« Je suis extrêmement préoccupé par les développements qui m'ont été rapportés aujourd'hui », a déclaré M. Grossi dans une déclaration publiée par l'AIEA, regrettant que « quelques jours seulement après avoir présenté les sept principaux éléments de la sûreté et de la sécurité nucléaires au Conseil de l'AIEA, plusieurs d'entre eux sont déjà compromis ».

2 piliers de la sûreté nucléaire compromis

M. Grossi a dit qu'il avait été informé par les autorités ukrainiennes que, bien que le personnel régulier continue de faire fonctionner la centrale nucléaire de Zaporijjia, « toute action liée à la direction de la centrale - y compris les mesures liées au fonctionnement technique des six réacteurs - nécessite l'approbation préalable du commandant des forces russes » qui ont pris le contrôle du site la semaine dernière.

Pour pouvoir exploiter la centrale en toute sûreté et sécurité, la direction et le personnel doivent pouvoir s'acquitter de leurs tâches essentielles dans des conditions stables, sans interférence ou pression extérieure indue

Le chef de l’agence onusienne pour la sûreté des installations nucléaires a déclaré que cette évolution va à l'encontre de l'un des sept piliers de la sûreté et de la sécurité nucléaires qu'il a exposés lors d'une réunion du Conseil des gouverneurs de l'AIEA le 2 mars.  

Il s’agit du troisième pilier qui maintient que « le personnel d'exploitation doit être en mesure de remplir ses obligations en matière de sûreté et de sécurité et avoir la capacité de prendre des décisions sans subir de pressions indues ».

La communication sévèrement limitée

L'autorité ukrainienne de réglementation nucléaire a également informé l'AIEA qu'elle avait de gros problèmes de communication avec le personnel d'exploitation de Zaporijjia, les forces russes présentes sur le site ayant coupé certains réseaux mobiles et bloqué l'Internet.

« Moins de 24 heures après avoir déclaré qu’elle avait pu maintenir les communications avec la plus grande centrale nucléaire d'Ukraine, l'autorité de régulation ukrainienne a indiqué aujourd'hui que les lignes téléphoniques, ainsi que les courriers électroniques et les fax, ne fonctionnaient plus. Les communications par téléphone mobile sont encore possibles, mais de mauvaise qualité », a fait valoir l’AIEA.

L'AIEA a noté que cette situation contrevient au septième pilier indispensable de la sûreté nucléaire, sur la nécessité d’avoir « des communications fiables avec l'organisme de réglementation et les autres ».

« Pour pouvoir exploiter la centrale en toute sûreté et sécurité, la direction et le personnel doivent pouvoir s'acquitter de leurs tâches essentielles dans des conditions stables, sans interférence ou pression extérieure indue », a souligné M. Grossi.

« La détérioration de la situation concernant les communications vitales entre l'autorité de régulation et la centrale nucléaire de Zaporijjia est également une source de profonde inquiétude, en particulier pendant un conflit armé qui peut mettre en péril les installations nucléaires du pays à tout moment », a poursuivi le Directeur général. 

« Des communications fiables entre l'autorité de régulation et l'exploitant sont un élément essentiel de la sûreté et de la sécurité nucléaires globales », a-t-il ajouté.

Les niveaux de radiation sont normaux

Malgré les problèmes de communication, l'autorité de régulation a été en mesure de fournir à l'AIEA des informations actualisées sur l'état opérationnel de la centrale nucléaire de Zaporijjia et de confirmer que les niveaux de rayonnement y « sont restés normaux ».

Les équipes opérationnelles de la centrale tournent désormais en trois rotations mais, selon le régulateur, la disponibilité et l'approvisionnement en nourriture sont limités ce qui a un impact négatif sur le moral du personnel.

Des craintes pour la sécurité à Tchernobyl et Marioupol

Réagissant aux informations selon lesquelles le personnel technique et les gardes sur le site de l'accident nucléaire de Tchernobyl n'ont pas fait l'objet d'une rotation depuis le 23 février, M. Grossi a appelé les forces russes qui contrôlent le site à leur permettre d'être relevés par d'autres collègues et de se reposer, afin d'effectuer leur travail en toute sécurité.

Le régulateur ukrainien a informé l'AIEA que la communication avec Tchernobyl se limite actuellement à des courriels.

Autre fait inquiétant, le régulateur a déclaré que toutes les communications ont été perdues avec les entreprises et les institutions de la ville portuaire de Marioupol qui utilisent des sources de rayonnement de catégorie 1-3.  Il n’y a aucune information sur leur statut. 

« Ces matières radioactives peuvent causer de graves dommages aux personnes si elles ne sont pas sécurisées et gérées correctement », a averti l'AIEA.

L'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986 est l'un des plus graves accidents nucléaires jamais survenus.Musée national de Tchernobyl/Anatoliy Rasskazov
Musée national de Tchernobyl/Anatoliy Rasskazov
L'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986 est l'un des plus graves accidents nucléaires jamais survenus.Musée national de Tchernobyl/Anatoliy Rasskazov

Le danger nucléaire en Ukraine

L'Ukraine a renoncé à ses droits sur les armes nucléaires après la dissolution de l'Union soviétique, et toutes les armes nucléaires présentes sur son territoire ont été retirées en juin 1996. 

Toutefois, le pays a conservé le droit de développer l'énergie nucléaire à des fins pacifiques et quelque 114 entreprises sont censées détenir des matières nucléaires d'un type ou d'un autre, dont quatre centrales nucléaires.

Le conflit militaire en Ukraine est le premier à se dérouler sur le territoire d'un pays possédant d'importantes installations nucléaires. 

Dans la nuit de jeudi à vendredi, la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande et la plus puissante d'Europe, a été touchée par des frappes, faisant craindre une explosion et des fuites de radiations. 

Les obus ont touché un complexe d'entraînement situé à proximité des réacteurs nucléaires. Aucune matière radioactive n'a été libérée et les systèmes de sécurité de la centrale n'ont pas été compromis.

Les souvenirs de la catastrophe de Tchernobyl, survenue le 26 avril 1986, ont également néanmoins été ravivés. Tchernobyl est l'un des incidents nucléaires les plus graves de l'histoire de l'humanité et a entraîné un panache radioactif couvrant une grande partie du nord-est de l'Europe. 

Un accident ou une explosion à Zaporijjia, qui est bien plus grande que Tchernobyl, pourrait entraîner des conséquences bien plus graves que l'incident de 1986. Un tel accident pourrait résulter de nouvelles attaques ou d'une perte d'électricité, qui pourrait empêcher le système de refroidissement du réacteur de fonctionner et mener à une explosion (tel que s'est produit à Tchernobyl).