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30 kilomètres à l’heure en ville : il faut limiter la vitesse sur les routes partagées pour une meilleure sécurité 

Des personnes attendent un changement de feu à un passage pour piétons à San Francisco, aux États-Unis.
Unsplash/Yoel J Gonzalez
Des personnes attendent un changement de feu à un passage pour piétons à San Francisco, aux États-Unis.

30 kilomètres à l’heure en ville : il faut limiter la vitesse sur les routes partagées pour une meilleure sécurité 

Développement durable (ODD)

Trouver des façons pour que piétons, cyclistes et véhicules motorisés se partagent la route en toute sécurité est l’une des priorités de la sixième Semaine mondiale de la sécurité routière des Nations Unies qui se tient jusqu’au 23 mai.

« Streets for Life #Love30 » est le thème de cette édition 2021, qui fait campagne pour des limitations de vitesse à 30 km/h dans les rues des villes où les habitants vivent, marchent et jouent, et où cyclistes et piétons se mélangent au trafic. 

Il existe un consensus mondial sur les avantages des zones limitées à 30 km/h : elles protègent l’ensemble des usagers de la route, diminuent le nombre de morts et de blessés dans des accidents de la circulation et aident à atteindre les Objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies. 

Depuis 2015, Jean Todt est l’Envoyé spécial pour la sécurité routière et Président de la Fédération internationale de l’Automobile. En tant qu’Envoyé spécial, il recherche un engagement politique constant en faveur de la sécurité routière et sensibilise l’opinion publique aux questions relatives à la sécurité routière

Dans un entretien avec ONU info, il revient sur la Semaine de la sécurité routière et explique qu’il faut faire évoluer la mentalité des utilisateurs de la route.

Jean Todt, l'Envoyé spécial du Secrétaire général pour la sécurité routière, lors d'un entretien avec ONU Info.
Photo ONU Info/Jérôme Longué
Jean Todt, l'Envoyé spécial du Secrétaire général pour la sécurité routière, lors d'un entretien avec ONU Info.

ONU Info : Quel est l’impact de la Covid-19 sur la sécurité routière ? Y-a-t-il eu une diminution des accidents de la route pendant cette période ? 

Jean Todt : Effectivement, on pourrait dire qu'il y a des points communs avec la Covid et puis sûrement également des enseignements à en tirer. Depuis une quinzaine de mois, c'est vrai que pendant les périodes de confinement, en fonction des pays, la circulation a nettement diminué. Donc le nombre d’accidents sur les routes a diminué. Mais le type d'accidents a changé aussi dans la mesure où avec moins de voitures, certains utilisateurs de la route ont parfois considéré que c'était un peu la liberté retrouvée, qu’on pouvait se laisser aller. Et il y a eu un certain nombre d'accidents qui était dû à une augmentation de la vitesse justement.

La Covid-19 a tué plus de 3,3 millions personnes et ces chiffres ne cessent d'augmenter. Tous les ans sur les routes dans le monde, il y a environ 1,4 million de morts. Il y a en plus les blessés. On parle entre 30 et 50 millions de blessés qui ensuite portent des séquelles suite à ces accidents. Et contrairement à la Covid, la route est la cause numéro un de décès et de blessures pour les jeunes entre 5 et 29 ans, alors que la Covid a principalement atteint des personnes d'un certain âge qui étaient également atteintes d'autres syndromes. 

La route est la cause numéro un de décès et de blessures pour les jeunes entre 5 et 29 ans

Et donc là, il y a une différence en matière de vulnérabilité. Et là aussi, peut-être il y a une comparaison à faire : on est content parce que des vaccins sont arrivés. Et on sait que c'est un passage indispensable pour pouvoir améliorer la situation. Alors que sur la route, on a déjà le vaccin. C'est l'éducation. C'est l'application des lois, c'est la qualité des véhicules, la qualité des routes, la qualité des secours après les accidents. Et là aussi, des gestes ou des actions extrêmement simples, comme attacher sa ceinture de sécurité à l'avant comme à l'arrière, mettre un casque homologué lorsqu'on conduit un deux-roues, qu'on soit conducteur ou passager. Le respect de la vitesse, l'utilisation du téléphone en conduisant, l'utilisation ou la prise d'alcool ou de drogues en conduisant, tout ceci a un effet énorme lorsqu’on est un utilisateur de la route.

Donc cette Semaine pour la sécurité routière est absolument essentielle pour pouvoir parler de ce fléau et s’engager par rapport à ce fléau. 

Un homme traverse la New York Avenue en pleine heure de pointe à Washington DC, le 3 septembre 2020.
IMF/Cory Hancock
Un homme traverse la New York Avenue en pleine heure de pointe à Washington DC, le 3 septembre 2020.

ONU Info : En quoi consiste la campagne ‘Les routes pour la vie’ ? 

Jean Todt : Il y a plus de 50% de la population qui maintenant vit autour des villes. Donc il y a beaucoup d'accidents dans les villes. Là je suis à mon bureau et devant moi j'ai la place de la Concorde (à Paris) et je vois des vélos, je vois des voitures, je vois des véhicules utilitaires, je vois des patinettes et je vois des piétons. Et donc il y a tout ce mélange. Et c'est pour ça que l’idée de la campagne, le thème de la campagne, c'est 30 km/heure en ville. Cela peut paraître extrêmement faible comme vitesse, mais lorsqu'il y a un environnement avec des piétons, avec des enfants, il faut être capable de s'arrêter immédiatement. C'est pour ça que lorsqu’il y a beaucoup d'animation, beaucoup de présence physique, il faut réduire la vitesse. C’est absolument capital. On sait que 10 kilomètres d’écart peuvent avoir des conséquences énormes sur les victimes. Malheureusement, un choc à plus de 60 km/heure, c'est pratiquement irréversible lorsqu’il y a un impact avec un être humain. Alors qu'un choc à 30 km/heure, l'impact est fondamentalement différent. 

Circulation dans les rues de Katmandou, au Népal. Photo (archives): Banque mondiale/Simone D. McCourtie
Circulation dans les rues de Katmandou, au Népal. Photo (archives): Banque mondiale/Simone D. McCourtie

ONU Info : Que dites-vous aux personnes qui sont sceptiques de cette limitation à 30 km/heure ? Certains disent que cela augmente la durée du trajet ou que cela ne fait pas de différence.

Jean Todt : Je crois que c'est une très bonne question parce qu’il y a un facteur éducatif. Il faut expliquer. Si vous dites sans expliquer, roulons à 30 kilomètres à l'heure sur les Champs Elysées, sans trafic. Et bien effectivement, on a du mal à comprendre. Et à la limite cela peut avoir d’autres effets, notamment à la somnolence où faire d'autres choses au lieu de conduire. Il faut être capable d'adapter en fonction de la situation. Si par contre vous leur expliquez que dans un environnement avec beaucoup d'animation et bien il faut réduire la vitesse lorsque vous êtes devant une sortie d'école avec des gamins et gamines qui sortent souvent sans faire attention, et bien je le répète, il faut être prêt à s'arrêter immédiatement. Donc, l'aspect éducatif est absolument essentiel.

Lorsqu'on est dans un environnement urbain, on est très souvent bloqué par le trafic, la congestion du trafic. A ce moment-là, ce n’est même pas un problème de vitesse. C'est de savoir combien de temps on va être bloqué surtout à des moments où beaucoup de gens arrivent en ville ou sortent de la ville. Ce n’est pas un aspect de vitesse si on perd beaucoup plus de temps. C'est pour ça que cette idée d'une vitesse modulable en fonction de la situation, en fonction des obstacles qui peuvent se présenter à vous, est absolument essentielle. 

Chaque année, environ 1,35 million de personnes perdent la vie à la suite d'un accident de la route.
OMS/T. Pietrasik
Chaque année, environ 1,35 million de personnes perdent la vie à la suite d'un accident de la route.

ONU Info : Pensez-vous que des rues urbaines à 30 km/heure peuvent garantir des villes sûres, saines, vertes et viables ? 

Jean Todt : Oui, absolument. C'est physique, c’est mathématique. Moins on va vite, moins le choc sera violent, Mais il faut être capable d'adapter sa vitesse en fonction de la situation dans laquelle vous vous déplacez. 

ONU Info : Est-ce que cela permet aussi de réaliser les objectifs de développement durable ? 

Jean Todt : Dans les objectifs de développement durable, il y a l’objectif 3. 6, qui est de diviser par deux le nombre de victimes entre 2020 et 2030. L'autre objectif de développement durable, c'est le 11. 2 qui est de permettre l'accès aux transports publics à chaque citoyen d'ici 2030. Si on parle du premier objectif et bien les pays développés ont obtenu des résultats sensationnels. Par exemple, en France, il y a 45 ans il y avait 18.000 morts sur les routes en France. Et 45 ans plus tard, en 2019, il y a eu 3.250 morts, avec trois fois plus de véhicules. Pourquoi ? Parce que justement, tous ces paramètres ont été en partie respectés. Mais on peut faire mieux. Si on parle de la Suisse par exemple, elle fait deux fois mieux que la France. Les pays scandinaves sont également nettement meilleurs que la France, la Grande-Bretagne. Donc, ça veut dire qu’un pays comme la France a progressé énormément, mais a encore une marge de progression importante.

Rue de Kampala en Ouganda
Banque mondiale/Sarah Farhat
Rue de Kampala en Ouganda

ONU Info : Que se passe-t-il pour les pays africains ? Est ce qu'il y a eu des progrès ? 

Jean Todt : Il y a eu quelques progrès, mais pas assez. Cela fait partie de notre engagement, ça fait partie de mon rôle également en tant qu’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la sécurité routière de manière à engager les États, engager la société en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine. Mieux adresser le programme et également parler de standards de sécurité minimum à mettre en œuvre. Ce n’est absolument pas normal que les voitures qui sont interdites justement dans les pays développés et bien continuent leur vie en Afrique, sans avoir des contrôles qui sont des contrôles indispensables. On travaille avec l'OMS (Organisation mondiale de la santé), on travaille avec le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement), on travaille avec les agences régionales pour changer cet état de fait. 

ONU Info/Florence Westergard
30 kilomètres à l’heure en ville : il faut limiter la vitesse sur les routes partagées

ONU Info : Quel est votre message sur l'importance d'adopter les 30 km/heure dans les villes ?

Jean Todt : Mon message est : on a le ‘vaccin’ donc il faut l'utiliser. Il faut que chaque citoyen se sente responsable. On parlait de l'Afrique, 45% des victimes en Afrique sont des piétons. Il y a des enfants. Dans ce magnifique petit film de 3 minutes sur YouTube fait par Luc Besson qui s'appelle Save Kids Lives, vous voyez le parcours, l'enfer pour des enfants, pour passer d'un côté à l'autre côté de la route. Donc ça doit changer. Et je suis très reconnaissant justement à mes différents collègues des différentes agences des Nations Unies, dont la Haut-Commissaire des droits de l'homme Michelle Bachelet qui dit que la sécurité routière fait bien partie des droits de l'homme.

Save Kids Lives - A film by Luc Besson

 

Cette Semaine de la sécurité routière est l'occasion de mettre la sécurité routière parmi les priorités dans les agendas des différents gouvernements mais également dans les agendas de tous les agents des Nations Unies ; de mobiliser également toutes les ONG qui sont tellement engagées pour adresser mieux la sécurité routière, les clubs d'utilisateurs de la route, les clubs automobiles. Il faut que tout le monde se sente responsable pour arriver à obtenir les résultats qui correspondent aux objectifs de développement durable, de diviser par deux le nombre de victimes d’ici 2030. 

La vitesse est un fléau qu'il faut contrôler. Si on veut faire de la vitesse, et bien on va comme sur un stade, on va sur un circuit adapté, sécurisé, avec des voitures ou des véhicules qui peuvent s’y prêter. Et là, on est sur un espace qui est adapté. Mais lorsqu’on est sur les routes, lorsqu'on est dans les villes, il faut être très respectueux des limitations de vitesse et il faut également qu'il y ait des forces de police qui soient là pour les faire appliquer. 

La vitesse est un fléau qu'il faut contrôler

Dans certains pays, on n'en a pas besoin parce qu’il y a eu une éducation qui fait qu’ils assurent cette responsabilité. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans beaucoup d'autres pays dans le monde. Il faut apprendre. C'est pour ça que les années qui vont venir sont capitales pour faire évoluer la mentalité des utilisateurs de la route.

ONU Info : Parce que la sécurité routière vraiment touche tout le monde, les enfants, les personnes âgées ? 

Jean Todt : Toute la population, parce qu’en fait, chaque citoyen est un utilisateur de la route. Donc tout le monde est engagé et c'est quelque chose qui doit nous unir et qui doit nous donner envie de progresser de manière à ne plus voir ces victimes.