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Image de Llano Grande, un village où les accords de paix colombiens facilitent la réintégration.

La famille de Llano Grande, un exemple qui illustre que la paix est possible en Colombie

UNMVC/Esteban Vanegas
Image de Llano Grande, un village où les accords de paix colombiens facilitent la réintégration.

La famille de Llano Grande, un exemple qui illustre que la paix est possible en Colombie

Paix et sécurité

À l'occasion du cinquième anniversaire de la signature des accords de paix qui ont mis fin à plus de 50 ans de conflit en Colombie, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, se rendra dans le pays et visitera notamment le village de Llano Grande.

Ce petit village est un exemple de la manière dont la paix et la réconciliation sont possibles, à tel point que d'anciens ennemis se considèrent désormais comme « une seule famille ». ONU Info s’est rendu sur place pour découvrir ce que le chef de l'ONU va y trouver. 

La guerre, c'est une famille brisée. La paix, c'est quand cette même famille décide d'aller voir un psychologue. La guérison de vieilles blessures nécessite beaucoup d'accompagnement dans la thérapie de réconciliation.

« Famille Llano Grande », peut-on lire sur une fresque à l'entrée d'un village colombien où cohabitent anciens combattants, paysans, soldats et policiers. Une image impensable il y a seulement cinq ans, lorsque les accords de paix de La Havane ont été signés, mettant fin au conflit entre l'État et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC EP).

Tous se considèrent aujourd'hui comme les victimes d'un conflit qui a duré... trop longtemps, mais tous se considèrent désormais comme une seule famille, que les Nations Unies accompagnent dans une thérapie de réconciliation.

Un soldat sur la colline où se trouve Llano Grande.
UNMVC/Esteban Vanegas
Un soldat sur la colline où se trouve Llano Grande.

La paix « a apporté de nombreux avantages pour les paysans, pour les communautés, pour les forces de sécurité. Surtout, pour la famille Llano Grande. Nous prenons soin les uns des autres, nous nous réunissons, nous voyons comment nous pouvons nous entraider », déclare un membre du petit contingent de l'armée, stationné sur le flanc de la montagne où se trouve Llano Grande, qui préfère ne pas donner son nom pour ce reportage.

« Ah oui, nous sommes une famille maintenant », dit Luzmila Segura, qui a 67 ans et raconte comment, pendant le conflit, de nombreux matins, elle se réveillait dans la brousse, pleine de peur.

« On voyait les gens armés arriver. Oh, mon Dieu, quelle peur ! Qu'est-ce que tu vas faire, ils vont venir et nous tuer. J'avais une petite cabane là-bas, une petite maison, et les gens armés sont entrés et même les bottes que j'avais, ils ont mis le feu à tout ça, ils ont tout brûlé, et de là je suis allée au village », se souvient Luzmila, qui travaille dans la nouvelle usine d'arepas mise en place avec l'aide de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

« Maintenant, je suis très heureuse parce qu'ils m'ont donné la maison. Maintenant c'est très paisible, très agréable. Il y a des ex-combattants et nous travaillons ensemble comme une famille. La paix a aidé et jusqu'à présent tout va bien. Tout le monde est uni. La peur a disparu », dit-elle en souriant.

Luzmila Segura est l'une des victimes du conflit en Colombie. Aujourd'hui, grâce aux accords de paix, elle a le sentiment de ne plus avoir peur. 

Luzmila, agricultrice et victime du conflit, se tient devant sa maison qui a été reconstruite après le processus de paix en Colombie.
UNMVC/Esteban Vanegas
Luzmila, agricultrice et victime du conflit, se tient devant sa maison qui a été reconstruite après le processus de paix en Colombie.


Carmen Tulia Cardona Tuberque, qui dirige l'usine d'arepas où travaille Luzmila, préfère ne parler que du présent car elle trouve le passé trop douloureux, avec une histoire personnelle qu'elle refuse de raconter, mais qui inclut un mari tué dans le conflit, ainsi qu’une histoire collective marqué par le grand nombre de personnes qui ont été déplacées de Llano Grande.

« Je pense que c'est une communauté qui, malgré les nombreuses difficultés qu'elle a traversées, voit aujourd'hui tout le monde travailler ensemble pour la même cause : la paix. On n'aurait jamais pensé que cela arriverait (...) Nous, ici, en tant que communauté, nous nous soutenons les uns les autres, car beaucoup d'harmonie en dépend », réfléchit Carmen.

Ses yeux fixés sur l'horizon s’illuminent lorsqu'elle raconte que de nombreuses personnes déplacées reviennent à Llano Grande. « C'est quelque chose qui vous motive beaucoup ».

Jairo Puerta Peña, un ex-combattant qui a rejoint les FARC à l'âge de 14 ans « il y a environ 45 ans » et qui suit aujourd'hui une formation de maçon en bâtiment, se sent lui aussi membre de la famille.

« Nous avons tous les mêmes objectifs, vivre mieux, travailler en toute sérénité », partage-t-il.

Jairo Puerta Peña, ancien combattant des FARC-EP, après son cours de formation dans le secteur de la construction.
UNMVC/Esteban Vanegas
Jairo Puerta Peña, ancien combattant des FARC-EP, après son cours de formation dans le secteur de la construction.


À la sortie de son cours de formation matinal, Jairo raconte comment sa vie a changé au cours de ces cinq années.

« La vie pendant la guerre était toujours de marcher, de rencontrer, de parler à la population, d'étudier et de former les troupes parce que nous devions faire face à l'ennemi pour ne pas le laisser nous tuer. Après les accords de paix, la vie a été plus calme. La paix pour être avec la famille, pour dormir, pour manger, pour travailler (...) Nous n'entendons plus les coups de feu, les bombes ou les hélicoptères transportant des troupes », explique-t-il.

Efrain Zapata, ancien combattant des FARC-EP, travaille aujourd'hui dans un atelier de confection.
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Son compagnon d'armes Efraím Zapata Jaramillo avait 21 ans lorsqu'il a quitté son emploi dans le bâtiment à Medellín pour « partir dans la brousse » avec les FARC dans le département de Caquetá. Il explique comment il est passé d’être dans la brousse avec un fusil « dans la lutte », à se réintégrer dans la société et pouvoir avoir un niveau de vie normal, comme tout autre Colombien.

« Tous ici, ex-combattants, non-combattants, police et armée, nous sommes une seule famille qui lutte pour la paix afin d'aller de l'avant et de ne pas reprendre les armes et que notre arme soit la parole, non seulement pour défendre nos droits mais aussi ceux du peuple colombien, en particulier des paysans qui sont tellement abandonnés par l'État », dit-il, assis devant la machine à coudre sur laquelle il confectionne désormais des vêtements pour la communauté, grâce au matériel fourni par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Ancienne paysanne, Monica Astrid Oquendo travaille aujourd'hui comme couturière dans un atelier de confection créé à Llano Grande pour faciliter la réintégration des anciens guérilleros des FARC-EP.
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Assise à côté de lui dans l'atelier de couture, se trouve Monica Astrid Oquendo, une jeune paysanne à qui les accords de paix ont apporté de nombreuses compétences qui ont beaucoup profité à la communauté.

« Nous sommes comme une famille parce que nous partageons les idées, nous partageons le travail... », dit-elle, un mètre de tailleur autour du cou et excitée par les sweat-shirts, les polos et les combinaisons qui sortent déjà de son atelier ainsi que les futurs coupe-vent qu'elle veut vendre dans toute la vallée et au-delà, pour protéger ceux qui roulent à moto du soleil, de la pluie et du froid.

Construire une famille : l'exemple de Mariela López, l'institutrice du village

Lorsqu'il a été annoncé que 117 ex-combattants allaient être transférés à Llano Grande pour y être réintégrés, Mariela López, enseignante à l'école du village, a eu peur mais elle n'a pas eu de doutes.

« Le premier jour, je les ai revus et je suis partie. Je suis allée au village et là, je me suis assise, j'ai pleuré et j'ai dit : ‘Comment puis-je parler de paix si je n'ai pas pardonné ? Mais si je ne pardonne pas, alors c'est moi qui me fais du mal’. Et je me suis dit que je ne veux pas qu'une famille en Colombie vive ce que j'ai vécu, et qu’à partir d'aujourd'hui, je vais contribuer autant que je le peux au processus de paix et à la réconciliation à Llano Grande », raconte-t-elle.

Après avoir rencontré les ex-combattants, elle a changé d'opinion à leur sujet. « Nous pensions, et pas seulement moi, que les ex-combattants étaient des gens agressifs - à cause de ce que nous avions vécu. Mais, après leur arrivée, je pense maintenant qu'ils ne sont pas si mauvais et, je m'excuse pour ce que je vais dire, je pense que beaucoup d'entre eux sont aussi des victimes ».

L’accompagnement de l'ONU

Situé dans le département colombien d'Antioquia, Llano Grande est un village de 150 habitants qui possède l'un des Espaces territoriaux de formation et de réincorporation, des sites où la réintégration des ex-combattants dans la société civile est facilitée tout en bénéficiant aux communautés environnantes. Il est situé sur un terrain qui a été acheté et remis aux ex-combattants dans la municipalité de Dabeiba. 

On estime que 80% de la population d'Antioquia a été victime du conflit armé. Historiquement, la région a servi de bastion à de nombreux groupes armés qui ont été renforcés par des économies illégales (exploitation minière illégale, culture et transformation de la coca).  

Comme en témoignent Luzmila, Carmen, Jairo, Efraím, Mónica et Mariela, la paix a de mulitples aspects : tranquillité, confiance, réconciliation, réintégration, pardon, travail, harmonie... 

Au cours des cinq dernières années, depuis la mise en œuvre des accords de paix, la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie et diverses agences de l'ONU, ont accompagné la famille de Llano Grande, afin de permettre à ces mots de prendre racine.

Pour Jairo Puerta Peña, cet accompagnement de l'ONU a été fondamental « parce qu'il a empêché le gouvernement colombien de faire ce qu'il voulait avec les accords » ; pour Luzmila Segura, parce que « la communauté lui a donné sa nouvelle maison » ; pour Carmen Cardona, parce qu'elle a démarré sa fabrique d'arepas ; pour Efraím Zapata et Mónica Oquendo, parce qu'elle a apporté les machines, les formations et les murs de leur atelier de couture ; pour Mariela, parce qu'elle a fourni les programmes de musique, les ordinateurs et les pupitres pour les enfants de son école ; et pour beaucoup d'autres parce qu'elle a contribué à différents projets.

Au total, avec le soutien de l'ONU, une quinzaine de projets ont été mis en place, allant de la fabrication de savon à la pisciculture, en passant par l'éducation, la confection de vêtements, l'alimentation, l'élevage et l'agriculture.

Une image du quotidien à Llano Grande, à Dabeiba, en Colombie.
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Une image du quotidien à Llano Grande, à Dabeiba, en Colombie.

Des promesses non tenues

Mais le chemin de la paix n'est pas en ligne droite. Il est aussi tortueux que les sentiers autour des montagnes vertes de Llano Grande et il y a des promesses qui doivent encore être tenues.

Efraím et Jairo soulignent tous deux que « certaines choses se sont accomplies et d'autres non ». Tous deux font référence à certains points encore non satisfaits par le gouvernement en matière de logement, de terres et de nourriture.

En outre, de nombreux projets de Llano Grande sont restés au point mort en raison d'un manque de fonds ou de suivi technique, voire d'un manque d'engagement de la part des ex-combattants eux-mêmes. Depuis avril 2021, on constate des retards et des réductions persistants dans l'approvisionnement en nourriture, ce qui provoque un malaise et des doutes quant à la viabilité à long terme de l'espace.

Llano Grande n'est pas une exception, mais ce n'est pas non plus la norme. Il existe d'autres communautés similaires à Llano Grande à Antioquia, mais ailleurs, beaucoup reste à faire.

Dans la municipalité pas trop éloignée d'Apartadó, lieu choisi par le gouvernement pour organiser un événement commémorant le cinquième anniversaire des accords de paix, auquel António Guterres sera présent, la mairie a commencé la construction d'une route « essentielle pour relier les zones rurales (où se trouvent les ex-combattants) à la ville », mais elle ne dispose pas actuellement des ressources nécessaires pour la terminer.

Certains membres de la municipalité affirment que, bien qu'il n'y ait pas de conflit entre les ex-combattants, les civils, les militaires et les paramilitaires, il n'y a pas non plus de réconciliation : « chacun fait sa propre chose sans interférer avec l'autre ».

Dans le même département d'Antioquia, le bureau du médiateur a émis 31 alertes liées à des homicides, des attaques, des menaces, des déplacements et la stigmatisation d'anciens combattants. Depuis 2017, le département a enregistré 30 homicides et quatre disparitions, très majoritairement d'hommes.

Enfin, dans d'autres régions de la Colombie, comme le département de Chocó, la situation est plus grave et le Bureau des droits de l'homme des Nations Unies a déclaré jeudi que la situation était « alarmante » car de « graves violations » sont commises.

A l‘instar du recrutement d'enfants, de mineurs qui se suicident, de victimes de violences sexuelles et de plus de 5.000 personnes qui ont été déplacées par les violences depuis le début de l'année dans ce département, alors que plus de 30.000 sont confinées.