L'actualité mondiale Un regard humain

Un expert de l’ONU dénonce les « proportions épidémiques de la haine antimusulmane » dans le monde

Ahmed Shaheed, le Rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté de religion ou de croyance. Photo ONU/Jean-Marc Ferré
Ahmed Shaheed, le Rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté de religion ou de croyance. Photo ONU/Jean-Marc Ferré

Un expert de l’ONU dénonce les « proportions épidémiques de la haine antimusulmane » dans le monde

Droits de l'homme

La haine antimusulmane prend des proportions épidémiques, a fustigé, jeudi à Genève, un expert indépendant des Nations Unies, exhortant les États à agir face à « la discrimination islamophobe ».

« À la suite des attaques terroristes du 11 septembre et d’autres actes de terrorisme horribles prétendument perpétrés au nom de l’Islam, la suspicion institutionnelle à l’égard des musulmans et de ceux qui sont perçus comme tels a pris des proportions épidémiques », a déclaré Ahmed Shaheed, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion. 

S’adressant aux membres du Conseil des droits de l’homme, il a ajouté que « l’islamophobie construit autour des musulmans des représentations imaginaires ».

Un tel imaginaire « parrainé par l’État » est ainsi utilisé pour justifier « la discrimination, l’hostilité et la violence contre les musulmans ». « Cela a des conséquences dramatiques pour la jouissance des droits de l’homme, y compris la liberté de religion ou de conviction », a-t-il fait valoir. 

M. Shaheed a indiqué avoir reçu de nombreuses informations faisant état d’attaques contre des propriétés musulmanes, notamment des mosquées, des centres communautaires, des maisons familiales et des entreprises. Des bâtiments ont été ainsi profanés par « des graffitis offensants ou des carcasses d’animaux, comme une tête de cochon clouée à la porte d’une école géorgienne ». 

Des édifices souvent attaqués dans des pays occidentaux et en Inde

Pour l’expert indépendant onusien, de telles attaques ont été largement rapportées, notamment en Suisse, en Bosnie-Herzégovine, en Lettonie, en France, en Macédoine du Nord, en Grèce, en Norvège, aux États-Unis, au Sri Lanka et en Inde.

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, de nombreux États ont ainsi réagi aux menaces à la sécurité en adoptant des mesures qui ciblent de manière disproportionnée les musulmans. Ces derniers sont ainsi perçus comme étant « à la fois à haut risque et menacés de radicalisation ».

Les musulmans ont donc le sentiment d’être des « communautés suspectes », qui sont forcées de porter « la responsabilité collective des actions d’une petite minorité », a-t-il dit lors de la présentation de son rapport au Conseil.

D’une manière générale, M. Shaheed estime que les représentations négatives répandues de l’Islam, la peur des musulmans en général et les politiques de sécurité et de lutte contre le terrorisme ont servi à perpétuer, valider et normaliser la discrimination, l’hostilité et la violence envers les individus et les communautés musulmanes. Dans de tels climats d’exclusion, de peur et de méfiance, les musulmans rapportent qu’ils sont souvent stigmatisés.

A ce sujet, des enquêtes européennes de 2018 et 2019 ont montré qu’en moyenne 37% de la population a une opinion défavorable des musulmans. En 2017, quelque 30% des Américains interrogés avaient une opinion négative des musulmans. 

Des musulmans souvent ciblés pour leur nom, la couleur de leur peau ou leur foulard

Dans les États à minorité musulmane, a-t-il ajouté, les musulmans sont souvent ciblés en fonction de caractéristiques « musulmanes » visibles, telles que leur nom, la couleur de leur peau et leurs vêtements, y compris leur tenue religieuse, notamment le foulard.

De plus, une étude de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ("ECRI") a rapporté, par exemple, que dans plus de 600.000 articles néerlandais en 2016 et 2017, les adjectifs les plus utilisés pour peindre les musulmans étaient « radicaux », « extrémistes » et « terroristes ». En revanche, les Néerlandais sont souvent décrits comme « connus », « moyens » et « beaux ».

Plus largement, l’expert indépendant onusien soutient que cette discrimination « dans la sphère publique et privée rend souvent difficile pour un musulman d’être musulman ». 

Les restrictions disproportionnées de la capacité des musulmans à manifester leurs croyances, la sécurisation des communautés religieuses, les limites de l’accès à la citoyenneté, l’exclusion socio-économique et la stigmatisation généralisée des communautés musulmanes figurent parmi les préoccupations urgentes relevées dans le rapport.

« Triple peine » en tant que femmes, issues d’une minorité ethnique et musulmanes

Parmi les musulmans, ce sont les femmes qui peuvent être confrontées à une « triple peine », notamment en tant que femmes, membres d’une minorité ethnique et musulmanes. 

« Les stéréotypes et les tropes nuisibles sur les musulmans et l’Islam sont chroniquement renforcés par les médias traditionnels, les politiciens puissants, les personnes qui influencent la culture populaire et le discours universitaire », a fait remarquer l'expert.

Face à de telles stigmatisations et discrimination, il encourage vivement les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre les formes directes et indirectes de discrimination à l’égard des musulmans. L’expert onusien exhorte les Etats membres du Conseil à interdire tout appel à la haine religieuse qui constitue une incitation à la violence. 

Sur un autre plan, le rapport souligne toutefois que les critiques de l’Islam ne doivent jamais être confondues avec l’islamophobie, ajoutant que le droit international des droits humains protège les individus, et non les religions. 

« La critique des idées, des dirigeants, des symboles ou des pratiques de l’Islam n’est pas islamophobe en soi ; sauf si elle s’accompagne de haine ou de préjugés à l’égard des musulmans en général », a conclu M. Shaheed.

NOTE :

Les rapporteurs spéciaux, les experts indépendants et les groupes de travail font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Le terme « procédures spéciales », qui désigne le plus grand corps d’experts indépendants au sein du système onusien des droits de l’homme, est généralement attribué aux mécanismes indépendants d’enquête et de supervision mis en place par le Conseil des droits de l’homme afin de traiter de la situation spécifique d’un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent bénévolement ; ils n’appartiennent pas au personnel de l’ONU et ne perçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou de toute organisation et exercent leurs fonctions à titre individuel.