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En réponse à la crise de la Covid-19, un expert indépendant de l'ONU en appelle à une Europe sociale plus ambitieuse

Un sans-abri dort dans un tunnel à Budapest, Hongrie.
Unsplash/Mihály Köles
Un sans-abri dort dans un tunnel à Budapest, Hongrie.

En réponse à la crise de la Covid-19, un expert indépendant de l'ONU en appelle à une Europe sociale plus ambitieuse

Droits de l'homme

A l’approche du Sommet social européen qui doit se tenir le 7 mai à Porto, au Portugal, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, a appelé l’Union européenne (UE) à être plus ambitieuse sur le plan social.

« Les effets dévastateurs de la pandémie de Covid-19 nous rappellent cruellement que l’Union européenne doit faire passer les vies humaines avant la course à la concurrence économique », a déclaré M. De Schutter dans un communiqué publié vendredi.

Le Sommet social de Porto doit adopter le Plan d’action sur le Socle européen des droits sociaux, le programme phare de l’UE de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale pour la prochaine décennie. Ce Plan d’action engage l'UE à réduire le nombre de personnes menacées de pauvreté et d'exclusion sociale de 15 millions d'ici à 2030, dont au moins 5 millions d'enfants.

« Avec plus de 90 millions de personnes et près de 20 millions d'enfants menacés de pauvreté ou d'exclusion sociale dans l'Union, ce nouvel objectif manque clairement d’ambition. Nous sommes loin de la promesse de 'zéro pauvreté' du premier Objectif du développement durable », a déploré M. De Schutter. « De surcroît, rien ne contraint les États membres de l'UE à respecter ces nouveaux engagements et aucun mécanisme ne permet d'obliger les gouvernements à rendre des comptes », a ajouté l'expert indépendant de l'ONU qui estime que l'UE doit demander à ses États membres d’élaborer des plans nationaux réalistes, transparents et responsables pour atteindre ces nouveaux objectifs.

Le Rapporteur spécial a rappelé que l'UE a réagi rapidement à la pandémie de Covid-19 en suspendant les règles budgétaires pour permettre aux États membres de dépenser au-delà des plafonds fixés par les traités, en accordant des milliards d'euros de prêts et de subventions dans le cadre de la facilité sur la relance et la résilience et les autres instruments de NextGenerationEU, et en faisant des propositions prometteuses en matière de droits des enfants et d'égalité des genres. « Mais si l’Europe veut aller au-delà de ces réponses immédiates à la crise et renforcer véritablement la résilience sociale, cela demeure insuffisant », a-t-il estimé.

« Cette réalité est inacceptable »

20,9% de la population, et 22,5% des enfants sont à risque de pauvreté et d'exclusion sociale dans l'UE. On estime que 700.000 personnes dorment à la rue chaque nuit et que 30,1% des personnes handicapées sont menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale en Europe.

Pour l’expert indépendant de l’ONU, « cette réalité est inacceptable ». « Il s’agit maintenant de s’assurer que les mesures prises pour réduire la pauvreté dans le contexte de la pandémie actuelle ne soient pas anéanties par des politiques économiques myopes qui donnent la priorité à la concurrence sociale et fiscale et qui imposent une stricte discipline budgétaire », a-t-il dit.

Selon M. De Schutter, c’est une « course institutionnalisée vers le bas » qui a lieu parmi les États membres de l’UE, ce qui conduit à une baisse des salaires et de la protection des travailleurs et travailleuses au nom de la compétitivité.

« Neuf millions de travailleurs vivent dans la pauvreté bien qu’ils aient un emploi, en raison de l'augmentation des formes de travail atypiques et parce que les salaires sont simplement trop bas », a-t-il déploré. « L’Union européenne doit s’attaquer à cette concurrence néfaste dans ses efforts de lutte contre la pauvreté et pour la protection des droits sociaux ».

Depuis 2009, les États membres de l’UE ont réduit leurs investissements en matière de protection sociale, de santé et d’éducation. « Résultat : ils n’étaient pas préparés à affronter la crise actuelle », a constaté le Rapporteur spécial. Jusqu’il y a peu, l’UE recommandait encore des coupes sombres dans les budgets sociaux au nom de l’orthodoxie budgétaire. « Bien que ces règles aient maintenant été assouplies, je crains que les pays qui décident aujourd’hui d’augmenter leurs investissements sociaux grâce aux nouveaux plans de relance soient punis par la suite, quand les règles sur les déficits maximums seront rétablies. Ce serait une défaite pour les droits sociaux » a-t-il déclaré.

Pour M. De Schutter, l'UE doit se saisir de la crise de la Covid-19 pour repenser ses règles économiques fondamentales. « Le Sommet social de Porto et la Déclaration à venir sont une occasion unique de générer un large consensus pour une stratégie de lutte contre la pauvreté à l'échelle de l'UE qui renforce les services publics, combat le sans-abrisme, s'attaque à la pauvreté au travail et instaure plus de justice fiscale », a-t-il souligné.

NOTE

Olivier De Schutter a effectué une visite officielle auprès des institutions de l'Union européenne du 25 novembre 2020 au 29 janvier 2021. Lisez ses conclusions et recommandations ici. Il présentera le rapport de cette visite lors de la 47ème session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies le 29 juin 2021.

M. De Schutter (Belgique) est le rapporteur spécial des Nations Unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme. Il a été nommé par le Conseil des droits de l'homme le 1er mai 2020. M. De Schutter est professeur de droit à l'UCLouvain et à Sciences Po (Paris). Il a été le Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation de 2008 à 2014, et membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de 2015 à 2020.

Les Rapporteurs spéciaux font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand organe d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations Unies, est le nom général des mécanismes indépendants d'enquête et de surveillance du Conseil qui traitent de situations spécifiques à des pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.