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Deux amies soutenant les droits des LGBTI lors de la Gay Pride à New York en 2018.

Eliminer les « thérapies de conversion », le combat d'un expert de l'ONU

ONU Info/Elizabeth Scaffidi
Deux amies soutenant les droits des LGBTI lors de la Gay Pride à New York en 2018.

Eliminer les « thérapies de conversion », le combat d'un expert de l'ONU

Droits de l'homme

À l’heure actuelle, 69 États dans le monde ont des lois en vigueur qui criminalisent les relations homosexuelles entre adultes consentants. Autrement dit, deux milliards de personnes vivent dans des contextes de discrimination, soit un tiers de la population mondiale.

Or, cette criminalisation a notamment des conséquences mesurables en termes de santé publique et d’accès à l’éducation, constate Victor Madrigal-Borloz, Expert indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.

Créé par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2016 par une majorité d’États inquiets pour les victimes d’actes de violence et de discrimination en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, le mandat d’Expert indépendant sur la question est confié depuis 2017 à ce juriste originaire du Costa-Rica et enseignant à la Harvard Law School. 

Dans un entretien avec Farid Emam, d’ONU Genève, Victor Madrigal-Borloz plaide pour un monde débarrassé de la criminalisation de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, et notamment pour l’élimination des « thérapies de conversion ».

La criminalisation, a ainsi constaté l’expert dans ses travaux, a pour conséquence, par exemple, que « les jeunes personnes LGBT abandonnent l’école trois fois plus que celles qui ne le sont pas, ou encore que les personnes trans sont atteintes du VIH/sida 47 fois plus que les hommes homosexuels – et même 76 fois plus que la population générale ».

La raison de cet écart gigantesque, souligne M. Madrigal-Borloz, tient au fait que, trop souvent, une personne transgenre malade n’ira pas demander des services de santé « de peur de se faire ridiculiser » et de ne pas recevoir les soins dont elle a vraiment besoin. 

Victor Madrigal-Borloz, lors d'une visite au Mozambique.
Helvisney Cardoso / UNRCO Moz 2018
Victor Madrigal-Borloz, lors d'une visite au Mozambique.

Le problème des thérapies de conversion

L’incrimination d’orientations sexuelles ou d’identités de genre différentes est aussi en lien avec les « thérapies de conversion », lesquelles ont fait l’objet d’un rapport de l’expert en 2020.

Victor Madrigal-Borloz avait alors examiné le problème de ces « thérapies » qui visent à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, sur le principe supposé que les personnes LGBT et de genre variant seraient « malades ».

Selon ce rapport présenté au Conseil des droits de l’homme en 2020, les « thérapies de conversion » visent à transformer une personne non hétérosexuelle en personne hétérosexuelle, et une personne trans ou de genre variant en personne cisgenre (une personne dont l’identité de genre correspond à son sexe indiqué sur son état civil). Elles sont pratiquées dans au moins 68 pays, sur tous les continents.

Le rapport cite plusieurs régions et pays, dont l’Afrique, la Chine, la République de Corée et des États d’Europe de l’Est. Aux États-Unis, quelque 700.000 lesbiennes, gays, trans ou personnes de genre variant auraient fait l’objet de ces pratiques à un certain moment de leur vie. En Suisse, à en croire les estimations d’organisations de la société civile, environ 14.000 personnes seraient concernées.

Des pratiques assimilables à des actes de torture

Exorcismes par des églises ou des guérisseurs, viols « correctifs », obligation de suivre un traitement psychologique : au cours de ses visites de travail dans plusieurs pays, l’Expert indépendant a recueilli de nombreux témoignages de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et de genre variant victimes de ces pratiques.

Les « thérapies de conversion » provoquent des traumatismes physiques et psychologiques profonds chez les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et personnes de genre variant de tout âge qui en sont victimes. A tel point que les mécanismes onusiens de lutte contre la torture ont jugé que ces pratiques pouvaient être assimilées à des actes de torture ou à des traitements cruels inhumains ou dégradants.

L’Expert indépendant a pour rôle non seulement de poser des constats mais aussi de conseiller les États au sujet de mesures correctives à prendre. Et, eu égard aux souffrances que les thérapies de conversion engendrent, M. Madrigal-Borloz recommande explicitement aux États d’interdire ces pratiques, en abrogeant les lois qui les autorisent de même que celles qui criminalisent la diversité d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Il recommande aussi de prendre des mesures urgentes pour protéger les enfants et les jeunes.

La lutte contre les thérapies de conversion

De fait, on sent une accélération dans les efforts contre les thérapies de conversion depuis quelques années, avec notamment les interdictions prononcées par les parlements du Canada et de la France, en 2021, après des démarches similaires en Allemagne et en Albanie, par exemple.

En Suisse, les cantons de Vaud et Genève ont récemment lancé des initiatives allant dans le même sens, parallèlement au dépôt de deux initiatives devant la chambre basse du Parlement fédéral.

Cela dit, l’Expert indépendant met en garde contre certaines tentatives « non seulement de ne pas interdire les thérapies de conversion, mais même de les promouvoir par l’État ». Ainsi le Ghana envisage-t-il d’adopter une loi punissant de cinq ans de prison toute personne soupçonnée d’être LGBT+ et autorisant explicitement les thérapies de conversion. 

Avec neuf autres experts des droits de l’homme, Victor Madrigal-Borloz a écrit au chef de l’État pour le rendre attentif au fait que la loi constituait « une rupture fondamentale avec les obligations internationales de l’État » et, de manière importante, pour lui donner « des exemples des effets pernicieux que la loi aurait sur les personnes vivant au Ghana – y compris les souffrances inimaginables dues aux thérapies de conversion ».

M. Madrigal-Borloz indique qu’il continuera de travailler sur la question des thérapies de conversion. En particulier, indique-t-il, il importera de faire prendre conscience aux organisations religieuses qu’il faut condamner sans équivoque ces thérapies.

Il poursuit jusqu’en 2023 ses travaux sur l’élimination de la violence et de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

Il juge positif qu’une coalition de pas moins de 1.327 organisations dans 161 pays ait appuyé le renouvellement de son mandat, en 2021, et que seule une minorité d’États membres du Conseil s’y soient alors opposés.

« Le mandat doit continuer jusqu’au moment où on puisse dire, d’une façon objective, qu’il n’y a pas de discrimination ni de violence fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Évidemment, il s’agit là d’un programme – je ne suis pas sûr que je le verrai dans ma vie. Mais on avance de manière décidée », conclut l’Expert indépendant.

NOTE :

Le mandat de l'Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre compte parmi les quarante-cinq « procédures spéciales » nommées par le Conseil des droits de l’homme pour l’aider à accomplir ses tâches dans des domaines aussi divers que la défense des droits des personnes d’ascendance africaine, la lutte contre la discrimination envers les femmes et les filles, ou encore les droits des migrants et la lutte contre l’extrême pauvreté. Les titulaires des mandats – Rapporteurs spéciaux, Experts indépendants et membres de groupes de travail, considérés comme « les yeux et les oreilles » du Conseil – rendent compte de la situation des droits de l’homme et donnent des conseils en la matière du point de vue d’un thème ou d’un pays particulier. Ils ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire.