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Afghanistan : les Talibans tentent d’effacer les femmes de la vie publique, dénoncent des experts de l’ONU

Des femmes et des enfants attendent pour une consultation médicale dans une clinique à Kandahar, en Afghanistan.
© UNICEF/Alessio Romenzi
Des femmes et des enfants attendent pour une consultation médicale dans une clinique à Kandahar, en Afghanistan.

Afghanistan : les Talibans tentent d’effacer les femmes de la vie publique, dénoncent des experts de l’ONU

Femmes

Plus de cinq mois après leur prise du pouvoir, les Talibans continuent de s’activer pour effacer les Afghanes de l’espace public, ont alerté lundi une trentaine d’experts indépendants de l’ONU*, relevant que les femmes sont les cibles prioritaires de cette doctrine du nouveau régime de Kaboul.

« Aujourd’hui, nous assistons à une tentative d’effacer progressivement les femmes et les filles de la vie publique en Afghanistan, y compris dans les institutions et les mécanismes qui avaient été mis en place pour aider et protéger les femmes et les filles les plus exposées », ont déclaré les experts indépendants onusiens, en référence à la fermeture du ministère de la Condition féminine et à l’occupation physique des locaux de la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan.

Depuis leur arrivée au pouvoir, les nouveaux dirigeants afghans « institutionnalisent » la discrimination et la violence sexiste à grande échelle et de manière systématique contre les femmes et les filles.

« Nous sommes préoccupés par les efforts continus et systématiques visant à exclure les femmes des sphères sociales, économiques et politiques dans tout le pays », a affirmé dans un communiqué ces experts, dont des membres du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes, la Présidente du Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, et Reem Alsalem, Rapporteure spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes.

Des politiques affectant la capacité des femmes à travailler, les enfonçant davantage dans la pauvreté

Plus largement, ces politiques d’exclusion et de discrimination sont appliquées par le biais d’une série de mesures telles que l’interdiction pour les femmes de reprendre leur travail et l’obligation pour un parent masculin de les accompagner dans les espaces publics. Les experts onusiens rappellent également l’interdiction pour les femmes d’utiliser seules les transports publics, ainsi que l’imposition d’un code vestimentaire strict aux femmes et aux filles.

« En plus de limiter fortement leur liberté de mouvement, d’expression et d’association, ainsi que leur participation aux affaires publiques et politiques, ces politiques ont également affecté la capacité des femmes à travailler et à gagner leur vie, les enfonçant davantage dans la pauvreté », ont indiqué les experts, ajoutant que « ces politiques, prises dans leur ensemble, constituent une punition collective des femmes et des filles, fondée sur des préjugés sexistes et des pratiques néfastes ».

Pour ces experts, il est gravement préoccupant de constater que le droit fondamental des femmes et des filles à l’enseignement secondaire et supérieur continue d’être bafoué, « sous prétexte que les femmes et les hommes doivent être séparés et que les étudiantes doivent respecter un code vestimentaire spécifique ». Ainsi, la grande majorité des écoles secondaires de filles restent fermées et la majorité des filles qui devraient fréquenter les classes 7 à 12 se voient refuser l’accès à l’école, uniquement en raison de leur sexe.

Des efforts visant à démanteler les systèmes conçus pour prévenir la violence sexiste

Par ailleurs, divers prestataires de services vitaux, et parfois salvateurs, soutenant les survivantes de violences sexistes ont fermé par crainte de représailles, tout comme de nombreux refuges pour femmes, avec des conséquences potentiellement fatales pour les nombreuses victimes ayant besoin de ces services.

D’autres efforts visant à démanteler les systèmes conçus pour prévenir et répondre à la violence sexiste ont notamment consisté à supprimer les tribunaux spécialisés et les unités de poursuite chargées de faire appliquer la loi de 2009 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et à empêcher de nombreuses assistantes sociales de pouvoir exercer pleinement leur travail et aider d’autres femmes et filles.

Face à toutes ces mesures répressives et discriminatoires, les experts craignent un risque accru d’exploitation des femmes et des filles, notamment de traite à des fins de mariage d’enfants et de mariage forcé, d’exploitation sexuelle et de travail forcé.

Beaucoup de femmes militantes ou juges contraintes de quitter l’Afghanistan

D’une manière générale, si ces mesures ont touché les femmes et les jeunes filles de toutes les sphères de la vie, cette répression vise particulièrement les militantes et dirigeantes de la société civile, les femmes juges et procureurs, les femmes membres des forces de sécurité, les femmes anciens fonctionnaires et les femmes journalistes. Elles toutes été considérablement exposées au harcèlement, aux menaces de violence et parfois à la violence, et pour lesquelles l’espace civique a été gravement érodé.

Beaucoup ont été contraintes de quitter le pays en conséquence. « Des informations font état de manifestants pacifiques souvent battus, maltraités, menacés et, dans des cas confirmés, détenus arbitrairement », ont souligné les experts, relevant la vulnérabilité des femmes issues de minorités ethniques, religieuses ou linguistiques telles que les Hazara, les Tadjiks, les Hindous et d’autres communautés dont les différences ou la visibilité les rendent encore plus vulnérables en Afghanistan.

Plus globalement, s’ils ont réitéré leur appel pour une intensification de l’aide humanitaire, les experts indépendants onusiens invitent la communauté internationale à tenir les autorités de facto responsables des violations continues des droits de la moitié de la société afghane. Il s’agit surtout de veiller à ce que les restrictions aux droits fondamentaux des femmes et des filles soient immédiatement levées.

*Les experts sont : Reem Alsalem, Rapporteure spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences ; Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction ; Siobhán Mullally, Rapporteure spéciale sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ; Pedro Arrojo Agudo Rapporteur spécial sur les droits de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement ; Morris Tidball-Binz, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ; Gerard Quinn, Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées ; Michael Fakhri, Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation ; Olivier De Schutter, Rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme ; Sorcha MacLeod (Présidente-Rapporteure), Jelena Aparac, Ravindran Daniel, Chris Kwaja, du Groupe de travail sur l'utilisation de mercenaires; Clément Nyaletsossi Voule, Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association ; Saad Alfarargi, Rapporteur spécial sur le droit au développement ; Fernand de Varennes, Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités ; Tomoya Obokata, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d'esclavage, y compris ses causes et ses conséquences ; Irene Khan ; Rapporteure spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression ; Livingstone Sewanyana, Expert indépendant sur la promotion d'un ordre international démocratique et équitable ; Cecilia Jimenez-Damary, Rapporteure spéciale sur les droits de l'homme des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays ; Mama Fatima Singhateh, Rapporteure spéciale sur la vente d'enfants ; Mary Lawlor, Rapporteure spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme ; Melissa Upreti (Présidente), Dorothy Estrada Tanck (Vice-Présidente), Elizabeth Broderick, Ivana Radačić et Meskerem Geset Techane, du Groupe de travail sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles ; Elina Steinerte (Présidente-Rapporteure), Miriam Estrada-Castillo (Vice-Présidente), Leigh Toomey, Mumba Malila, Priya Gopalan, du Groupe de travail sur la détention arbitraire ; Gladys Acosta Vargas, Présidente du Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ; Alexandra Xanthaki, Rapporteure spéciale dans le domaine des droits culturels ; Tlaleng Mofokeng, Rapporteure spéciale sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d'être atteint ; Koumba Boly Barry, Rapporteure spéciale sur le droit à l'éducation ; E. Tendayi Achiume, Rapporteure spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.

NOTE :

Les Rapporteurs spéciaux et les groupes de travail font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand organe d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations Unies, est le nom général des mécanismes indépendants d'enquête et de surveillance du Conseil qui traitent soit des situations nationales spécifiques, soit des questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel de l'ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.