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L’année de la pandémie est marquée par une hausse de la faim dans le monde

La sécheresse et la pauvreté ont entraîné une grave famine dans le sud de Madagascar.
© PAM/Tsiory Andriantsoarana
La sécheresse et la pauvreté ont entraîné une grave famine dans le sud de Madagascar.

L’année de la pandémie est marquée par une hausse de la faim dans le monde

Aide humanitaire

La faim dans le monde s'est considérablement aggravée en 2020, ont déclaré lundi les Nations Unies dans un nouveau rapport. Une aggravation qui est probablement liée en grande partie aux répercussions de la pandémie de Covid-19. 

Le rapport a été publié conjointement par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA), l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF).

Dans un entretien accordé à ONU Info, Dominique Burgeon, Directeur du Bureau de la FAO à Genève, explique que la situation est très sérieuse : « Je pense qu'il faut effectivement tirer la sonnette d'alarme, la situation est, en effet, très sérieuse. Et ce qui est clair, c'est que même avant la pandémie de la Covid-19, nous n’étions déjà pas en bonne voie pour éliminer la faim et la malnutrition sous toute ses formes d’ici 2030. Et ce qui est clair, c'est que la pandémie a rendu cet objectif plus difficile »

Le rapport intitulé L'État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde indique que déjà au milieu des années 2010, la faim avait commencé à gagner du terrain, brisant l'espoir d'un déclin irréversible. En 2020, la faim a connu une poussée tant en chiffres absolus qu'en pourcentage, dépassant l'accroissement de la population : on estime que 9,9% environ de la population était en situation de sous-alimentation en 2020, contre 8,4% en 2019. 

Les petits agriculteurs de Tanzanie reçoivent un soutien pour améliorer la sécurité alimentaire face à la pandémie de COVID-19.
FIDA/Joanne Levitan
Les petits agriculteurs de Tanzanie reçoivent un soutien pour améliorer la sécurité alimentaire face à la pandémie de COVID-19.

L’Afrique, le pays le plus touché 

Plus de la moitié du nombre total de personnes sous-alimentées se trouve en Asie (418 millions de personnes) ; plus d'un tiers (282 millions) en Afrique ; et une proportion plus faible (60 millions) en Amérique latine et dans les Caraïbes. 

Toutefois, c'est l'Afrique qui a connu la plus forte poussée de la faim, avec une prévalence de la sous-alimentation estimée à 21% de la population, une proportion qui est plus du double de celle de toutes les autres régions. « Une personne sur cinq qui a été confrontée à la faim, donc à la sous-alimentation en 2020, vivait en Afrique », a indiqué Dominique Burgeon.

Les autres chiffres eux aussi dessinent une année 2020 bien sombre. Au total, plus de 2,3 milliards de personnes (soit 30% de la population mondiale) n'avaient pas accès toute l'année à une alimentation adéquate. 

De plus, les inégalités entre femmes et hommes se sont creusées : pour 10 hommes en situation d'insécurité alimentaire en 2020, on comptait 11 femmes dans la même situation. « Et de nouveau c'est lié à la pandémie », a expliqué Dominique Burgeon. « Les femmes continuent à devoir s'occuper de leur ménage dans des conditions qui sont rendues beaucoup plus difficiles par la situation de la pandémie, tant en matière d'accès à des vivres de qualité qu’à des quantités suffisantes d’aliments. Donc tout cela a exacerbé les tendances et compliquer davantage la situation des femmes en particulier ». 

La malnutrition a persisté sous toutes ses formes, les enfants payant un lourd tribut : on estime qu’en 2020, plus de 149 millions d'enfants de moins de 5 ans présentaient un retard de croissance, à savoir qu'ils étaient trop petits pour leur âge ; plus de 45 millions souffraient d'émaciation, à savoir qu'ils étaient d'un poids insuffisant par rapport à leur taille ; et près de 39 millions étaient en surpoids.

Ce sont trois milliards d'adultes et d'enfants qui demeurent exclus d'une alimentation saine, en grande partie à cause de coûts excessifs. Près d'un tiers des femmes en âge de procréer souffrent d'anémie. À l'échelle mondiale, malgré les progrès obtenus dans certains domaines - un plus grand nombre de tout jeunes enfants, par exemple, sont nourris exclusivement au sein - le monde n'est en voie d'atteindre les cibles fixées pour 2030 pour aucun des indicateurs de nutrition. 

Le conflit dans la province de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, a provoqué une crise humanitaire.
© WFP/Grant Lee Neuenburg
Le conflit dans la province de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, a provoqué une crise humanitaire.

Les autres facteurs de la faim et de la malnutrition

Dans de nombreuses régions du monde, la pandémie a provoqué des récessions brutales et compromis l'accès à la nourriture. Toutefois, même avant la pandémie la faim se répandait ; et les progrès au plan de la malnutrition prenaient du retard. On l'a surtout constaté dans les pays touchés par un conflit, par des phénomènes climatiques extrêmes ou par des fléchissements économiques, ou qui sont confrontés à de grandes inégalités - autant de situations qui constituent selon le rapport de grands facteurs d'insécurité alimentaire, lesquels, qui plus est, agissent les uns sur les autres

Selon le rapport, si l'évolution actuelle se poursuit, l'Objectif de développement durable 2 (Faim zéro d'ici à 2030) - sera manqué de près de 660 millions de personnes. Sur ces 660 millions, quelque 30 millions pourraient résulter des effets prolongés de la pandémie. 

« Je pense qu'il est très clair que nous ne sommes pas sur la bonne voie », indique Dominique Burgeon. « Quand on a observé qu'il y avait pour la première fois une nouvelle augmentation du nombre de personnes en sous-alimentation, donc dans des situations de faim, on croyait que c'était un événement unique. Malheureusement, c'est devenu une tendance au cours des dernières années. Et donc nous ne sommes certainement pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs visant effectivement à éradiquer la faim et toutes les formes de malnutrition ».

ONU Info/Florence Westergard
L’état de la sécurité alimentaire dans le monde est sérieux

Six voies à suivre pour transformer les systèmes alimentaires 

Le rapport énonce six voies à suivre pour transformer les systèmes alimentaires. Ces voies reposent sur « un ensemble cohérent de portefeuilles de politiques et d'investissements » propres à contrecarrer les effets des facteurs de la faim et de la malnutrition. 

Pour Dominique Burgeon, il n’y a pas une solution mais des solutions. « Et ce qui est intéressant c’est que toutes les agences qui ont travaillé à la réalisation de ce rapport, se sont appuyées sur les analyses - qui ont été faites au cours des dernières années et ont utilisé les causes profondes de cette détérioration de la sécurité alimentaire, qu'on a observée au cours des dernières années et qui s’est accélérée du fait de la pandémie, pour identifier six pistes qui permettraient de transformer les systèmes alimentaires pour les rendre plus résilients plus durables, plus efficaces et plus inclusifs ». 

  1. Intégrer les politiques d'aide humanitaire, de développement et de consolidation de la paix dans les zones touchées par des conflits ;
  2. Renforcer la résilience face aux changements climatiques sur l'ensemble du système alimentaire ;
  3. Renforcer la résilience des plus vulnérables face à l'adversité économique ;
  4. Intervenir tout le long de la chaîne d'approvisionnement alimentaire pour réduire les coûts d’une alimentation saine ; 
  5. S'attaquer à la pauvreté et aux inégalités structurelles ;
  6. Renforcer l'environnement alimentaire et faire évoluer le comportement des consommateurs

Dominique Burgeon rappelle qu’il n’y a pas une seule recette. « Ce que ce rapport met en évidence, c'est qu'il faut que nous travaillions en appui aux pays pour leur permettre finalement d'avoir une bonne analyse complète de la situation qui leur permette d'utiliser de la meilleure façon ces pistes. Mais aussi de faire le lien avec les autres systèmes tels que les systèmes de santé et les systèmes éducationnels, pour effectivement pouvoir travailler sur tous ces moteurs », a-t-il ajouté. 

« Ce qu’il faut faire, c’est s'appuyer notamment sur les principaux événements qui vont avoir lieu dans les prochains mois, notamment le Sommet sur les systèmes alimentaires, mais aussi le Sommet sur la nutrition qui se tiendra, à Tokyo dans les prochains mois, pour mobiliser les énergies politiques à tous les niveaux, pour pouvoir mettre en œuvre des analyses, puis des solutions, afin de mettre en place des portefeuilles cohérents de politiques et d'investissements qui nous permettraient de renverser cette tendance, et au strict minimum de continuer à œuvrer à l'échelle mondiale pour tendre au moins à cet objectif Faim zéro en 2030 », a-t-il conclu.